Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’objet de la présente motion m’oblige à rappeler, en préambule, le contexte entourant l’examen de ce projet de loi.
La France est dans une situation de blocage.
Il s’agit d’abord d’un blocage économique. Depuis 2012, notre croissance a été deux fois moins importante que la moyenne des autres pays de l’OCDE et, depuis 2015, notre taux de chômage culmine à 10, 4 %, contre 6, 8 % pour la moyenne de ces mêmes pays.
Ensuite, les blocages sociaux se multiplient : ils concernent les raffineries, les ports, les transports, des domaines stratégiques pour notre pays.
Deux issues s’offrent à nous pour sortir de cette crise : l’abandon du projet de loi ou son débat dans notre assemblée. C’est la question éminemment politique, bien plus politique que juridique ou constitutionnelle, que soulève cette motion.
À cela, nous opposerons la vision inspirant la démarche que notre majorité a engagée dès les débats en commission, dont je tiens à saluer le travail.
Nous entendons saisir l’occasion de ce texte, présenté d’une façon assez maladroite par le Gouvernement, avec les malentendus que nous savons concernant le dialogue social et les abandons qui ont caractérisé son adoption par la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour rénover les fondations de notre droit du travail autour de trois piliers : la confiance, la sécurité juridique et la simplification.
Pour évoquer ces trois piliers, je m’appuierai sur les « considérants » qui motivent la motion tendant à opposer la question préalable.
S’agissant de la confiance, le principe des accords d’entreprise va incontestablement dans le sens d’une « déconcentration » de notre réglementation en matière de droit du travail.
Dans le monde qui est le nôtre, avec ses bouleversements économiques presque quotidiens, le législateur doit rétablir un vecteur fondamental de la croissance économique : la confiance – confiance envers l’entreprise, confiance envers la responsabilité prise par chacun, patron ou salarié.
Certains n’ont de cesse d’invoquer, au sujet de cette relation entre employeurs et salariés, un « lien de subordination » : cela revient à nier la réalité du paysage de l’entrepreneuriat français, même si cette notion peut parfois être évoquée à juste titre. Avec nombre de nos collègues, nous avons pu constater, lors des multiples rencontres organisées par la délégation sénatoriale aux entreprises, que ce paysage se compose de profils extrêmement variés : que dire de ces employeurs qui ont d’abord été des employés, de ceux qui, dans les PME, travaillent dans les mêmes conditions que leurs employés, voire dans des conditions moins avantageuses ?
Eu égard à cette variété des situations et des profils, le législateur ne peut plus prétendre vouloir tout régler par lui-même, sauf à prévoir dans la loi autant d’exceptions qu’il existe de cas de figure. Le dialogue, responsable et direct, au plus près des réalités économiques et sociales de l’entreprise doit être favorisé.
Le présent texte prévoit que la loi fixe le cadre des accords d’entreprise. Aussi, contrairement à ce qui est avancé, le législateur restera-t-il au cœur de l’action en faveur de l’emploi, de la protection des droits de chacun et de l’égalité de tous.
À ce sujet, de quelle égalité parlent les auteurs de la présente motion, lorsqu’ils considèrent que le texte issu des travaux de notre majorité va « entraîner un accroissement des inégalités entre les salariés » ? S’agit-il de l’égalitarisme, qui ferait des travailleurs des outils interchangeables, ou de l’égalité entendue au sens constitutionnel, qui permet d’apprécier différemment des situations différentes, relativement aux conditions de travail, aux contextes géographique, économique et compétitif dans lesquels s’inscrivent nos entreprises ?
Le choix que nous avons fait, c’est celui du développement de l’emploi par la confiance, qui permettra, avec les accords d’entreprise, une meilleure adaptation de notre droit du travail aux spécificités économiques de chaque entreprise, comme en attestent, par exemple, les dispositions concernant le temps de travail.
Je citerai tout d’abord la possibilité de porter à douze heures, au lieu de dix actuellement, la dérogation à la durée maximale quotidienne de travail en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise.
Je mentionnerai également la possibilité de déroger au temps hebdomadaire légal de travail, qu’il est par ailleurs proposé de porter à 39 heures en cas de désaccord au terme des négociations relatives à un accord collectif. Les partisans d’un maintien des 35 heures auront du mal à nous convaincre. Voilà longtemps que les faits économiques nous démontrent constamment que cette mesure ne relève plus que d’une fiction et se heurte, par ailleurs, aux réalités du secteur de l’industrie, qui a été dévoré par ses concurrents étrangers, et du secteur tertiaire, qui ne s’en est jamais accommodé.
Au sujet de la sécurité juridique, je parlerai du considérant relatif au licenciement économique.
Les auteurs de la motion évoquent une extension des motifs justifiant un licenciement économique. Pour ma part, je parlerais plutôt d’une sécurisation ou, du moins, d’une précision de ces motifs.
En effet, je n’ai pas l’impression que le texte proposé par la commission, sous réserve des modifications que nous pourrions y apporter, porte atteinte au droit à indemnisation pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Au contraire, je crois que l’expérience jurisprudentielle nous impose plus que jamais de préciser ces critères, afin de sécuriser les intérêts de l’entreprise et des salariés. Il s’agit de circonscrire les motifs du licenciement économique aux seules nécessités de la « mauvaise santé économique de l’entreprise », pour éviter les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Je crois d’ailleurs préférable pour un salarié de pouvoir compter sur un droit clair et accessible qui sécurise son maintien dans l’emploi, plutôt que sur un droit qui sécurise son indemnisation en cas de licenciement pour des raisons non valables.
Je salue une nouvelle fois, à cet instant, les initiatives de la commission et des rapporteurs, qui ouvrent à la concertation la définition de la liste des indicateurs économiques, ainsi que du niveau et de la durée de la baisse significative de ceux-ci pouvant justifier un licenciement économique. Il est en effet prévu que ces éléments seront discutés à l’occasion de l’élaboration d’un décret en Conseil d’État.
Enfin, ce droit à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse se trouve renforcé par toutes les mesures proposées par notre majorité, qui permettront d’accélérer la procédure en contestation du caractère réel et sérieux d’un licenciement économique.
Je parlerai maintenant de la simplification, le dernier considérant de la motion tendant à opposer la question préalable me fournissant un exemple de ce que nous avons recherché dans ce domaine.
Il est dit, dans ce considérant, que les obligations des employeurs en matière de préservation de la santé et de la sécurité des salariés sont « gravement limitées » par le texte issu des travaux de la commission.
Il y a là encore, à mon sens, une erreur d’appréciation, puisque le texte de la commission recentre la médecine du travail sur sa véritable mission, évite la réalisation de visites que leur caractère répétitif pourrait rendre inutiles dans le cadre des contrats de courte durée, maintient la visite d’aptitude, qui permet au salarié d’être informé de ses droits et des risques associés à son poste de travail.
Ces mesures sont de nature à renforcer l’efficacité de la médecine du travail, sans laquelle les obligations des employeurs n’ont que peu de portée. Il en va de même du maintien de la compétence de l’inspecteur du travail en cas de contestation d’aptitude ou d’inaptitude.
En conclusion, force est d’admettre que les considérants de cette motion doivent être rejetés, ce texte nous donnant l’occasion de répondre, enfin et sans délai, aux attentes immenses suscitées par les propositions que nous avons avancées, qui méritent d’être débattues.
Que l’on soit opposé ou non à ce texte, que l’on veuille en rester là ou aller plus loin, le débat est essentiel et nécessaire pour lutter contre le climat économique et social délétère qui s’installe dans notre pays, du fait de l’incapacité du Gouvernement à relancer la croissance.
Voilà quelques semaines, un nombre important d’élus se sont opposés au recours à la procédure du 49.3, qui a limité le débat à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il est important que la discussion ait lieu dans notre assemblée, pour ne pas ajouter encore à l’absence de débat si souvent dénoncée depuis la présentation du texte. C’est de notre responsabilité.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.