Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 13 juin 2016 à 16h00
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Discussion générale

Myriam El Khomri, ministre :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais essayer d’être synthétique, d’autant que j’aurai l’occasion de répondre plus précisément sur les différents sujets lors de l’examen des articles.

Beaucoup d’entre vous ont évoqué le contexte. Nous entrons dans la dernière année du quinquennat. Notre économie a recréé des emplois en 2015, après plusieurs années de destruction d’emplois. Pour autant, il convient de porter un diagnostic lucide sur notre pays. Les contournements au droit du travail se répandent. Nous perdons des emplois dans l’industrie depuis le premier trimestre de 2001. Un jeune accède au CDI à vingt-sept ans, contre vingt-deux ans voilà quinze ans.

Monsieur Watrin, je n’ai jamais opposé droit du travail et droit au travail. Néanmoins, l’hyper-flexibilité existe, et la réticence à embaucher en CDI, réelle ou ressentie, des employeurs doit être traitée. Nous devons répondre à cette problématique.

Certains intervenants ont affirmé que cette loi faciliterait les licenciements. C’est faux ! Si tel avait été le cas, je ne l’aurai jamais défendue. Cette loi encadre pour la première fois le licenciement économique. Je le rappelle, 5 % des inscriptions à Pôle emploi sont le fruit d’un licenciement économique. Or les TPE et les PME, qui créent de l’emploi dans notre pays, licencient très rarement pour motif économique. À 20 %, elles pratiquent des ruptures conventionnelles, contre 7 % pour les autres entreprises. Elles se servent davantage du licenciement pour motif personnel, notamment parce qu’elles n’arrivent pas à caractériser ce qui pourrait constituer des difficultés économiques.

Je ne mésestime absolument pas la charge symbolique et anxiogène qu’il y a à aborder le licenciement. La première version du texte, qui n’a jamais été présentée en conseil des ministres, a été reçue par bon nombre de nos concitoyens comme une gifle, en particulier à cause de la question du licenciement.

Néanmoins, il est important de le reconnaître entre nous, un salarié est beaucoup plus protégé dans le cadre d’un licenciement économique qu’en cas de rupture conventionnelle. Dans le premier cas de figure, il bénéficie d’un contrat de sécurisation professionnelle et de droits auxquels il n’a absolument pas accès lors d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement pour motif personnel.

Pourquoi les entreprises n’embauchent-elles pas en CDI ? Tout simplement parce qu’elles ont peur de perdre un client ou une commande. Pour embaucher, il faut évidemment d’abord un carnet de commandes.

Pourquoi notre pays est-il de deuxième pays utilisateur de CDD de moins d’un mois de l’Union européenne ? Pourquoi 82 % des embauches en CDD sont-elles des réembauches ?

Nous constatons un dysfonctionnement. Apporter de la clarté et de la prévisibilité aux employeurs est un enjeu d’intérêt général pour les salariés, en particulier pour les plus précaires d’entre eux. Je pense notamment aux jeunes issus des quartiers populaires, aux femmes et aux salariés les moins qualifiés. J’assume donc à 200 % cette réforme, car je n’ai pas une vision manichéenne de l’entreprise. Je sais parfaitement qu’il ne faut pas opposer l’économie et le social ; le progrès économique et le progrès social vont dans un même mouvement.

Ce qu’apporte la démocratie sociale dans l’entreprise, c’est une capacité d’adaptation. En cas de désaccord, c’est le droit actuel qui s’appliquera. Où est le scandale ? Une telle logique ne prévaudra pas dans tous les domaines. Bien évidemment, elle ne s’appliquera pas en matière de durée légale de santé ou de sécurité. Elle concerne l’organisation du travail.

Que prévoit ce texte ? Le taux de majoration des heures supplémentaires sera de 25 % et de 50 %, mais les organisations syndicales, si et seulement si elles le souhaitent, pourront signer, en échange de contreparties, un accord majoritaire à 10 %. À elles de juger ce qui est le plus favorable pour les salariés. Bref, il s’agit de faire confiance aux acteurs de la démocratie sociale. C’est cette vision que nous souhaitons promouvoir.

Nous devons en finir dans notre pays avec certaines postures.

Je pense tout d’abord aux postures d’organisations patronales qui veulent négocier, mais sans les syndicats. J’ai le débat sur le mandatement avec beaucoup d’employeurs sur le terrain. Pour eux, un salarié mandaté, c’est une personne étrangère à l’entreprise qui débarquera pour dire ce qui est bon ou non pour les salariés ! Ce n’est pas la réalité du mandatement. Nous avons une bataille culturelle à mener.

Je pense ensuite aux postures d’organisations syndicales, dont certaines ont une vraie cohérence. J’ai évoqué André Bergeron et les lois Auroux. Dire que tout doit être dans la loi, c’est, quelque part, un aveu de faiblesse.

Je pense enfin aux postures des pouvoirs publics, qui, depuis toujours, ne laissent pas suffisamment de respiration et souhaitent trop encadrer la négociation collective. Comment élargir l’objet de la négociation s’il n’y a pas en face d’accord majoritaire ? Cette exigence était d’ailleurs une position commune des organisations syndicales en 2008. Cela fait quinze ans, voire plus que nous parlons de développer la négociation collective.

La position commune signée en 2001 par toutes les organisations syndicales sauf la CGT était justement de développer la négociation collective et de trouver à chaque fois le niveau le plus pertinent. Tout sera-t-il décidé au niveau de l’entreprise ? Absolument pas ! La question du temps partiel sera traitée au niveau de la branche. Rien n’est donc systématique. Élargir l’objet de la négociation, c’est justement essayer de passer d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis.

Monsieur Desessard, vous affirmez que nul progrès social ne saurait naître d’un accord d’entreprise. L’histoire sociale de notre pays ne nous apprend-elle pas que nous devons la troisième semaine de congés payés à la régie Renault ?

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