Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 13 juin 2016 à 16h00
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Discussion générale

Myriam El Khomri, ministre :

Oui, parlons de la recommandation du Conseil européen de mai 2015 !

Permettez-moi de rappeler la genèse du projet de loi. Au printemps 2015, dans le cadre des conférences sociales, le Premier ministre a demandé à Jean-Denis Combrexelle un rapport sur le développement de la négociation collective. M. Combrexelle a mené une concertation et a fait des propositions au Gouvernement. Selon lui, il aurait fallu trois ou quatre ans pour établir le champ accordé à la négociation collective sur l’intégralité du code du travail. Au vu du temps dont nous disposons, nous n’intégrons dans ce projet de loi qu’une partie des recommandations, celles qui concernent le temps de travail et les congés, c’est-à-dire le quotidien des salariés.

Dans le même temps, nous souhaitions développer le compte personnel d’activité, instauré par un article de la loi Rebsamen. C’était un point essentiel. Néanmoins, nous ne développons pas le compte personnel d’activité, parce que nous soutenons de l’autre côté une loi libérale ! J’assume ce texte à 200 %. Personne ne nous l’a imposé. Nous l’avons voulu parce que nous avons su examiner avec beaucoup de lucidité l’état de notre pays, et parce que nous défendons une vision sociale-démocrate de la démocratie dans l’entreprise.

De nombreux témoignages attestent aujourd'hui que nous n’avons pas toujours la capacité de répondre à un pic de commande ou d’activité. Je l’ai souligné, les contournements au droit du travail se multiplient. Regardons les chiffres en matière de travail détaché. Je suis d’ailleurs très heureuse de défendre des mesures pour lutter contre les fraudes en la matière. Regardons aussi les chiffres de l’intérim et du travail indépendant. Ce projet de loi, avant son examen en commission des affaires sociales au Sénat, comportait un article sur la responsabilité sociale des plateformes collaboratives. La société fordiste a vécu. Nos comportements en tant que consommateurs induisent une très forte évolution du monde du travail.

Certains d’entre vous ont établi des comparaisons avec ce qui se pratique à l’étranger. Le Gouvernement n’a pas souhaité les mini-jobs à l’allemande ou les contrats zéro heure. Même si le modèle d’Europe du Nord peut nous inspirer en matière de dialogue social, nous avons parfaitement conscience que notre démocratie sociale n’est pas au même niveau. Nous avons donc écrit un modèle : la social-démocratie à la française.

Certes, ce projet de loi ne répond pas à toutes les difficultés qui l’on rencontre dans le monde du travail. Modestement, il essaie, en ce qui concerne la partie relative au temps de travail, de développer la capacité d’adaptation des entreprises, grâce à l’enjeu essentiel que constitue la négociation. L’équation est simple : pas de souplesse, pas de négociation. Si les entreprises ont besoin de souplesse, elles négocieront. Le souci fondamental reste évidemment l’accord majoritaire.

Si nous comparons la situation de la France et de l’Allemagne en période de difficultés économiques, nous constatons des différences.

Dans notre pays, après la crise de 2008, les licenciements ont été nombreux. En Allemagne, grâce au dialogue social et au recours au chômage partiel – modalités que nous connaissons désormais, mais qui n’existaient pas encore à l’époque –, les salariés sont restés en poste et ont été formés. Ainsi, au moment de la reprise économique, la main-d’œuvre allemande était qualifiée et formée. En France, près de 50 000 emplois ont été perdus par mois jusqu’en 2012. Cette réalité, il faut la regarder en face !

Notre modèle social joue un rôle d’amortisseur social exceptionnel. Nous devons en avoir conscience. Il y a des comparaisons qui ne tiennent pas. Dans certains pays, il suffit de travailler une heure par mois pour sortir des chiffres du chômage !

Le rôle d’amortisseur social de l’assurance chômage est essentiel en France. Nombre de nos concitoyens souffrent de la précarité et du chômage. C’est pourquoi nous devons impérativement développer l’emploi durable. C’est l’enjeu du projet de loi.

Beaucoup d’interventions ont porté sur l’absence de travail pédagogique et sur les erreurs commises en la matière par le Gouvernement. Je les assume sans état d’âme. J’en prends toute ma part de responsabilité.

Erreurs de pédagogie ? Sans doute ! Car le droit du travail, matière complexe, intéresse tout le monde, et c’est légitime. Je suis ainsi donc très heureuse que nos concitoyens se soient emparés des enjeux de l’article 2, ceux de la démocratie sociale dans l’entreprise. Ce débat est nécessaire, même s’il se déroule dans un climat de tension et s’il n’y a pas d’unanimité des organisations syndicales sur le sujet.

Nicole Bricq le soulignait, l’enjeu est de s’adapter ou de disparaître.

Il nous faut nous adapter pour préserver, comme nous le souhaitons, notre modèle social. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer ; l'objectif est de transformer la société. C’est pour cela que nous voulons développer la démocratie sociale dans l’entreprise.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la médecine du travail. Je suis d’accord, il faudrait mettre en place des visites d’embauche. Mais je suis aux responsabilités : lorsque je constate que, sur 20 millions d’embauches par an, seules 3 millions de visites médicales sont réalisées, je suis bien obligée de constater que ce droit est fictif.

Quand on est aux responsabilités et que l’on a affaire à un droit fictif, il faut bien traiter les situations ! Il y a ainsi des personnes occupant des emplois à risque qui ne bénéficient pas de visites médicales.

L’enjeu est que les salariés les plus exposés aux risques passent une visite médicale assurée par le médecin du travail, et qu’une équipe pluridisciplinaire mette en place ces visites pour l’ensemble des salariés. C’est notre ambition.

Je ne me contente pas de constater la pénurie de médecins du travail, que je regrette bien évidemment.

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