Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 juin 2016 à 10h00
Situation de la filière équine — Présentation du rapport

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Merci Monsieur le Président. Mes chers collègues, j'avais proposé, en mai 2015, d'élaborer une note de conjoncture sur la filière cheval et ses difficultés, deux ans après l'augmentation des taux de TVA dans ce secteur. Je voudrais avant tout vous remercier de m'avoir confié cette mission et saluer nos collègues du groupe cheval qui se joignent à cette présentation.

Cette initiative se justifie par le constat de malaise que partagent tous les acteurs de la filière sur nos territoires. Beaucoup d'entre eux sont menacés : par exemple, chaque semaine, un centre équestre est contraint à la fermeture. Une telle situation peut sembler a priori surprenante car ce secteur a connu, jusqu'à ces dernières années, un cycle de croissance dans l'équitation de sport ou même dans le milieu des courses. Mais, depuis 2010, avec l'impact cumulé de la crise économique, de la montée des charges des entreprises du secteur équin, de la baisse du pouvoir d'achat de leurs clients et de la régression des paris hippiques qui constituent le socle financier de cette filière, c'est l'ensemble du monde du cheval qui est en proie à de nombreuses difficultés.

On mesure néanmoins la remarquable capacité d'adaptation de notre modèle si on le compare avec la situation à l'étranger, comme en Italie ou en Allemagne, où la filière des courses s'est effondrée depuis plusieurs années, avec une montée corrélative des opérateurs de paris virtuels. En France, c'est surtout l'augmentation de la TVA au 1er janvier 2013, intervenue dans une phase de fragilisation économique et de durcissement de la concurrence qui a fait basculer l'ensemble de cette filière « dans le rouge ».

Mon propos s'ordonnera en trois points : après avoir rappelé l'excellence des « fondamentaux » de la filière, j'analyserai ses principales difficultés avant de suggérer plusieurs inflexions sur lesquelles notre assemblée peut agir.

Le remarquable rapport présenté, en juillet 2013, par notre collègue et mon prédécesseur Ambroise Dupont s'intitule « Réformer pour pérenniser un modèle d'excellence ». Il faut en effet d'abord souligner que nous traitons d'une filière prestigieuse, comparable à celle des grands vignobles dont la qualité est reconnue dans le monde entier. La filière équine française se compose essentiellement de deux modèles : d'une part, le pari mutuel, qui se distingue du système où interviennent les bookmakers, et finance le socle territorial de l'élevage, et, d'autre part, le « cheval partagé » qui est à la base du fonctionnement de nos centres équestres, alors que chez nos nombreux voisins, le cavalier possède son propre cheval et utilise seulement les équipements de son centre équestre. En France, notre approche de l'enseignement de l'équitation et de la filière course est donc tout à fait spécifique. Ces deux modèles rayonnent au plan international et s'exportent aujourd'hui en Chine et en Russie. Nous avons donc tout intérêt à préserver et à dynamiser ces mécanismes vertueux et à succès.

L'art équestre participe également à l'excellence de notre filière cheval, avec ses écoles prestigieuses comme le Cadre noir de Saumur. J'ajoute que les opérateurs étrangers investissent massivement en France puisqu'un haras sur deux est financé par ceux-ci. C'est dire l'attractivité de notre territoire dans ce domaine! Nous exportons des chevaux dans le monde entier et organisons de grandes compétitions reconnues internationalement. La France est une grande nation cavalière, présente aux Jeux Olympiques et dans les grands rendez-vous sportifs. J'ajoute que l'innovation est également omniprésente dans le spectacle équestre.

Pendant longtemps, l'excellence en matière d'élevage et d'art équestre a été soutenu par les haras nationaux et l'École nationale d'équitation (ENE) qui ont fusionné en 2010 pour devenir l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE). Aujourd'hui, le bilan de cette réforme est très mitigé et la Cour des comptes, dans son dernier rapport annuel a proposé sa suppression. Les missions de l'IFCE sont pourtant importantes, avec l'identification des équidés, essentielle en matière sanitaire ainsi que de traçabilité, la formation des éducateurs, la préservation du patrimoine génétique équestre et la recherche. Plutôt que de démanteler cet organisme et d'étatiser ses missions, le monde du cheval marque sa préférence pour conserver une sorte d'office national du cheval mais il est vrai qu'en pratique, les effectifs et les missions resserrées de cet institut le rendent moins à même d'épauler les professionnels.

Je conclus ce premier volet de mon exposé en soulignant que la filière cheval a su s'adapter aux nouvelles exigences de la société, et, en particulier, à celle du bien-être animal. Le 4 mars dernier, lors du salon de l'agriculture, les acteurs de la filière cheval ont signé une charte du bien-être équin, impliquant le respect d'un certain nombre de prescriptions: c'est la consécration et l'amplification de nombreux efforts.

S'agissant de l'impact économique de ce secteur, je rappelle qu'historiquement, le cheval a été un socle économique et un instrument de puissance des armées. Il a structuré l'organisation de nos territoires et, au plan administratif, de nos départements. Aujourd'hui, le cheval assume de nouvelles fonctions - sociales, environnementales et de loisirs - ou encore de nouvelles activités, comme le débardage dans les vignes voire, plus ponctuellement, dans la forêt, ce à quoi, personnellement, je crois un peu moins. Les dimensions sociales rattachées au cheval se développent également à travers la réinsertion et l'équithérapie. Il y a manifestement là un gisement d'activités qui n'est pas encore totalement exploité, mais qui mériterait de l'être, puisqu'il répond aux tendances lourdes de nos sociétés.

Pour mieux situer les ordres de grandeur, j'indique que le cheptel français représente un peu plus d'un million d'équidés, dont deux tiers de chevaux de selle et de poneys, un cinquième de chevaux de courses, les ânes et les chevaux de trait représentant respectivement 8 % et 6 % de la population. Au total, notre cheptel est à peine inférieur à celui de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, ces trois pays totalisant plus de la moitié du cheptel équin européen.

Si cette filière a beaucoup créé d'emplois par le passé, elle en perd actuellement, en raison des difficultés qu'elle connait. On évalue leur nombre à 180 000 emplois indirects et 57 000 en activité principale. Le monde du cheval représente également 53 000 entreprises, dont beaucoup exercent une activité équine dans le cadre de leur diversification, et un chiffre d'affaires global de 14 milliards d'euros, dont 80 % proviennent des paris hippiques et 12 % des activités agricoles. Ce volet élevage, pour l'avoir observé dans nos territoires, comporte un grand nombre d'amateurs et de petits cheptels. Le cheval est, pour ces derniers, une affaire de passion, et malgré les critiques qui leur sont parfois adressées par les professionnels, ce phénomène a le mérite d'entretenir une cavalerie sur l'ensemble de notre territoire.

Les principaux recruteurs sont les écuries de course, avec des activités comme celles de palefrenier-soigneur et les centres équestres, qui rassemblent les moniteurs. On dénombre également 39 000 salariés agricoles et 39 000 équivalents temps plein non agricoles dans la filière et, globalement, ces emplois concernent majoritairement des jeunes et des femmes.

Il est assez difficile de chiffrer avec certitude notre balance commerciale équine en raison de divergences entre les diverses sources de données. La France reste tout de même le quatrième exportateur mondial de chevaux, avec 5 000 ventes à l'étranger, mais elle en importe de plus en plus, près de 7 000 chevaux. Au-delà des statistiques douanières, notre balance commerciale serait ainsi, dans les faits, négative. S'agissant de la viande chevaline, la France exporte de plus en plus de viande rose de poulain, qui est très demandée par l'Italie, la Belgique et le Japon, et importe de la viande rouge d'équidés adultes.

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