Intervention de Pierre Cahuc

Commission d'enquête Chiffres du chômage — Réunion du 7 juin 2016 à 17h15
Audition de Mm. Pierre Cahuc centre de recherche en économie et statistique jacques freyssinet centre d'études de l'emploi yannick l'horty centre national de la recherche scientifique Mme Hélène Paris conseil d'analyse économique et M. Henri Sterdyniak observatoire français des conjonctures économiques

Pierre Cahuc, professeur d'économie à l'École polytechnique, directeur du laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique (Crest) :

Sur ce très vaste sujet, j'ai sélectionné deux thèmes liés aux discussions en cours sur la loi Travail que votre assemblée examine en ce moment : la décentralisation des négociations collectives et le droit du licenciement.

D'abord, un point de méthodologie. Il faut se méfier des corrélations, établies par de nombreux travaux, entre la rigueur de la réglementation de l'emploi, la valeur moyenne de l'assurance chômage ou d'autres caractéristiques institutionnelles et des indicateurs de performance comme taux d'emploi ou de chômage - ces études aboutissent à des conclusions qui généralement sous-estiment l'effet de la règle de droit. Ce n'est pas étonnant : les règles de droit sont généralement très détaillées et spécifiques à chaque pays, alors que les indicateurs de performance retenus sont un résumé global de situations très complexes. Or le diable se cache dans les détails - en témoigne l'abondance d'amendements qui vous sont soumis !

Ces corrélations sont peu parlantes. Ainsi, une réforme de l'assurance chômage et de la protection de l'emploi est souvent une réponse à l'évolution de certains indicateurs tout autant qu'une impulsion : dans ces conditions, il est difficile d'établir le sens des causalités. On lit fréquemment dans la presse que beaucoup d'emplois ont été créés en France dans les années 1990 avec la réduction du temps de travail - c'est, pour Alternatives Économiques, un fait évident « comme la Terre est ronde » ! Or il existe en réalité un grand nombre de facteurs confondants entre l'évolution de l'emploi et de la durée du travail. Convaincants au premier abord, ces arguments sont très fragiles.

Depuis une vingtaine d'années s'est développée, grâce à l'émergence des big data, l'étude précise de l'impact de changements de règles de droit sur les comportements micro-économiques. La réaction des acteurs aux changements est la première chaîne de la relation causale qui mène vers les évolutions macroéconomiques. C'est une méthode expérimentale analogue à celle du placebo en médecine. Ainsi, on étudiera, en Italie, un changement de la législation qui affecte les entreprises de plus de 15 salariés en comparant l'évolution des entreprises de 10 à 15 salariés et celle des entreprises situées juste au-dessus de ce seuil. En étudiant deux ensembles aux caractéristiques voisines dont l'un est affecté par un changement et l'autre non, on met en évidence de véritables relations de cause à effet. C'est une discipline neuve, notamment dans sa dimension expérimentale : il nous reste beaucoup à explorer, mais nous avons accumulé les connaissances depuis une décennie.

D'autres études ont porté sur l'impact d'une extension des négociations collectives de branche sur la performance des entreprises en Espagne et au Portugal. Dans ces deux pays, les conventions de branche, généralement signées par les plus grandes entreprises, sont ensuite étendues à l'ensemble des sociétés de la branche. C'est aussi le cas en France - et l'un des objectifs de la loi Travail est de permettre aux entreprises de négocier à leur niveau certains éléments comme la durée du temps de travail. Or ces études montrent que les entreprises concernées par l'extension affichent un taux de croissance de l'emploi plus faible et un taux plus important d'emploi en CDD. En France, 95 % des conventions collectives sont étendues. À l'inverse, en Allemagne, l'adhésion à une convention collective relève du choix de l'employeur et l'extension ne concerne qu'1 % des conventions, de plus, un revirement de jurisprudence dans les années 2000 a autorisé les entreprises allemandes à en sortir en cas de difficultés économiques - un système d'opt out. Une étude a montré que cette évolution avait eu pour conséquence une augmentation de la croissance de l'emploi.

Ces travaux mettent en évidence une corrélation positive entre les mesures rapprochant les conventions du terrain et l'emploi. Pour la France, il n'existe pas encore de travaux d'ampleur, mais le droit du travail espagnol et portugais, élaboré à la sortie de la dictature, est très inspiré du droit français.

La législation des licenciements a fait l'objet d'études en Italie, aux États-Unis et en Suède montrant que tout renforcement de la réglementation se traduit systématiquement par un recours plus fréquent aux CDD ; par des effets sur l'emploi en général négatifs mais limités, concentrés sur les jeunes et les femmes (États-Unis) ; et, lorsque la protection de l'emploi est plus importante, par un taux d'absentéisme plus élevé (Suède) ou par une réallocation de l'emploi des entreprises les moins productives vers les plus productives.

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