Intervention de Jean-Louis Nadal

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2016 à 8h40
Audition de M. Jean-Louis Nadal président de la haute autorité pour la transparence de la vie publique

Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique :

Je suis sensible à l'honneur qui m'est fait de m'exprimer devant vous à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la transparence de la vie économique.

Vous le savez, le Sénat et la Haute Autorité ont bâti, au fil des mois, une réelle relation de confiance, qui tient beaucoup à la personnalité et à l'action du président Gérard Larcher en faveur de la transparence, que je tiens à saluer. Le contact est constant, le dialogue vrai et sans ambages, et c'est indispensable quand on sait les réserves fortes qu'ont suscitées les lois qui nous ont créés. Je n'ignore ni les interrogations ni les interpellations encore moins les oppositions.

Il appartient, à la Haute Autorité, de mettre en oeuvre avec responsabilité les orientations votées par le Parlement en octobre 2013 pour que, reprenant le mot du professeur Guy Carcassonne, l'on ne passe pas du « secret maladif » à la « transparence névrotique ». C'est ce que nous nous employions à faire en conservant le même esprit républicain que celui qui nous anime depuis maintenant plus de deux ans et demi.

Vous avez souhaité, monsieur le président, qu'à l'occasion de cette audition, je dresse un bilan de l'activité de la Haute Autorité depuis sa création, au début de l'année 2014. Ce ne sera pas la première fois que je rends compte et c'est bien normal ! Je l'ai déjà fait, par exemple à l'automne dernier, devant la commission d'enquête présidée par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et dont le rapporteur était M. Jacques Mézard, que je salue. J'ai d'ailleurs regardé attentivement l'audition par votre commission des lois de notre nouveau membre du collège, M. Bardet, et je crois deviner certains questionnements... Je ferai donc une présentation sans détour de l'activité de la Haute Autorité, pour mettre en lumière tant notre bilan que les difficultés que nous avons rencontrés et les défis à venir.

Le premier enjeu auquel nous avons été confrontés a résidé dans les conditions de création de la Haute Autorité. Pour le dire de manière lapidaire, la gestation a été courte et la naissance brutale. Il pourra sembler un peu boutiquier de débuter par des chiffres, mais à quoi bon la majesté de la loi si sa mise en oeuvre n'est que médiocrité ? Je sais que votre assemblée fut pionnière sur la question de l'évaluation de l'application des lois, et c'est nécessaire !

Il s'est écoulé huit mois entre l'affaire Cahuzac et ma nomination le 20 décembre 2013. Or rien n'était prêt. Nous n'avions pas d'accès à internet, pas de standard téléphonique, pas de fonctionnaires qualifiés pour prendre en compte rapidement ces nouvelles lois. Je regrette l'impéritie du Gouvernement en la matière. Lorsque je vois qu'on veut encore créer de nouveaux services...

Comme vous le savez, la loi avait prévu des dispositions transitoires... aberrantes ! Car nous devions recevoir près de 5 000 déclarations au 1er février 2014, dont celles des parlementaires, plus de 6 000 au 1er juin, dont celles des élus locaux, et plus de 4 000 au 1er octobre 2014, notamment des plus hauts fonctionnaires. Deux chiffres suffiront à illustrer ce brutal accroissement de l'activité : alors qu'en 2013, la commission pour la transparence financière de la vie politique recevait 934 déclarations, la Haute Autorité a reçu, en 2014, 17 853 déclarations.

J'évoque ici le sujet des déclarations, car je sais qu'il retient votre attention vous qui avez dû, en 2014, en refaire plusieurs par l'effet de ces dispositions légales. Mais nous avions, dans le même temps, à construire les autres métiers de la Haute Autorité. Autant de métiers nouveaux, depuis l'analyse et les avis en matière de prévention des conflits d'intérêts jusqu'au contrôle du pantouflage des membres du Gouvernement en passant par le contrôle de la procédure de contrôle fiscal des ministres. Nous n'avons donc pas ménagé nos efforts depuis la création de la Haute Autorité et les chiffres que je mentionnais expliquent certaines des difficultés que je détaillerai tout à l'heure.

Nous sommes encore « sous maquettés », pour employer un jargon budgétaire. Je sais bien que les temps sont durs, et croyez que nous gérons les crédits avec rigueur - M. Jacques Mézard a fait des comparaisons éloquentes en ce domaine. Mais enfin, si l'on veut aller plus vite, accélérer les procédures - alors que le Parlement nous octroie des déclarants nouveaux, comme avec la loi sur la déontologie des fonctionnaires d'avril 2016 -, il faut mettre des effectifs. Quand on compare nos ressources avec celle d'autres autorités indépendantes, on doit bien s'interroger pour savoir où sont les priorités et la recherche d'efficacité...

Le deuxième enjeu a été de démontrer notre indépendance. Le législateur nous y a aidés puisque les fonctions de membre de la Haute Autorité sont entourées de nombreuses dispositions qui visent à prévenir les conflits d'intérêts. Elles constituent maintenant des standards qu'une proposition de loi sénatoriale essaie d'ailleurs de déployer sur l'ensemble des autorités administratives indépendantes.

Premièrement, les fonctions de membre ne sont pas renouvelables, ce qui est nécessaire. Deuxièmement, l'organe décisionnel de la Haute Autorité, lorsqu'il s'agit de transmettre un dossier au Procureur de la République par exemple, est une instance collégiale. Et c'est bien ainsi, car la délibération collective est gage d'une plus grande objectivité et d'une plus forte impartialité, tout en permettant aux services sous mon autorité d'avoir la réactivité, la constance et le suivi requis pour notre action quotidienne. Troisièmement, une stricte politique de déport a été instaurée, conformément au souhait du législateur. Nous avons élaboré des lignes directrices, de manière à ne pas avoir à connaître des dossiers des personnes relevant d'une institution que nous avions fréquentée ou que nous pourrions connaître personnellement. Dans mon cas, la liste est longue, monsieur le président car, vous le savez, j'ai connu par exemple certains d'entre vous dans le cadre d'autres fonctions. En cas de déport, nous n'avons pas accès au dossier concerné et nous quittons la salle de réunion au moment où il est évoqué.

J'observe enfin que des débats sont en cours sur la question de la publicité de certaines déclarations des membres des autorités administratives indépendantes. Je me suis déjà exprimé sur cette question. Je sais que le Parlement est en discussion avec le Gouvernement et certains de ses conseils...

On doit pourvoir contrôler les contrôleurs c'est un principe républicain à toujours suivre. Cela me conduit à évoquer la question du pantouflage qui a pris un tour particulier ces dernières années. Je l'ai dit aussi, même si objectivement cela ne concerne pas la Haute Autorité au regard de ce qui est son champ de compétence, il est souhaitable de renforcer substantiellement les règles qui entourent la question du contrôle du pantouflage. Je sais que le Sénat sera exigeant sur ce sujet.

Pour revenir à l'exercice des compétences que la loi nous a confiées depuis un peu plus de deux ans et demi, nous avons eu à créer nos procédures pour trois grands métiers : le contrôle des déclarations, la prévention des conflits d'intérêts et le contrôle du pantouflage pour les anciens ministres et les anciens élus locaux.

J'ai très tôt pris la décision de ne pas déléguer aux rapporteurs la gestion complète des dossiers qui leur étaient confiés, contrairement à ce qui est pratiqué dans d'autres autorités administratives indépendantes dont certaines exercent d'ailleurs dans un champ voisin du nôtre. Cette importation d'un modèle néo-juridictionnel ne m'est pas paru le bon, car nous sommes une institution administrative et non juridictionnelle. Le principe hiérarchique s'y applique donc sur l'ensemble de l'instruction. En effet, contrôler des déclarations nécessite que l'ensemble des déclarants soient placés sur un strict pied d'égalité et c'est donc moi qui signe tous les courriers de demande de précisions, comme vous le savez. Ceci permet de s'assurer que, dans une même situation, nous posons les mêmes questions. Il en va de même pour les délibérations que prend le collège : nous nous appuyons sur les délibérations passées pour assurer la cohérence de notre doctrine administrative et un traitement égal de l'ensemble des déclarants.

Cette méthode nous a permis de publier les déclarations des membres du Gouvernement en juin 2014, les déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires en juillet 2014, d'adresser les déclarations de situation patrimoniale des députés et des sénateurs de la série 1 en préfecture en juillet 2015, tandis que nous nous apprêtons à publier celles des adjoints au maire et des conseillers départementaux. J'observe qu'aucun contentieux n'est venu à ce jour annuler ou invalider notre travail.

Au total, notre objectif principal a été de trouver le juste positionnement dans l'exercice de nos missions. Avons-nous tout réussi ? Certaines pratiques sont-elles perfectibles ? Assurément et je m'en suis ouvert au président Pillet la semaine dernière. Je vous l'ai dit, beaucoup de nos difficultés proviennent d'un démarrage chaotique du fait de l'entrée en vigueur des lois nouvelles et de moyens insuffisants. Il y faut un peu de temps.

Certains voient en nous une institution administrative attisant le soupçon à l'encontre des élus. Tel n'est pas le cas. Nous concevons notre mission de manière diamétralement opposée. Plus encore, le bilan de notre activité tend à prouver le contraire. Je vais vous donner deux exemples. Premièrement, nous avons adressé, en juillet 2015, les déclarations de situation patrimoniale de l'ensemble des députés et des sénateurs de la série 1 en préfecture. Vous savez que les électeurs peuvent les y consulter. Nous avons reçu, en tout et pour tout, deux signalements portant sur ces déclarations, dont l'un a été classé, l'autre étant en cours d'analyse. Nous sommes loin du soupçon généralisé que d'aucuns redoutaient. Deuxièmement, une large part de notre activité - dont il est vrai qu'elle est secrète, comme la loi l'a voulu -, consiste à conseiller les responsables publics qui se posent des questions de nature déontologique : puis-je accepter une activité de conseil en parallèle de mon mandat municipal ? Quelles participations financières puis-je conserver en gestion directe quand je prends la tête d'une grande entreprise publique ? À quelles conditions puis-je préparer ma reconversion dans le secteur privé quand je suis membre d'un cabinet ministériel ou directeur général ? - même si c'est, in fine, la commission de déontologie qui est compétente.

Notre travail est de délivrer des avis confidentiels aux personnes qui les sollicitent, de manière à leur apporter une expertise en matière déontologique. Cela consiste à les avertir sur les risques pénaux encourus, mais aussi à les conseiller pour éviter qu'elles ne se trouvent en situation de conflit d'intérêt. C'est une mission que nous partageons, pour les sénateurs, avec le comité de déontologie parlementaire du Sénat, présidé par M. Pillet, et je sais que nous partageons cette philosophie d'action fondée sur le conseil de proximité.

Qu'est-ce qui nourrit le soupçon à l'égard des responsables publics ? C'est une infime minorité qui jette le discrédit sur le grand nombre. En deux ans, nous avons transmis quinze dossiers à la justice, principalement pour des actifs à l'étranger non déclarés. Il revient à l'autorité judiciaire de déterminer l'origine de ces fonds et de qualifier pénalement les comportements sous-jacents, quand ils existent. Deux dossiers ont déjà été audiencés et se sont traduits par deux condamnations, portant sur des membres du Gouvernement ou du Parlement qui ont voté des lois sur la matière fiscale ou même sur le délit de déclaration mensongère de patrimoine et qui, à titre personnel, se sont exonérés de toutes responsabilités.

Ce qui, pour moi, nourrit également le soupçon à l'égard des responsables publics, c'est que notre justice ne soit pas en mesure de mener des procédures pour mettre fin rapidement aux comportements anormaux qui peuvent être ceux, par exemple, des membres des cabinets ou des grandes administrations avec de grandes entreprises françaises ou étrangères. C'est que les magistrats se montrent parfois peu enclins à prononcer des peines d'inéligibilités que le législateur a prévues dans des cas où les faits d'atteinte à la probité publique sont pourtant gravement avérés ainsi que toutes les démocraties qui nous environnent le pratiquent. Voilà à mon sens d'où nait la défiance dont pâtissent nos institutions et dont souffrent ceux qui exercent leurs fonctions, élus comme fonctionnaires ou magistrats au service de la République en y consacrant leurs soirées et leurs jours fériés, c'est-à-dire l'immense majorité des élus.

La défiance provient des lois qui ne sont qu'effets d'annonce et du sentiment que certains se penseraient être au-dessus des lois. À mon âge, on est à la fois libre de sa parole - pour avoir déjà beaucoup donné et reçu dans ma vie professionnelle, je n'attends plus rien - mais on est aussi impatient, car le temps passe, de voir les questions posées véritablement et les réponses apportées concrètement. J'espère que le projet de loi que vous examinerez en séance dans quelques semaines permettra d'avancer sur ces questions.

Je reviens à mon sujet pour affronter les critiques qui sont parfois énoncées. Ces premières années n'ont pas été sans difficultés. Je pense que nous avons fait au mieux compte tenu des moyens mis à notre disposition mais je souhaite évoquer ouvertement devant vous, comme vous m'y avez invité, monsieur le président, ce qui a pu constituer des sources de tension, mais aussi de progrès.

La plupart des critiques qui nous sont adressées portent sur les déclarations de patrimoine, qui existent, au demeurant, depuis 1988 ! La déclaration est un outil essentiel, même si je sais que ce n'est pas un exercice particulièrement agréable, pour m'y être plié moi-même comme l'ensemble des membres du collège de la Haute Autorité. Ce qui a changé fondamentalement, c'est que la loi a prévu que ces éléments sont désormais contrôlés et, en certains cas, mis à la disposition du public, après en avoir retiré les adresses, les numéros de téléphone, le nom du conjoint, etc. Sur ces points, on n'a d'ailleurs pas relevé de difficultés alors que cela nécessite un travail de fourmi des agents !

Quelles sont alors les difficultés que l'on peut pointer ? J'en vois cinq.

En premier lieu, la Haute Autorité n'a pas besoin de recevoir une déclaration tous les deux mois. C'est pourquoi nous avons proposé, dans notre rapport d'activité, que le délai de dispense entre deux déclarations, soit porté de six mois à un an. Cela réduit la paperasse pour les déclarants et me permet d'allouer nos maigres moyens à des tâches plus essentielles.

Deuxième sujet de préoccupation majeur pour la Haute Autorité, l'impossibilité de respecter, jusqu'à présent, les délais de publication fixés par la loi. Pour rappel, la loi donne deux mois aux déclarants pour déposer leurs déclarations, puis un mois à la direction générale des finances publiques pour qu'elle nous livre son avis et enfin trois mois pour que nous les rendions publiques après les avoir contrôlées. Ceci signifie que notre analyse doit être comprise dans un délai de trois mois. Ce calendrier ne permet à l'évidence pas de contrôler efficacement les éléments déclarés. En effet, quand nous sollicitons un solde de compte bancaire auprès d'une banque, le délai de réponse moyen est de deux mois. Par ailleurs, nous laissons au minimum trois semaines aux personnes à qui nous posons des questions pour y répondre.

Publier les déclarations dans ce délai reviendrait à publier des déclarations non contrôlées, au détriment des déclarants. Je m'y suis donc refusé. Cela reviendrait également à réduire à peau de chagrin le temps indispensable pour dialoguer et échanger sur les différents points faisant l'objet de notre contrôle, ce qui ne serait ni raisonnable ni admissible. A titre de comparaison, le délai moyen pour mener à bien un contrôle en matière d'impôt de solidarité sur la fortune est d'environ six mois, entre le départ de la première demande et la saisine éventuelle de la commission de conciliation. Ceci ne comprend pas le travail de collecte, en amont, des informations qui servent au contrôle. Au total, la durée moyenne de contrôle avoisine les 12 mois. Vous savez que l'administration peut demander des explications à tout contribuable sur plusieurs années passées. Nous ne sommes pas dans le même exercice, mais la comparaison n'est pas sans intérêt.

Ceci étant rappelé, il n'en demeure pas moins que les délais d'examen sont trop longs. Nous achevons tout juste le contrôle des déclarations des sénateurs qui ont déposé en décembre 2014. Nous avons pâti de notre manque de moyens et de l'afflux de déclarations au cours de l'année 2014.

Nous nous efforçons de concilier deux objectifs pour partie antagonistes : aller plus vite et permettre aux déclarants de répondre et de contester. Après la période d'installation et de rodage de l'institution, nous envisageons de façon plus favorable les échéances de 2017.

Troisième sujet de critique, les évaluations immobilières. Comme vous le savez, la loi confie à la Haute Autorité mission de s'assurer que les déclarations qui lui sont adressées ne comportent pas d'omission « substantielle » ou d'évaluation « mensongère ». Je vous l'indique clairement : nous ne sommes pas chargés d'évaluer les biens immobiliers. Nous ne sommes ni France Domaine, ni l'administration fiscale. Notre seule mission est de nous assurer que le tableau d'ensemble, qui, je le rappelle, est rendu public, est fidèle à la réalité. Pour prendre une métaphore, nous n'attendons pas une nature morte de Chardin, où chaque petit détail devrait être à sa place et figuré avec un réalisme parfait. A partir du moment où chaque élément est à sa place et où les ordres de grandeur sont respectés, cela convient.

Je ne souhaite pas donner aux évaluations immobilières plus d'importance qu'elles n'en ont réellement. Nous n'avons jamais transmis un dossier au Parquet uniquement pour un défaut d'évaluation, même important. Nous demandons le plus souvent une simple rectification, à l'issue du dialogue que nous avons avec le déclarant, si nous tombons d'accord. C'est la procédure de déclaration modificative, qui n'était pas prévue par la loi mais que nous avons initiée et privilégiée pour ajuster à la marge une déclaration à l'issue d'échanges qui demeurent confidentiels. Nous considérons que, sauf bonne raison d'en douter, une évaluation faite par un notaire fait foi. Il en va de même si le déclarant et l'administration fiscale se sont mis d'accord sur une valeur à l'issue d'un récent contrôle : nous l'acceptons systématiquement.

Comme vous le voyez, nous ne cherchons à piéger personne ni à imposer une évaluation. Nous incitons simplement les déclarants à rectifier les évaluations qui sont manifestement incorrectes au regard des prix du marché. Quand on évalue un bien dans le sixième arrondissement de Paris à 4 000 euros le m² sans raison particulière, nous ne pouvons pas rester cois, car que diraient les électeurs, sans parler de la presse ?

Se pose, en quatrième lieu, la question de nos relations avec l'administration fiscale. Nous sommes actuellement dépendant des informations que nous sollicitons auprès d'elle. Je n'ai aucun doute que la direction générale des finances publiques (DGFIP), quand nous demandons le solde d'un compte bancaire, nous le communique de manière exacte et le plus rapidement possible. Nos relations sont excellentes et je salue la façon dont l'administration fiscale, avec le professionnalisme qui la caractérise, répond à nos demandes d'informations. Toutefois, cette manière de procéder n'est pas sans incidence sur l'indépendance de la Haute Autorité. En effet, un regard extérieur pourrait considérer que notre travail dépend du pouvoir exécutif, alors même que nous le menons en toute indépendance.

Nous rencontrons, enfin, des difficultés pour obtenir des informations concernant les biens situés dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie malgré nos démarches répétées. Nous y reviendrons peut-être, car il y va de la bonne application de la loi.

Pour terminer, j'évoquerai les principales évolutions prévisibles après deux années et demi d'existence. Quid de celles du cadre législatif nous concernant ? Une évolution est déjà intervenue, qui concerne l'entrée en vigueur de la loi sur la déontologie et nous fait désormais connaitre de 15 000 déclarants - sans moyen supplémentaire à ce jour... Une autre est à intervenir, puisque le Gouvernement a proposé de nous confier la gestion d'un répertoire des représentants d'intérêts. C'est une proposition que j'avais faite en janvier 2015 en m'inspirant de la pratique mise en oeuvre dans les deux assemblées et notamment au Sénat à l'initiative du président Gérard Larcher. Quelle est la finalité du registre ? La transparence n'est pas une fin en soi. Elle n'a de sens que mise au service d'un autre objectif. Il s'agit ici de permettre au citoyen de voir les conditions d'élaboration de la loi tant au Parlement, ce qu'il peut déjà faire, qu'en amont, lors de la préparation des projets de loi. C'est donc ce que l'on appelle l'empreinte normative des textes qu'il faut restituer, c'est-à-dire l'ensemble des intervenants qui ont participé à son élaboration. Or, en l'état, le texte embrasse des acteurs trop variés.

J'avais suggéré, dans un premier temps, d'envisager un registre spécifique au pouvoir exécutif qui aurait pu, à terme, être fusionné avec le registre des deux assemblées pour créer un registre commun. L'Assemblée nationale a souhaité aller plus rapidement dans cette direction et le projet qui vous a été transmis prévoit un registre commun à l'ensemble des pouvoirs publics, et qui inclurait donc les assemblées parlementaires. Ceci me semble aller dans le bon sens, mais il faut prendre des précautions car il y va du respect de la séparation des pouvoirs.

Je pense que quatre conditions essentielles doivent être respectées si l'on souhaite s'engager dans cette voie. Premier principe, les parlementaires doivent pouvoir continuer à rencontrer librement toute personne, qu'elle soit inscrite ou non au registre. Deuxième principe, l'inscription au registre ne doit emporter aucune obligation à l'égard des assemblées parlementaires, qui doivent rester souveraines dans la délivrance des titres d'accès. Troisième principe, il doit appartenir aux assemblées parlementaires de définir les règles déontologiques applicables en leur sein aux représentants d'intérêts. Enfin, la Haute Autorité ne doit pouvoir sanctionner un lobbyiste pour ses agissements à l'égard d'un parlementaire que sur saisine du président ou du bureau de l'assemblée concernée.

Sous ces quatre réserves, qui me semblent faire du registre commun une simple plateforme technique, une base de données, je pense qu'il s'agit d'une bonne mesure, de nature à simplifier la vie des lobbyistes, qui n'auront plus qu'une inscription à effectuer, et à faciliter la consultation par les citoyens.

Sans entrer dans le détail du dispositif comme je l'ai fait lors d'une audition avec le président Pillet, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité de prévoir des conditions d'entrée en vigueur qui permettent de sensibiliser en amont les différents acteurs et de leur proposer un service de qualité. L'exemple de l'Irlande me semble éclairant : la loi est entrée en vigueur six mois après son adoption et le dispositif de sanction, un an après.

Autre point d'attention : la loi détermine des obligations déontologiques pour les représentants d'intérêts, en s'inspirant notamment de celles prévues par les assemblées parlementaires, qui ont été pionnières en la matière. Ces règles sont beaucoup trop rigides. En effet, le projet de loi dispose qu'elles sont directement fixées par la loi et pourront être précisées par décret du Gouvernement. Souhaite-t-on réellement modifier la loi à chaque fois que des adaptations seront nécessaires ? En la matière, l'expérience des assemblées est précieuse. Or, je crois que l'on compte au moins trois modifications en quelques années des codes de déontologie parlementaire applicables aux représentants d'intérêts. Heureusement qu'ils peuvent être modifiés par simple arrêté du Bureau !

Je crois que c'est le bon sens : il faut fixer quelques grands principes dans la loi - par exemple, la loyauté de l'information transmise - et renvoyer leur application à des lignes directrices de la Haute Autorité qui pourront s'adapter à la réalité du lobbying, au besoin en étant assisté de professionnels des secteurs économiques concernés. Le défi sera d'autant plus important que nous devrons réaliser cette incorporation en 2017, alors que de nombreuses échéances se présenteront qui vont probablement faire entrer et sortir du mécanisme des centaines de déclarants...

Je terminerai mon propos en évoquant un défi plus général, mais qui donne son sens au projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis, celui de la lutte contre la corruption. Une politique de lutte contre la corruption suppose une volonté affirmée. Or, c'est toujours en réaction aux affaires qu'elle a été envisagée et que notre droit a progressé. Une politique de lutte contre la corruption implique aussi une coordination nationale. Elle n'existe pas depuis que le Conseil constitutionnel a censuré les pouvoirs d'enquête du service central de prévention de la corruption, en 1993. Une politique de lutte contre la corruption nécessite enfin des institutions puissantes. Elles sont aujourd'hui éparpillées entre la Justice - et notamment le parquet national financier qui n'a pas les moyens des ambitions qu'on a placées en lui - et les chambres régionales des comptes. Ces lacunes expliquent que notre pays ne tienne pas la place qui devrait être la sienne dans les classements internationaux.

La création d'une agence chargée de la lutte contre la corruption est-elle de nature à résoudre ces difficultés ? Je veux bien le croire. Je l'espère même. Mais pourquoi, là encore, scinder les compétences et multiplier les acteurs alors que les procédures commencent à se mettre en place ?

La transparence n'est pas un effet de mode. C'est un mouvement de fond qui traverse l'ensemble des démocraties. C'est une notion que l'on trouve partout : transparence de la chaine du médicament, transparence de la rémunération des dirigeants d'entreprise, transparence des négociations commerciales internationales. Pierre Rosanvallon a théorisé ces évolutions et montré que bien comprise, bien cadrée, cette notion peut participer à la relégitimation de la démocratie représentative. C'est ma conviction et le sens de mon action.

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