Intervention de Jean-Louis Nadal

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2016 à 8h40
Audition de M. Jean-Louis Nadal président de la haute autorité pour la transparence de la vie publique

Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique :

Je retire de vos observations que la Haute Autorité fait son chemin. Le président Bas a touché du doigt un point important : le cancer, c'est la corruption. Mais il m'a semblé que son propos visait avant tout l'agence prévue dans le projet de loi pour la transparence de la vie économique, dont j'ai tout à l'heure dit un mot.

Je crois que la Haute Autorité, au travers de sa fonction de contrôle et de conseil à l'égard des décideurs publics, ouvre des pistes déontologiques. Ce travail est respecté, écouté, sollicité. La Haute Autorité est un bouclier protecteur. Nous sommes là pour vous éviter de vous exposer. Je peux comprendre que l'on veuille mettre de l'ordre dans la décision publique touchant aux grandes entreprises multinationales, mais j'observe que les décideurs publics, dans les grandes affaires, sont exposés à se laisser prendre dans l'imbroglio et c'est pourquoi je revendique, si agence de lutte contre la corruption il y a, la compétence de la Haute Autorité sur le contrôle et le conseil à leur égard. En République, le principe de l'égalité de tous devant la loi doit prévaloir. Or, alors que la personne morale est largement protégée - j'observe que la convention judiciaire d'intérêt public prévue par la loi Sapin 2 se traduira en une simple ordonnance : pas de peine, pas de sanction, pas d'inscription au casier judiciaire - il n'en va pas de même de la personne physique : un décideur public, le responsable des services juridiques de cette même personne morale, par exemple, peut être traduit devant un tribunal. C'est pourquoi je revendique la fonction de conseil déontologique de la Haute Autorité. Sans citer de noms, je puis vous dire que la liste est longue des personnalités en charge d'importantes responsabilités qui sont venues d'elles-mêmes exposer leur situation, et que nous avons aidées à faire le ménage dans leurs divers intérêts. Cette fonction de conseil est salutaire et protectrice.

J'en viens à la question des délais. S'ils n'ont pas été respectés - et je le revendique - c'est parce que j'ai préféré faire en sorte que le dialogue s'instaure entre le déclarant et la Haute Autorité. Nous portons sur tous ceux qui sont assujettis à déclaration un regard humain. Pour les déclarations relatives à un bien, par exemple, nous nous référons, via la DGFIP, à la base Patrim : lorsque la sous-évaluation ne dépasse pas 25 %, nous classons ; si, en revanche, elle est supérieure à 25 %, pour plus de 100 000 euros, nous entamons alors un dialogue avec le déclarant - seul à connaître toutes les caractéristiques de son bien. Au terme de quoi nous tombons presque toujours d'accord. Si tel n'est pas le cas, et qu'à l'issue de la discussion, la distorsion reste significative, nous procédons à une appréciation. Quant à entrer dans la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale, nous ne sommes allés jusque-là, à ce jour, que pour des comptes non déclarés à l'étranger, concernant une quinzaine de personnes. C'est de fait un sujet sur lequel l'émotion suscitée par l'affaire Cahuzac nous appelle à une vigilance sans faille.

Je ne qualifierai pas cette procédure de dialogue de « contradictoire », car nous ne sommes pas une juridiction. Nous ne prononçons pas de peine. Si la procédure est écrite, car le collège doit disposer, in fine, de tous les éléments d'appréciation, nous n'en fonctionnons pas moins par le dialogue - un dialogue qui s'engage à la demande du déclarant ou du rapporteur - pour aboutir à une solution d'apaisement.

M. Jacques Mézard, lorsqu'il souligne que notre action doit s'exercer sur l'ensemble du territoire, vise le problème des collectivités d'outre-mer. Ce problème est réel, et il importe que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, s'en préoccupe. Car le principe d'égalité doit être respecté. Ces collectivités, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, sont fiscalement autonomes. Ce sont les autorités fiscales locales qui doivent compléter l'information déjà limitée que nous délivre la DGFIP, ce qui pose des difficultés : les droits de propriété sont souvent moins bien définis ; les successions ne sont pas toujours réglées ; les revenus, le patrimoine, les bénéfices de sociétés ne font pas toujours l'objet d'une forme d'imposition, si bien que l'administration fiscale locale ne connaît pas toujours les comptes bancaires et les propriétés foncières localisées dans la collectivité ; les prérogatives et les moyens dévolus à l'administration fiscale sont généralement réduits, sans compter que ces services sont placés sous l'autorité de l'exécutif de la collectivité territoriale, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'indépendance - auxquels se heurte, au demeurant, la DGFIP, dans la lutte contre la fraude fiscale.

Cela dit, mes services n'ont pas ménagé leurs efforts et à force de rappels, de relances, ont obtenu des retours. Un ancien élu local vient ainsi de faire l'objet d'une lourde saisine devant le tribunal correctionnel. Mais c'est à un vrai travail de fourmi qu'il nous faut nous livrer.

J'en arrive au contrôle des membres des collèges d'autorités administratives indépendantes. Grâce à la commission d'enquête sénatoriale, une liste de ces autorités est désormais arrêtée. Nous savons clairement qui doit déclarer. Beaucoup d'assujettis ne voulaient pas se soumettre à déclaration, et certains se sont même évaporés. Il nous a fallu aller à la pêche, et mettre de l'ordre. En septembre 2015, nous avions un taux de déclaration de 80 %. La Haute Autorité a mené une campagne de contrôles ciblés : elle a engagé 75 relances à ceux qui ne s'étaient pas manifestés, assorties d'un délai de réponse sous huit jours ; 29 injonctions ont été faites à ceux qui n'avaient pas répondu, avec un délai d'un mois pour y déférer. À ce jour, huit transmissions ont été faites au Procureur de la République, concernant des personnes n'ayant pas déféré à l'injonction. Hormis ces transmissions ainsi que les abandons ou démissions, les obligations déclaratives, auxquelles sont aujourd'hui soumises 638 personnes au sein des autorités administratives indépendantes, sont toutes réputées satisfaites pour celles dont le délai de transmission a expiré.

M. Alain Vasselle m'interroge sur le pantouflage. Depuis 1995, la commission de déontologie gère le départ vers le secteur privé des agents publics. La Haute Autorité s'est vu confier ce contrôle, en 2013, pour les ministres et les présidents d'exécutifs locaux. Plusieurs anciens ministres l'ont déjà saisie. Parmi les élus locaux, la règle est encore mal connue, mais la Haute Autorité a pris avec eux des contacts en 2015. La loi du 21 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a renforcé les pouvoirs de la commission de déontologie mais également clarifié les compétences respectives de la commission et de la Haute Autorité. C'est à la Haute Autorité qu'il revient de traiter de la situation d'un ancien maire ou d'un ancien ministre qui est aussi agent public. Plusieurs cas ont soulevé quelque émotion - mais je ne citerai pas de noms. Un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale pour confier à la Haute Autorité le contrôle du pantouflage des hauts fonctionnaires exerçant un emploi à la décision du Gouvernement et des collaborateurs ministériels. Il n'a pas été adopté. Je ne suis pas thuriféraire des fusions-absorptions, mais quand on parle de simplification, mieux vaut éviter de se disperser et savoir clairement qui fait quoi. Or, ces hauts fonctionnaires déclarent à la Haute Autorité patrimoine et intérêts. Il serait logique, quand ils veulent aller vers le secteur privé, qu'ils passent par la Haute Autorité. Disons-le clairement, dans une situation qui a agité la presse il y a quelque temps, nous aurions vraisemblablement pris la même décision que la commission de déontologie. Il faut prendre le problème du pantouflage à bras le corps. Ce qui suppose de se pencher sur les évolutions de la jurisprudence dans le cadre des affaires en cours et de revoir les dispositions de l'article 432-13 du code pénal.

Je suis disposé, monsieur Pillet, à nouer le dialogue, mais c'est le Parlement qui fait la loi, nous ne faisons que l'appliquer. Or, je le dis clairement, nous ne pouvions pas tenir le délai qu'elle prévoit, qui nous mettait dans un étau. Si nous l'avions fait, il y aurait eu des dégâts. Quand une déclaration nous arrive prima facie, la contrôler à la sauvette serait un véritable danger alors que sa publication la met sous l'oeil du citoyen et de la presse. Nous sommes là, encore une fois, pour protéger. Vu la masse énorme des déclarations à traiter, si l'on notifiait quitus et publiait à l'issue de chaque examen, tous ceux qui restent en attente seraient en droit de s'offusquer. C'est pourquoi nous avons choisi de procéder par blocs - ministres, parlementaires, etc.

J'en viens à l'importante question du registre. Sa mise en oeuvre sera d'autant plus complexe que son champ, limité au départ à 5 000 personnes publiques, a été étendu à plus de 15 000 d'entre elles, notamment du fait de l'inclusion des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. Les obligations déontologiques imposées aux lobbyistes seront difficiles à vérifier et surtout difficiles à mettre en oeuvre. Dans sa configuration actuelle, ce registre n'a pas d'équivalent à l'étranger. S'agissant de la première régulation d'ensemble du lobbying en France, il y a un important effort de pédagogie et de sensibilisation à mener. Quatre critères me semblent indispensables pour qu'un tel registre soit effectif. En premier lieu, son champ ne saurait être étendu à l'infini, et doit rester limité. À ce titre, l'inclusion des collectivités territoriales peut faire question. En deuxième lieu, sa mise en oeuvre devra être davantage échelonnée, sur plusieurs années, pour une entrée en vigueur progressive. Il faut également retarder l'applicabilité des sanctions pour faire d'abord oeuvre de sensibilisation. L'effort de pédagogie, encore une fois, est essentiel. En troisième lieu, faculté doit être donnée à la Haute Autorité de préciser les conditions de mise en oeuvre de la loi. Par exemple, qu'est-ce qu'une « activité accessoire de représentation d'intérêts » ? La Haute Autorité doit pouvoir élaborer des lignes directrices pour l'application de la loi, faute de quoi, l'insécurité juridique sera grande. C'est ainsi que l'on procède à l'étranger. Enfin, nous avons besoin de moyens humains et matériels complémentaires, sans lesquels nous ne pourrons mener notre mission. Quant au respect, essentiel, de la séparation des pouvoirs, je n'y reviens pas. L'État de droit, c'est l'affaire de tous, et la Haute Autorité est là, face à un dysfonctionnement majeur impliquant un parlementaire, pour prendre l'affaire en charge, après avis du bureau de l'assemblée concernée.

J'insiste, pour finir, sur la valeur que j'attache à la pédagogie de l'apaisement. Nous sommes là pour protéger. Mais dans la plupart des situations où nous avons saisi la justice, étaient impliquées des personnalités bien connues, que l'on a pourtant vu remonter à la surface, dans la vie publique, comme sous l'effet de la poussée d'Archimède. Résultat, on ne croit plus ni à la politique ni à la justice, au risque d'être entraînés vers des errances dont il faut bien prendre la mesure. Il est pour moi essentiel que les magistrats prennent leurs responsabilités sur la peine d'inéligibilité.

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