Intervention de Bruno Foucher

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 juin 2016 à 10h30
Audition de M. Bruno Foucher président de l'institut français

Bruno Foucher, président de l'Institut français :

Merci pour votre accueil. Ambassadeur au Tchad, puis en Iran pendant de nombreuses années, j'ai beaucoup apprécié la diplomatie parlementaire, notamment celle menée par le Sénat en Iran. Dans ce pays, je ne recevais pas beaucoup de visites, et celles de vos collègues ont enclenché un courant d'échanges politiques. Après un déplacement effectué par deux sénateurs des Français de l'étranger, il y eut la mission complexe conduite avec succès par M. Marini, puis une visite de MM. Legendre et Reiner. Enfin, le président du Sénat et celui de la commission des affaires étrangères sont venus pendant plusieurs jours, illustrant l'évolution de nos échanges avec l'Iran sous le président Rohani. Bref, je sais trouver au Sénat des oreilles attentives, des conseils et du soutien.

J'ai été nommé en janvier, en effet, dans des conditions dramatiques, après la disparition de M. Pietton, qui était un collègue que je connaissais de longue date, et un diplomate de haut vol. J'ai pris la présidence de l'Institut français dans un contexte international très mouvant, tout particulièrement dans les zones où nous opérons prioritairement : Europe, Afrique, Moyen-Orient... J'ai toujours été persuadé que la culture était un complément indispensable du politique et de l'économique pour faire valoir les atouts considérables de notre pays et lui faire jouer un rôle à sa mesure. En Iran, renouer des relations politiques a favorisé un retour spectaculaire de nos opérateurs économiques. C'est le moment de cimenter cette relation par des échanges culturels. Les Iraniens le demandent, et cela favorisera l'évolution de ce pays vers une attitude coopérative.

Vu de l'étranger, la culture est sans doute emblématique de notre pays. C'est notre façon de vivre, notamment, qui attire et fait de la France la première destination touristique mondiale. En 2015, la sympathie exprimée pour la France frappée par le terrorisme s'adressait largement à la patrie des arts, qui favorise la liberté, et en particulier la liberté d'expression. Notre dimension culturelle est notre miroir à l'étranger. Lors des récentes inondations, la presse étrangère se préoccupait beaucoup du sort du Louvre et du musée d'Orsay.

Il est vrai que nous avons un périmètre d'action privilégié : l'aire francophone. Il y a 274 millions de francophones dans le monde. Selon la Secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), ils pourraient être 750 millions à l'horizon 2060 : l'aire d'influence du français égalerait alors celle de l'anglais - langue maternelle. Le français est la huitième langue la plus parlée dans le monde, la deuxième langue la plus influente et la quatrième langue d'affaires. Il y a 115 millions d'apprenants du français dans le monde.

Nous disposons d'un réseau qu'on nous jalouse : 160 services culturels, 97 instituts français disséminés sur les cinq continents, 813 alliances françaises, 494 établissements français scolarisant plus de 350 000 élèves dans 136 pays. Nous avons des opérateurs très actifs dans le domaine de l'audiovisuel et de l'enseignement du français. Ce maillage très fin nous permet de déployer une diplomatie d'influence. On parle volontiers de soft power, un concept élaboré par un politologue américain et que, personnellement, je conteste, car le soft power n'a de sens que couplé au hard power et, dans ces expressions, c'est le mot power qui compte. Nous ne cherchons pas à convaincre les autres de penser comme nous ! Notre diplomatie d'influence consiste à introduire dans le débat mondial notre façon de nous exprimer. En développant les échanges, la diversité, le métissage et la pluridisciplinarité, nous favorisons la tolérance, ce qui s'inscrit dans l'héritage des Lumières. Tel est l'ADN de l'Institut français - aux antipodes d'une logique de domination de l'autre.

Pour être en ordre de bataille, il nous faut un opérateur stratégiquement bien orienté, opérationnellement efficace, institutionnellement reconnu et politiquement soutenu. Le réseau culturel français et nos partenaires internationaux attendent de nous que nous fassions connaître notre culture, nos créations, nos artistes et nos industries culturelles, que nous fassions aimer notre langue et que nous promouvions nos idées et nos valeurs partout dans le monde.

L'Institut français est en ordre de marche, après une année 2015 difficile du point de vue de la gouvernance : trois présidents se sont succédé, avec une présidence intérimaire très bien assurée par Mme Tallineau. La situation est en train d'évoluer. Après trois ans de négociations, une convention d'entreprise a été signée avec les partenaires syndicaux en août 2015, ce qui a permis d'apaiser le climat social au sein de l'établissement. Il me semble que l'épisode du non-rattachement du réseau culturel est derrière nous. L'Institut travaille désormais à son projet stratégique, en discussion avec les tutelles, afin d'élaborer un contrat d'objectifs et de moyens (COM) - le précédent était échu en 2013 - dont le Parlement devrait être saisi prochainement.

Ce COM réaffirmera notre mission de valorisation internationale de la création artistique et intellectuelle et des industries culturelles et créatives, de promotion de la langue française et de soutien au dialogue des cultures. Bien sûr, nous devrons disposer des moyens nécessaires ! L'Institut français est l'instrument français de la diplomatie culturelle, et son unique acteur pluridisciplinaire. La transversalité est notre force, puisqu'elle nous permet de favoriser le décloisonnement culturel et donc la créativité.

Si le principe d'universalité de notre réseau n'a pas été remis en cause, la baisse de nos moyens nous conduit à recentrer progressivement notre action sur des zones géographiques privilégiées. Alors que le précédent COM comportait des actions prioritaires dans 78 pays, le prochain ramène ce chiffre à une quarantaine. Il s'agit de grands pays prescripteurs, de pays émergents ou néo-émergents, de pays d'Afrique et des rives Sud et Est de la Méditerranée. Nous avons l'intention de contractualiser avec ces pays prioritaires pour y encadrer l'action de l'Institut français pendant les années à venir, afin de mieux la planifier. Pour les autres pays, nous définissons des zones où nos interventions seront mutualisées. Enfin, tous les autres pays conservent naturellement l'accès à l'ensemble de nos missions de conseil et de nos plateformes et outils informatiques et numériques.

Nous continuerons d'accorder une attention particulière à l'Afrique, où la coopération culturelle, historique, mérite d'être valorisée à la hauteur des enjeux que représente le continent. À Bamako, Ouagadougou ou ailleurs, nous continuerons à monter des manifestations malgré la dégradation des conditions de sécurité.

En France, nous souhaitons être un partenaire incontournable pour les collectivités territoriales. Vingt-sept conventions sont signées, pour un montant total de 1,1 million d'euros, que nous avons commencé à revisiter. Je me suis rendu à Bordeaux et à Lyon et dois aller dans les Hauts-de-France et à Nantes. L'objectif est de concentrer nos interventions sur des actions stratégiques pour éviter le saupoudrage.

Après le grand succès de la Nuit des idées au Quai d'Orsay l'an dernier - 8 000 inscrits, 12 000 connexions Internet - nous souhaitons renouveler l'expérience, mais en la sortant du Quai d'Orsay. L'événement aurait lieu le dernier jeudi du mois de janvier 2017, dans de nombreux lieux culturels en France, notamment à Paris, et à l'étranger. Le thème serait « un monde commun ». Je compte proposer au Président du Sénat d'accueillir un événement au Palais du Luxembourg. Il y en aura sans doute aussi à Sciences-Po et à l'École normale supérieure. La couverture médiatique sera mondiale : les différents lieux qui l'accueilleront simultanément dialogueront et communiqueront grâce aux techniques numériques.

Les saisons croisées, que vous connaissez bien, sont une spécialité de notre maison. L'année France-Corée, lancée en mars dernier, a été marquée par la venue de Mme Park à Paris. C'est une saison qui englobe pas moins de 400 événements. Nous allons lancer le 16 décembre 2016 à Bogotá la saison croisée France-Colombie. Déjà, plus de 200 évènements sont programmés ou labellisés. Les prochaines saisons croisées doivent avoir lieu avec Israël en 2018, avec la Roumanie en 2019 et avec le Qatar en 2020. Nous sommes en train de réfléchir à cette programmation. Trop souvent, l'Institut est prévenu après coup et la saison annoncée ne recoupe pas toujours des intérêts économiques clairement affichés, ce qui complique notre recherche de moyens financiers auprès des entreprises pour monter ces opérations coûteuses - en moyenne 3 millions d'euros, voire plus. L'Inde, l'Iran, l'Australie, l'Indonésie ou le Nigéria intéresseraient sans doute davantage nos mécènes.

En octobre prochain, nous serons invités d'honneur à la Foire du livre de Francfort, la plus grande au monde. Cela fait 28 ans qu'il n'y a pas eu d'évènement culturel majeur avec l'Allemagne ! Or il existe entre les jeunes générations des deux pays un déficit de communication, qui concerne aussi la traduction et la lecture et qu'il faut combler en resserrant nos liens académiques et culturels.

Nous allons continuer, à la demande du ministère des affaires étrangères, de développer notre offre numérique. Nous construisons une plateforme numérique, IF360, qui donnera à des publics du monde entier accès à la production culturelle française.

Nous sommes présents à Cannes chaque année. Cette fois, douze films que nous avions cofinancés avaient été sélectionnés. Notre programme « la Fabrique des cinémas du monde » est très apprécié : dix réalisateurs du monde sont formés pendant une dizaine de jours sous l'autorité d'un grand cinéaste - cette année, c'était Jia Zhangke. Ce sont les cinéastes de demain, et 70 % d'entre eux trouvent à Cannes des producteurs. Signalons aussi notre présence à la Biennale d'architecture de Venise, où nous sommes l'opérateur du pavillon, même si cette année nous n'avons pas eu de prix.

En tout, l'Institut mène environ 3 500 projets par an (qui représentent 8 000 mandatements), répartis comme suit : 24 % en Asie, 15 % dans l'Union européenne, 12 % en Amérique, 7 % dans la zone DAOI, 5 % dans la zone ANMO et 6 % en France. Les arts de la scène concentrent 23 % de nos crédits, les arts visuels 15 %, le livre et le débat d'idées 15 %, le cinéma 12 % et les projets pluridisciplinaires 15 %. Nous terminerons l'année 2016 avec les ateliers du réseau, qui constituent une formation pour nos agents : le 16 et le 17 juillet, nous les réunissons à la Villette sur le thème « la culture à l'épreuve des bouleversements du monde ». Vous êtes tous invités !

Toutes ces activités nécessitent des moyens. Nous sommes très dépendants de la subvention versée par l'État, qui représente 75 % de nos 40 millions d'euros de recettes. Or elle a baissé, en cinq ans, de 21,5 %. Et nous avons d'importants coûts fixes. En particulier, nous devons nous acquitter jusqu'à fin 2017 d'un loyer élevé car le bâtiment loué en 2010 dans le cadre d'une logique de rattachement du réseau, est surdimensionné pour nous. Du coup, nos crédits d'intervention ont diminué de 34 % en moyenne. Pour les arts de la scène, la baisse atteint 50 %. Nous nous voyons contraints d'écrémer nos aides, de réduire nos zones géographiques d'intervention, à telle enseigne que nous nous demandons s'il existe vraiment une volonté d'avoir une politique d'influence. J'ai signalé au ministre des affaires étrangères que si la baisse se prolongeait, nous devrions sacrifier des secteurs entiers de notre activité. En effet, les grands lieux prescripteurs sont souvent coûteux.

La subvention du ministère des affaires étrangères est dix-huit fois plus élevée que celle du ministère de la culture, qui sera notre deuxième tutelle à partir du mois de juillet. Nous souhaitons que cette deuxième tutelle nous soutienne davantage. Parmi les autres sources de financement, il y a le mécénat. Le programme des saisons capte une très grande partie des libéralités que nous obtenons dans ce cadre. Mais tous les acteurs sollicitent les mêmes entreprises. Aussi devons-nous prévoir pour elles des contreparties. Le mécénat contribue aussi à quelques programmes ponctuels, comme celui de la Villa Kujoyama, c'est-à-dire l'ancienne villa Claudel, rénovée dans les années 1990, où nous recevons chaque année quatorze lauréats. Nous allons valoriser ce programme en montrant au public français la production qui en résulte, en association avec la Villa Médicis et la Casa Velázquez. Nous sommes en conversation avec Orange, qui dit vouloir développer son mécénat en Afrique.

Nous développons notre recherche de financements européens grâce à une cellule dédiée. Mme Mogherini a fait des déclarations sur la politique culturelle qu'elle voudrait construire en marge de la politique diplomatique dont elle est chargée au sein du Service européen pour l'action extérieure (SEAE). Nous avons obtenu un premier succès en remportant en 2016 un appel d'offres de la Commission à propos d'un programme d'éducation à l'image appelé CinEd. Cela nous apportera environ 540 000 euros sur deux ans.

Nous travaillons aussi, à la demande du réseau, au développement des cours de français en ligne. C'est un projet d'avenir, que je présenterai demain en conseil d'administration. Il existe encore d'autres pistes que je suis en train d'explorer, comme les plateformes de financement participatif - ou crowdfunding - dont la rentabilité ne me paraît pas évidente, ou les contrats d'offsets. J'ai également suggéré la création d'un club des amis de l'Institut français, qui regrouperait quelques entreprises susceptibles de nous aider.

Au total, nous restons très dépendants des subventions que nous obtenons de l'État, et nous craignons qu'elles ne continuent de diminuer. Nous avons été l'opérateur culturel le plus pénalisé au cours des cinq dernières années.

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