Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 mai 2016 à 9h04
Ratification de l'accord portant création de la banque asiatique d'investissement dans les infrastructures — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, rapporteur :

Finalement, la question de fond que vous posez revient à se demander s'il faut avoir peur de la Chine. En premier lieu, cela ne sert à rien d'avoir peur en politique étrangère et en second lieu, cela dépend de la vision que l'on a du monde. En France, la vision de la politique étrangère est celle d'un monde multipolaire. L'émergence de la Chine contribue à un nouvel équilibre du monde et c'est aussi le moyen de ne pas avoir pour seul interlocuteur les États-Unis. La paix, qui est notre objectif final, ne doit pas être imposée au reste du monde par une seule grande puissance, mais doit être le résultat d'un équilibre entre les pays. Le fond de l'affaire, c'est que la pensée chinoise n'est pas une pensée de l'affrontement. Songer qu'au XVe siècle l'amiral Zheng He arrive en Afrique avec une véritable armada mais qu'il ne lui vient pas à l'idée de coloniser les territoires qu'il visite. On n'a pas affaire à un peuple qui pratique l'affrontement, même si cela ne veut pas dire qu'il ne défend pas ses intérêts. L'élément important, c'est « le potentiel de situation », comme cela a très bien été montré par François Julien notamment, la création d'un rapport de forces tel que les adversaires n'ont pas intérêt à vous attaquer. Ainsi pour les Chinois, le général le plus brillant n'est pas celui qui gagne la guerre mais celui qui se met en situation de ne pas avoir à la livrer.

La Chine construit l'AIIB et obtient l'entrée du renminbi (RMB) dans le panier des droits de tirage spéciaux (DTS), c'est à dire qu'elle construit son « potentiel de situation », sans agressivité, en associant les autres pays. Naturellement, il y a derrière tout cela une volonté de puissance marquée par une ambition d'abord asiatique. La Chine veut être « le leader » de cette région en vue d'être une puissance mondiale majeure. La recherche de l'équilibre « à la française » ne peut s'exprimer que par la voie multilatérale. Que des outils multilatéraux se créent, c'est la moins mauvaise des solutions, car ils permettent d'associer le plus de partenaires possibles. Le fait que la Chine investisse dans l'ONU, comme le dit Robert del Picchia, me paraît positif car on reste dans un cadre multilatéral. Je serais davantage inquiet si elle s'investissait à l'extérieur de l'ONU ! Le Président Cambon parlait de l'expérience de Madagascar et cela rejoint ce que disait Jeanny Lorgeoux sur l'Afrique. Les Chinois veulent corriger les difficultés connues en Afrique et ils souhaitent travailler avec la France en Afrique pour y construire une stratégie de long terme. Les Chinois ont une volonté de long terme et la France leur semble être un bon allié pour cela.

Pour répondre à Robert del Picchia, il y a douze sièges au Conseil d'administration dont trois hors région Asie. Il y a ainsi une chaise « zone euro », une chaise « Europe élargie » avec notamment le Royaume-Uni et une chaise « Emergents non asiatiques » avec le Brésil, l'Egypte et l'Afrique du Sud. C'est vrai qu'il y a des concurrences, comme le disait aussi Joëlle Garriaud-Maylam. Le Japon d'ailleurs a lancé son propre plan d'investissements de 110 milliards de dollars sur cinq ans et la Banque asiatique d'investissement a également fait son plan d'investissements en Asie. Cependant il y aura aussi des partenariats et des cofinancements comme l'accord le prévoit.

Pour répondre à Joël Guerriau, si nous sommes d'accord pour que la Chine soit un partenaire mondial dans un monde multipolaire, alors on n'a pas intérêt à dire « non » en permanence mais plutôt à aider la Chine à accéder à cette position. Le Royaume-Uni a été plus rapide que nous, mais je considère qu'il valait mieux répondre avec l'Allemagne et l'Italie que tout seul, même un peu plus tardivement. Le risque est d'apparaître comme velléitaire et comme manquant de confiance dans un monde multipolaire. Quand je vois que les Etats-Unis exigent des visas pour les Français qui ont fait un passage préalable en Iran alors qu'ils décident d'ouvrir l'Iran, je m'interroge sur l'intérêt qu'une seule grande puissance fixe des règles. S'agissant des droits de vote, il n'y a pas de risque de déséquilibre s'il y a de nouveaux entrants au capital. Il n'y a pas non plus de monnaies choisies mais on reste dans une logique d'internationalisation du RMB. Les propos des campagnes présidentielles américaines sont souvent en contradiction avec l'attitude des Etats-Unis par la suite. Ainsi, lors de son premier déplacement en Chine, en qualité de secrétaire d'Etat, Mme Clinton n'avait pas dit un mot de la question des droits de l'Homme. On voit bien qu'il y a une attitude destinée au public américain et une autre, celle de deux grandes puissances qui traitent entre elles.

Pour répondre à Yves Pozzo di Borgo, s'agissant des grandes entreprises françaises, elles travaillent assez bien en Chine et je ne suis pas très inquiet. Pour les PME, c'est différent, car il faut qu'elles y aient de bons partenaires. Les grands groupes trouveront des partenariats mais il faut construire des partenariats pour les PME car sinon, comment peuvent-elles profiter des opportunités ? Notre système d'export est fragilisé par le fait que les grands groupes ne portent pas les PME comme c'est le cas en Allemagne. Safran emmène des PME en Chine mais il y a assez peu de groupes français qui le font. Jean-Paul Emorine a tout à fait raison sur l'achat de terres par les Chinois. Vous avez été plusieurs à parler du triangle France-Chine-Afrique, je vous annonce qu'il y aura un grand forum sur ce sujet à Dakar fin 2016 en présence des premiers ministres français et chinois, des autorités sénégalaises et celles d'autres pays d'Afrique. S'agissant de la Russie, les relations entre la Chine et la Russie se sont améliorées. La Chine a toujours choisi la stabilité en matière de politique étrangère. Pour elle, un bon régime est un régime stable. Les Chinois ne se positionnent pas comme « les gendarmes du monde ». Ils considèrent que pour développer leur pays, ils ont besoin que le reste du monde soit stable.

Pour conclure, il se passe quelque chose de très intéressant aujourd'hui. Un nouveau monde se dessine avec de nouvelles puissances. La Chine y sera un facteur d'équilibre avec les Etats-Unis. Tout notre intérêt est de construire du « multilatéral » pour éviter d'être exclu.

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