Merci, monsieur le président. C'est pour moi un grand honneur et un réel plaisir de venir devant votre commission, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises durant ma vie professionnelle.
Je partage tout à fait vos réflexions sur les difficultés de la tâche et sur la nécessité d'essayer de faire en même temps avancer cette initiative, la situation l'exigeant à certains égards.
Je dois dire que l'aspect le plus intéressant et le plus positif que nous avons rencontré en lançant notre initiative, à travers les contacts que nous avons pu avoir avec nos différents partenaires, réside dans le fait que chacun partage à peu près l'analyse que nous faisons de la situation, avec plus ou moins de bonne grâce et de sincérité peut-être : tout le monde reconnaît que la situation sur le terrain se détériore, que la violence grandit, et qu'il s'agit de surcroît d'une violence à caractère individuel de plus en plus difficile à maîtriser par rapport à ce que l'on a pu connaître dans le passé dans les Territoires palestiniens. Cette violence illustre le désespoir et la désespérance d'une partie croissante de la population palestinienne.
Le second constat, c'est que le processus de paix, et plus particulièrement l'idée d'une solution de paix à travers la coexistence de deux États qui vivent en paix l'un à côté de l'autre - ce que l'on appelle la solution des « deux États » - apparaît aujourd'hui de plus en plus difficile à mettre en oeuvre. Cette solution semble avoir plutôt reculé par rapport aux efforts qui ont pu être faits tout au long des dernières années. Je pense à la conférence de Madrid, aux accords d'Oslo et à la mise en place de l'Autorité palestinienne.
Le sentiment général est que cette solution est aujourd'hui affaiblie et qu'il faut lui redonner un nouvel élan, la relancer, lui trouver une nouvelle dynamique. C'est tout l'objectif de notre initiative. Celle-ci se veut réaliste. Beaucoup de choses ont été tentées. Jusqu'à maintenant, cela n'a pas réussi, qu'il s'agisse des efforts de médiation des États-Unis, des efforts au sein du Conseil de sécurité, à travers toute une série de résolutions, ou des efforts de tel ou tel partenaire qui a essayé chacun son tour de trouver une solution. C'est aujourd'hui la France qui tente quelque chose.
Nous sommes très réalistes : nous ne voulons pas réinventer la roue, mais tirer parti de tout ce qui a été fait. Il y a eu, depuis 1967, énormément de textes et d'accords. Beaucoup de progrès ont été réalisés, même si on n'est pas arrivé à un véritable accord de paix, et nous voulons bâtir sur cet acquis. C'est ce qui nous paraît important.
Nous sommes d'autre part pragmatiques. Nous voulons avancer pas à pas, de manière progressive. Il nous semble que la bonne démarche consiste à éviter de bloquer nos partenaires et de veiller à ne pas faire de faux pas qui réduirait les chances de cette initiative.
Nous voulons enfin être flexibles. Vous avez peut-être vu que nous avons déjà témoigné de ce souci puisque, dans la première proposition que nous avions mise sur la table, nous voulions aller vite, avoir une réunion ministérielle en avril et la conférence en juillet. Nous avons compris, à travers les premiers contacts que nous avons eus, que ce serait plus long et plus difficile que ce que nous avions pensé.
Nous prévoyons à présent cette première réunion ministérielle le 30 mai - les invitations viennent d'être lancées par le ministre - et la conférence finale d'ici la fin de l'année, sans doute à l'automne.
Nous avons voulu être plus flexibles sur le calendrier afin de tenir compte de certaines contraintes qui nous ont été présentées par nos partenaires, d'abord ceux du Quartet, c'est-à-dire les Américains, les Russes, l'Union européenne et les Nations unies, qui ont été chargés d'un rapport sur la situation sur le terrain, et qui pouvaient avoir en quelque sorte le sentiment qu'on essayait de les marginaliser et de prendre leur place. Nous leur avons expliqué que ce n'était pas du tout le cas et que nous voulions travailler en bonne intelligence avec eux.
Dès lors qu'ils nous ont affirmé qu'ils pourraient sortir leur rapport avant la fin de ce mois, nous avons décidé de tenir cette première réunion ministérielle fin mai afin d'envisager, de façon assez naturelle et réaliste, de tirer parti du rapport du Quartet et de voir comment, à travers notre propre initiative, nous pourrions donner un écho aussi large que possible aux recommandations que le quartette pourrait faire dans les prochains jours.
L'autre raison, c'est aussi l'élection présidentielle américaine : vous en avez dit un mot, Monsieur le président. Cette élection devant avoir lieu aux États-Unis début novembre, nos amis américains nous disent qu'ils peuvent travailler avec nous, mais qu'il leur sera difficile de prendre des initiatives publiques trop fortes.
En revanche, entre l'élection proprement dite et l'arrivée du nouveau président, l'investiture ayant lieu le 20 janvier, une fenêtre d'opportunité pourrait être éventuellement utilisée. Les Américains nous ont d'ailleurs rappelé à bon escient que, si l'on regarde avec un certain recul leur Histoire, c'est souvent une période où les présidents des Etats-Unis ont réalisé des choses importantes sur le dossier du Moyen-Orient. Ainsi, c'est pendant cette période que le président Clinton a rendu publiques ses propositions de paramètres pour un accord de paix, qui restent aujourd'hui un élément important dans les réflexions que nous menons sur ce sujet. Autre illustration, peut-être un peu oubliée : lorsque le président Reagan, en décembre 1988, a quitté le pouvoir en le transmettant à son vice-président, George Bush père, lui-même républicain - ce qui a peut-être aidé -, l'Amérique a reconnu l'OLP. Comme vous le savez, cela a coïncidé avec le début d'une séquence intéressante, où l'on a vu l'administration Bush, et notamment son secrétaire d'État, James Baker, jouer un rôle très dynamique dans le processus de paix, qui a d'ailleurs abouti à la conférence de Madrid en 1991, puis aux accords d'Oslo. Cette phase est loin d'être négligeable.
Nos amis américains nous ont donc suggéré de tenir compte de cette réalité de la politique intérieure. Nous allons voir comment procéder.
L'objectif est donc d'avoir une réunion ministérielle fin mai, une conférence finale d'ici la fin de l'année et, entre-temps, des groupes de travail et, si nécessaire, des réunions des hauts fonctionnaires et des ministres pour essayer de faire avancer du mieux possible ce processus. Il s'agit d'essayer de se mettre d'accord tous ensemble et d'avoir un consensus sur ce que pourrait être le rappel des termes de référence, c'est-à-dire le cadre politique d'un accord de paix. Ces termes de référence, que certains appellent paramètres, il faut les réaffirmer, et vérifier qu'on peut être tous d'accord à ce sujet - ce qui est loin d'être gagné.
Nous avons énormément de textes, comme les résolutions du Conseil de sécurité - 242, 338 -, les conclusions de la conférence de Madrid, les accords d'Oslo, la feuille de route du Quartette, les déclarations faites par les deux parties au fil des ans sur les principaux dossiers, comme la question des frontières, du droit au retour des réfugiés, du statut de Jérusalem, la sécurité. Le Premier ministre israélien pose également la question de la reconnaissance de l'État juif, qui est un sujet très controversé, mais qui figure maintenant sur la table.
Des progrès ont été réalisés sur tous ces sujets, des déclarations ont été faites, et la question est à présent de voir comment la communauté internationale et ceux qui la représenteront dans le cadre de la conférence finale pourront parvenir à un accord sur ces termes de référence, de façon à recréer un cadre propice à l'avancement des négociations entre les deux parties. Il faut en effet entrer dans les détails, et les deux parties sont soucieuses de pouvoir avoir ces contacts directs dans le cadre réactualisé des termes de référence.
Notre souci est aussi de voir comment redonner une dynamique au plan de paix de Beyrouth proposé par les pays arabes en 2002, proposé à l'époque par l'Arabie saoudite, qui visait à la reconnaissance d'Israël en échange du retrait d'Israël des territoires occupés, du règlement des droits des réfugiés et de la mise en place d'un état palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.
Ce plan de paix n'avait jamais donné lieu à une réaction des autorités israéliennes pas plus que des autorités américaines, à l'époque sous administration Bush fils. Les autorités de tous ces pays arabes nous rappellent volontiers qu'ils sont prêts à réaffirmer que ce plan est toujours sur la table. Notre idée est de voir comment lui donner un caractère plus opérationnel. Cela nous semble pouvoir entrer dans la réflexion sur le cadre politique d'un accord de paix.
Nous voulons cependant aller plus loin et essayer de réfléchir à des mesures de désescalade qui pourraient faire baisser la tension sur le terrain, à des aides économiques, le jour où l'État palestinien se mettra en place, afin de lui permettre d'être viable économiquement. Nous désirons aussi travailler avec le gouvernement israélien et développer avec lui un partenariat privilégié dans le cadre d'un accord de paix, à travers l'Union européenne et des relations bilatérales, et enfin réfléchir au type de garanties de sécurité que l'on pourrait offrir au processus de paix pour lui donner toute sa chance.
Quelles ont été les réactions ? Du côté palestinien, nous avons reçu un soutien très appuyé. Le fait que la communauté internationale investisse à nouveau dans le dossier du processus de paix à travers l'initiative française est pour eux une bonne chose. Ils nous ont appuyés sans hésiter, avec beaucoup de force.
Les Israéliens, de leur côté, conservent une position attentiste à l'heure actuelle. Pour ne rien vous cacher, ils nous avouent volontiers qu'ils ne sont pas totalement enthousiasmés par notre initiative. Pour eux, la solution logique repose sur des négociations directes, sans interférence de la communauté internationale. Ce qui les préoccupe dans notre initiative, c'est qu'elle a précisément une dimension multilatérale. Vous le savez, Israël n'a jamais apprécié les ingérences du Conseil de sécurité dans ce dossier.
Ils n'ont toutefois pas fermé leur porte. Ils nous ont dit qu'ils attendaient de voir comment cette initiative allait se développer, ce qui me paraît une attitude réaliste. Ce qu'ils regardent en particulier, c'est de voir comment notre partenaire américain va réagir.
Du côté européen, il existe un soutien. Le ministre en a parlé récemment au Conseil des affaires étrangères, et un accord est intervenu. Il est variable selon chacun des États membres. Certains sont plus enthousiastes que d'autres mais, de manière générale, nos partenaires de l'Union européenne sont prêts à nous soutenir et souhaitent prendre leur part dans les efforts qui seront menés.
Du côté des Nations unies, on nous soutient sans difficulté dès lors qu'on a rassuré sur le fait qu'on ne remettait pas en cause le rôle et la responsabilité du Quartette.
C'est la même chose du côté de notre partenaire russe, qui s'est montré inquiet, compte tenu de leur place et de leur statut au sein du Quartette, et des risques que notre initiative pourrait porter à celui-ci. Dès lors que nous avons dissipé les malentendus, ils sont rassurés, mais eux aussi sont dans une position attentiste et attendent de voir ce que les autres vont faire.
Pour ce qui est des pays arabes, nous en avons déjà rencontré un certain nombre. Nous sommes en contact étroit avec l'Égypte, la Jordanie, l'Arabie saoudite, le Maroc, l'Algérie, et d'autres pays vont suivre, comme le Qatar et le Liban. Ces pays ont à l'heure actuelle beaucoup d'autres priorités en tête - conflit syrien, Libye, Yémen, relations avec l'Iran, problèmes de sécurité intérieure face aux phénomènes de radicalisation de beaucoup... Tous nous ont dit cependant qu'ils ne voulaient pas abandonner le dossier palestinien, qui leur paraît essentiel.
Les Algériens par exemple m'ont rappelé que leur population reste très mobilisée pour soutenir le peuple palestinien, et que notre initiative, de ce point de vue, est la bienvenue, car elle leur permet de réaffirmer le consensus autour du problème palestinien et de son cadre politique, en vue d'une solution de paix. Ils sont à nos côtés, et nous allons voir comment travailler utilement ensemble.
Restent les États-Unis. Le problème américain est double : il tient d'abord au contexte électoral, ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le président. L'administration Obama ne veut en aucune manière donner le sentiment de bouleverser les débats en cours et, par une éventuelle initiative, créer des réactions et des débats controversés pendant la campagne électorale.
Par ailleurs, notre initiative intervient à un moment où nos partenaires américains sont en train de réfléchir à ce qu'ils pourraient faire autour du dossier de processus de paix d'ici à la fin de l'administration Obama. Or, sur ce point, ils n'ont pas encore définitivement fixé leur position. De ce point de vue, avant de réfléchir à la question de savoir comment l'initiative française pourrait leur être utile dans leur réflexion sur le processus de paix, ils ont besoin de réfléchir entre eux sur ce qu'ils veulent faire. Veulent-ils prendre une nouvelle initiative ? Ce n'est pas certain, car il ne reste pas beaucoup de temps et qu'il existe bien d'autres sujets à traiter, comme la crise syrienne et les autres crises de la région.
D'autre part, s'ils devaient décider de prendre une initiative, quelle forme celle-ci pourrait-elle prendre ? Vous avez peut-être vu dans la presse américaine qu'on parle soit d'un grand discours de Barack Obama, soit d'une déclaration plus solennelle soit, s'ils avaient la possibilité d'aller plus loin, de réfléchir à une résolution au Conseil de sécurité. Rien de tout ceci n'est décidé. Peut-être ne feront-ils rien mais, visiblement, la réflexion est en cours. Le secrétaire d'État John Kerry sera à Paris lundi prochain. Il rencontrera le ministre à ce sujet, comme sur d'autres. Je pense que nous en apprendrons davantage à cette occasion.