Intervention de Pierre Vimont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 mai 2016 à 9h04
Préparation d'une conférence internationale sur le processus de paix au proche-orient — Audition de M. Pierre Vimont envoyé spécial du ministre des affaires étrangères et du développement international

Pierre Vimont, envoyé spécial du ministre des affaires étrangères et du développement international pour la préparation d'une conférence internationale sur le processus de paix au Proche-Orient :

Merci pour tous ces commentaires, où j'ai en effet senti un peu de scepticisme, mais sachez que je ne suis pas découragé parce que, à maints égards, vos constats, vos analyses, sont tout à fait réalistes et judicieux. Au quai d'Orsay, mes collègues et moi-même les partageons. Nous connaissons la difficulté de la tâche. Nous ne nous faisons pas d'illusions exagérées sur la manière d'avancer et sur les percées que nous allons pouvoir effectuer, en tout cas rapidement, mais nous partons d'un constat pessimiste sur la situation telle qu'elle se développe sur le terrain et les menaces qui apparaissent.

Encore une fois, aucun de nous ne veut se faire d'illusions exagérées mais le problème est simple : si la France a pris cette initiative, c'est parce que personne d'autre ne s'est présenté. Le dernier effort de John Kerry était tout à fait méritoire. Le secrétaire d'État américain s'était beaucoup investi, au point qu'aujourd'hui, il ne cache pas ses frustrations devant cet échec. Depuis cet effort, qui s'est achevé dans le courant de l'année 2014, il n'y a plus rien. Il existe un vide dans ce dossier. Doit-on laisser la situation ainsi, ou essayer patiemment, avec le soutien de tous nos partenaires de la communauté internationale qui le souhaiteront, de relancer à nouveau la dynamique et de redonner un horizon politique à ce processus de paix ? Il nous semble que c'est indispensable.

L'a-t-on bien fait ? L'a-t-on préparé de la bonne manière ? On peut toujours poser la question. Le premier mois a consisté pour nous à dissiper les malentendus, à rassurer ceux qui pouvaient être inquiets, et je crois pouvoir dire que tous, y compris nos partenaires allemands, sont prêts à nous suivre. Nous rencontrons tout à l'heure, à Paris, nos collègues du ministère allemand des affaires étrangères. Ils viennent avec des suggestions et ont envie de participer. Beaucoup de nos partenaires européens, qui ont des idées et nous ont passé des « non-papiers », comme on dit en langue diplomatique - Espagne, Italie, Irlande, etc. - veulent avancer.

Nous ne sommes pas seuls, et notre volonté n'était pas de l'être. Ce n'est pas une initiative de la diplomatie française qui veut cheminer seule et ignorer des soutiens qu'elle pourrait avoir : c'est l'inverse. Il s'agit de bâtir une mobilisation de la communauté internationale. Il se trouve que c'est nous qui avons pris cette initiative, personne d'autre ne voulant le faire. C'est peut-être aussi parce qu'on estimait avoir les moyens de le faire, et qu'on avait encore suffisamment d'influence au sein du monde arabe pour cela. En tout cas, l'accueil du monde arabe est très positif. Ils sont assez heureux que la France se soit « jetée à l'eau ».

Il n'y a jamais de bon moment, c'est vrai. Faut-il pour autant ne rien faire ? Je ne le pense pas. Je crois que si l'on oublie ce dossier, il se rappellera à notre bon souvenir. Dans toute la région - et pas simplement dans les territoires occupés, où des formes de radicalisation commencent à apparaître - se pose un problème de sécurité collective à cause de la Syrie, du Yémen, et du Sinaï. Il faudra bien l'aborder un jour.

Le processus de paix en est un élément non négligeable, peut-être même essentiel. Quelqu'un a cité Lakhdar Brahimi. L'Algérie a toujours affirmé qu'au coeur de tous les problèmes de la région figurait le processus de paix. On l'oublie un peu, mais il est là en effet, et nous devons être conscients que ce qui se passe sur le terrain est dangereux. Plusieurs de nos partenaires arabes m'ont dit qu'il y aurait un regain de violence cet été. S'ils ont raison - et ce serait bien entendu dramatique - peut-on se permettre d'attendre simplement que de nouveaux incidents se produisent à Gaza, en Cisjordanie, à la frontière avec le Liban ou ailleurs ? Je ne le pense pas, et je crois que c'est tout simplement le constat qu'a fait la France.

Plusieurs d'entre vous sont intervenus à propos de la reconnaissance de l'État palestinien. Pourquoi Jean-Marc Ayrault a-t-il pris soin de préciser les choses ? Les propos de son prédécesseur, Laurent Fabius, ont été interprétés par beaucoup de nos partenaires comme la volonté de lancer un processus qui aboutirait, en cas d'échec, à la reconnaissance de l'État palestinien.

Un certain nombre nous ont dit qu'ils n'étaient prêts à nous suivre dans la logique de notre action, faisant valoir qu'ils ne pouvaient « monter à bord » d'une telle initiative si tel est notre objectif final. Nous avons donc pris soin de leur expliquer que la question ne se présentait pas ainsi.

Tout d'abord, la reconnaissance de l'État de Palestine est, pour chaque État souverain, de sa seule responsabilité. C'est à chacun de décider ce qu'il veut faire. On peut le faire de manière collective, au niveau européen mais, à la fin, c'est une décision du seul Gouvernement français ou, comme c'était le cas il y a quelques mois, du gouvernement suédois. Chaque gouvernement doit se décider en son âme et conscience. Il s'agit d'une question de droit international : une telle reconnaissance se fait par les États à titre individuel.

En deuxième lieu, ainsi que M. Ayrault l'a expliqué à son homologue palestinien, qui l'a bien compris, l'objectif de tous est la reconnaissance de l'État palestinien. C'est même au coeur de l'initiative de paix des pays arabes, avec la reconnaissance d'Israël si Israël reconnaît l'État palestinien. Tout l'objectif d'un accord de paix, c'est d'aboutir à la reconnaissance d'un État palestinien, mais nous voulons que ce soit fait de manière positive, dans l'autre sens. S'il doit y avoir un lien, réalisons enfin l'accord de paix - nous verrons si nous pouvons avancer dans cette voie - et c'est de cela que découlera tout à fait naturellement la reconnaissance de l'État palestinien par tous ceux qui auront concouru et accepté cet accord de paix.

C'est notre analyse. Nos interlocuteurs palestiniens nous ont certes dit que nous perdions là un levier que nous aurions pu exercer sur les Israéliens. Mais de fait la partie israélienne s'en tient pour sa part à l'idée que la seule voie possible repose sur des interlocuteurs palestiniens prêts à entrer dans une négociation directe, bilatérale et sans précondition.

Plusieurs ont posé la question de savoir s'il existait un rejet par Israël de notre initiative. Il faut bien lire ce que dit le communiqué du Premier ministre israélien. Je peux d'autant plus le dire que nous avons encore aujourd'hui des contacts avec nos partenaires israéliens, qui continuent à vouloir travailler avec nous, pour essayer de comprendre ce que nous voulons faire et ce qu'est notre initiative. Ce que dit le Premier ministre israélien, c'est que, pour eux, la seule solution possible doit passer par une négociation directe avec les Palestiniens. Nous ne disons pas l'inverse. Les Palestiniens non plus. Les Palestiniens disent que lorsqu'on va entrer dans le détail d'un possible accord de paix, ils doivent discuter en tête-à-tête avec les Israéliens. C'est ainsi qu'ils pourront définir précisément ensemble tous les paramètres, déterminer notamment quels échanges de terre auront éventuellement lieu autour des frontières de 1967, quels devront être les détails d'un accord sur le droit du retour des réfugiés, etc.

Ce que nous disons - et c'est tout le sens de notre initiative - c'est qu'il faut donner un cadre de référence à ces négociations. Il sera d'autant plus fort et solide qu'il aura fait l'objet d'un consensus de la communauté internationale.

Notre apport n'est pas vraiment une innovation : c'est ce qui s'est déjà fait lors de la conférence de Madrid, qui avait fixé un cadre pour que les deux parties négocient ensuite entre elles. Cet accord de paix sera d'autant plus fort s'il est soutenu par les pays arabes, par les grands partenaires de la communauté internationale, et par toute une série d'acteurs prêts à s'engager et à aider à la recherche de ce processus de paix.

Dire pour autant que les Israéliens sont favorables à notre initiative et nous soutiennent, non. Ils nous ont dit très clairement qu'ils n'appréciaient pas notre initiative, mais ils ne ferment pas la porte. Ils veulent voir comment nous allons développer nos idées, et si nos partenaires vont nous rejoindre, en particulier les Américains. C'est à ce moment qu'ils se détermineront.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question - certains de manière très nette : y a-t-il une chance que cette initiative française débouche, ou s'agit-il simplement de faire parler de soi ? Oui, il y a une chance. Reste à mieux cerner la portée de ce que constituera ce progrès mais l'objectif reste bien de faire prendre conscience à nos partenaires qui jouent un rôle dans cette affaire - les pays arabes, l'Amérique, la Russie, la Chine, certains autres partenaires en Asie ou en Amérique latine - que la communauté internationale ne peut laisser ce dossier à l'abandon, sauf à risquer que tous en payent les conséquences à un moment ou un autre.

La situation dans les Territoires palestiniens, qui se situe au coeur de toute cette région, est extrêmement fragile et délicate. Elle peut à tout moment commencer à évoluer dans un sens très dangereux pour tout le monde, à la fois pour la sécurité des pays de la région et, au-delà - on le voit avec tout ce qui se passe dans nos propres pays - dans les pays occidentaux. Il ne s'agit donc pas de mesurer si cette initiative a une chance de réussir ou non, mais d'avancer et de convaincre peu à peu nos partenaires, leur faire prendre conscience qu'il faut tous aller dans ce sens.

Certains posent la question de savoir quel est l'intérêt d'Israël pour un partenariat économique. Il est réel. L'idée de l'aide économique et d'un partenariat avec eux, par exemple, un accord de libre-échange commercial avec l'Union européenne est quelque chose qui intéresse les Israéliens. Renforcer encore nos liens en matière de recherche et d'innovation les intéresse aussi énormément. Ils sont partants pour développer la coopération avec les PME. Leur reproche est qu'à l'heure actuelle, l'Europe a gelé tous ses projets précisément parce qu'il n'y a pas de progrès en matière de processus de paix. Ils sont les premiers demandeurs à vouloir reprendre cette marche en avant.

Un autre élément d'intérêt pourrait être l'initiative de paix arabe et comment la relancer. Les Israéliens en 2002 n'ont ni appuyé ni rejeté. Les pays arabes, bien évidemment, ont pu légitimement s'irriter de cette absence de réponse et aujourd'hui, rappellent que cette initiative est toujours sur la table. Il appartient donc à Israël de dire si cela l'intéresse.

Notre idée est de voir avec nos partenaires arabes comment redonner une dynamique à cette initiative de paix, et éventuellement même une certaine dimension opérationnelle.

Quant à la Chine, elle fait partie des pays qui nous ont dit qu'ils approuvaient notre initiative. Lors du dernier débat au Conseil de sécurité sur le Proche-Orient, ils ont clairement indiqué qu'ils soutenaient la position française. Quelle pourra être une contribution concrète de la Chine ? Il faudra voir à mesure que nous avançons.

Les Russes, étant membres du Quartette, sont dans une position différente. Comme je vous l'ai indiqué, ils ont eu le sentiment que notre initiative pouvait déstabiliser le quartette. Nous les avons rassurés. Pour le moment, ils observent. Ils nous soutiennent mais attendent de voir ce que les Américains vont faire avant de prendre une part plus active dans cet effort.

Enfin, vous avez été nombreux à demander s'il ne fallait pas communiquer davantage sur notre initiative, et comment le faire afin d'être mieux compris de la population palestinienne. Il y a deux réponses à cela. La première, c'est que nous avons fait le choix, pour le moment, jusqu'à la tenue de la réunion ministérielle prévue le 30 mai, de privilégier une approche consistant à parler à tous nos partenaires directement, bilatéralement, pour essayer de les convaincre de travailler avec nous et de prendre en quelque sorte place à bord de notre initiative. Nous verrons, à la lumière de la réunion du 30 mai, où nous sommes. Si nous avons l'impression que cela fonctionne, que la « mayonnaise a pris » et que nos partenaires sont intéressés, nous pourrons alors communiquer davantage et nous efforcer de donner à cette initiative toute la place qu'elle doit avoir.

Je note déjà que nous avons des soutiens dans un certain nombre de milieux, y compris dans certains milieux israéliens, où des déclarations sont faites, des interviews sont publiées dans la presse, qui apportent leur soutien à cette initiative.

Au-delà, -c'est la deuxième réponse-, il faut travailler avec la société civile, côté palestinien comme côté israélien. Nous avons l'ambition, dans le cadre de notre initiative, de voir comment à travers des formules spécifiques, nous pourrions mobiliser la société civile de ces deux pays pour recueillir leurs idées car il y en a beaucoup d'intéressantes.

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