Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juin 2016 à 9h32
Perspectives de la politique de sécurité et de défense commune psdc — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, rapporteur :

Je salue le travail effectué en amont par Gisèle Jourda et Yves Pozzo Di Borgo, qui ont déjà intégré dans le texte un certain nombre de nos propositions.

Nous voici donc saisis de nouveau de ce thème, trois ans après notre rapport d'information « Pour en finir avec l'Europe de la défense - vers une défense européenne », mission dont nos collègues Xavier Pintat, et André Vallini étaient co-présidents, avec nos rapporteurs. Nous y soutenions l'ambition de relancer le projet politique européen et réconcilier l'Europe avec ses citoyens. Nous affirmions que l'Europe ne pouvait se résumer à un grand marché et qu'elle devait pouvoir compter sur une défense autonome si elle souhaitait devenir une puissance et rester dans l'histoire. Grande déception, le Conseil européen de décembre 2013 n'a pas permis l'évolution forte que nous appelions de nos voeux.

Toutefois, le contexte a beaucoup évolué. Les défis de sécurité auxquels l'Union est confrontée se sont accrus. La PPRE rappelle justement le continuum désormais évident entre sécurité intérieure et sécurité extérieure (alinéa 15). Elle souligne ainsi que les crises régionales qui perdurent à la périphérie de l'Union, tant sur son flanc Est que sur son flanc Sud (alinéa 14), ont des répercussions croissantes avec les actions terroristes commises à Paris en janvier et novembre 2015 et à Bruxelles le 22 mars 2016, et qu'elles font peser sur la sécurité intérieure des États membres des menaces multiformes (alinéa 13).

Le Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 consacré à la défense s'est tenu dans un climat très différent de celui de 2013, après une première prise de conscience. Le principal résultat de ce sommet européen, mentionné aux alinéas 16 et 19, a été de donner mandat à la Haute représentante de l'Union européenne, Federica Mogherini, d'entamer une revue de la stratégie européenne de sécurité pour aboutir à la mise en place d'une nouvelle stratégie globale de l'Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité.

Faut-il voir dans cette feuille de route un réel espoir alors que l'Union européenne ne s'est pas montrée capable de faire face à la crise économique et que son incapacité à dégager des solutions probantes à la crise des réfugiés nourrit les interrogations ?

Pour la première fois depuis la création de l'Union, la défense et la sécurité sont une priorité des Européens, presque au même rang que la création d'emplois et la demande de prospérité. Sept Européens sur dix se déclarent favorables à une politique de sécurité et de défense commune, même si dans leur esprit la sécurité prime sur la défense. Ils sont plus nombreux que ceux qui soutiennent la politique étrangère commune ou l'Union économique et monétaire. Cette demande de sécurité intérieure et extérieure traduit l'inquiétude de nos concitoyens, notamment après les attentats qui nous ont frappés. Elle montre aussi que les citoyens européens gardent suffisamment confiance en l'Union européenne pour lui adresser une demande cruciale : satisfaire leur espoir et leur désir de sécurité. Cette adhésion forte doit figurer dans le dispositif que nous vous proposons d'adopter et sera l'objet d'un amendement.

L'autre raison d'espérer que la défense européenne puisse enfin susciter la mobilisation de nos partenaires est l'ampleur de la réponse à la demande de la France au titre de l'article 42-7 le 16 novembre 2015. Cet article, que nous avons préféré à l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, stipule qu'« au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». La proposition de résolution se félicite à juste titre des contributions militaires proposées à la France dans cette perspective (alinéa 17 et 18), même si elle souligne - soyons lucides - leur caractère pour le moins divers.

Au Levant, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont participé aux frappes en Syrie. Les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et l'Italie ont également soutenu l'engagement français. Au Mali, de nombreux pays ont renforcé leurs contingents au sein de la MINUSMA, dont l'Allemagne, la Roumanie, la République tchèque, l'Autriche, la Finlande, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et la Belgique. D'autres ont apporté leur appui tactique, comme la Suède, le Danemark et la Norvège. Certains ont annoncé leur participation à EUTM Mali, comme la Bulgarie, l'Estonie, le Luxembourg, le Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. Enfin, l'opération Barkhane a bénéficié de moyens de transport tactique (C130) de l'Allemagne, la Belgique, la Norvège et l'Autriche. En République centrafricaine, une compagnie portugaise supplémentaire a été envoyée au sein de la MINUSCA au deuxième semestre 2016 et la participation de la Pologne, la Belgique et l'Espagne au sein d'EUTM RCA a été accrue.

La demande de sécurité et de défense adressée par les 500 millions de citoyens européens et la mobilisation de nos partenaires exige que nous aboutissions rapidement. L'enjeu est d'abord politique : il s'agit de redonner souffle à l'Union européenne et de répondre aux attentes de ses citoyens. La proposition de résolution souligne l'importance du couple franco-allemand (alinéa 29), et nous vous proposerons un amendement pour renforcer cette orientation.

L'enjeu stratégique est évident : les défis et les menaces qui caractérisent notre environnement rendent indispensable la définition d'une réponse européenne adaptée. La nouvelle stratégie globale de l'Union devra être examinée par le Conseil des 28 et 29 juin prochains, quel que soit le résultat du référendum britannique sur le Brexit. Cela fera l'objet d'un autre amendement. Le Royaume-Uni est un partenaire important de la défense européenne, au premier rang avec la France pour ce qui est des contributions militaires, pour la recherche comme pour l'opérationnel. Tout en souhaitant son maintien au sein de l'Union, nous estimons que la stratégie globale ne doit en aucun cas être repoussée. Elle a été écrite en tenant compte du contexte britannique et le résultat du référendum, quel qu'il soit, ne la rendra pas caduque. Notre coopération avec le Royaume-Uni dans le domaine de la défense perdurera grâce à des accords bilatéraux - nous nous félicitons régulièrement au sein de notre commission de la réussite des accords de Lancaster House.

Le prochain sommet de l'OTAN se tiendra à Varsovie les 8 et 9 juillet. La Commission européenne doit également présenter son plan d'action pour la défense à l'automne. La stratégie globale européenne devra être présentée avant ces échéances si nous ne voulons pas que l'Union européenne soit reléguée en deuxième rang dans cette réflexion.

Pour que ce document ne soit pas un coup d'épée dans l'eau, il est essentiel que cette stratégie ne soit pas un compromis au rabais des objectifs de politique étrangère acceptables par chaque État membre. Elle doit au contraire comporter une composante défense substantielle, comme le note l'alinéa 20. Elle doit également être déclinée dans les meilleurs délais, dans un document stratégique plus détaillé et précis de type « livre blanc », comme le recommandait Michel Barnier lors de son audition devant notre commission le 1er juin. C'est l'objet de l'un de nos amendements. Un vrai livre blanc impliquerait une adoption par les parlements nationaux, ce qui rallongerait le processus ; mais le document de déclinaison devrait néanmoins comporter une analyse partagée des menaces et mettre en face la typologie des moyens pour y répondre.

La future stratégie globale doit prendre en compte tant le continuum entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure (alinéa 21), que l'articulation entre l'Union européenne et l'OTAN. Elle doit actualiser les modalités de coopération et de partenariat entre l'Union et l'Alliance tout en respectant la spécificité et l'autonomie de chacune (alinéa 22). De même, il convient de veiller lors du sommet de Varsovie à la cohérence des stratégies respectives des deux organisations (alinéa 23).

Enfin, la proposition de résolution mentionne « l'établissement d'une relation approfondie avec la Russie ». Nous vous proposerons une rédaction plus large prévoyant que la future stratégie globale aborde la question des relations de l'Union européenne avec son voisinage, en particulier avec la Russie, dans le respect du droit international.

La cohésion est un autre enjeu de la réflexion sur la stratégie globale de l'Union. En l'absence de défense européenne, des initiatives se mettent en place sans que leur effet centrifuge ne soit forcément pris en compte. S'il s'agit de coopération bilatérale entre deux pays membres de l'Union européenne, il n'y a pas de raison que les intérêts de l'Union ne soient pas automatiquement pris en compte.

Les coopérations bilatérales ou multilatérales mises en oeuvre en dehors de la coopération structurée permanente doivent éviter certains écueils. Ainsi, il est important de favoriser la base industrielle de défense européenne plutôt que les intérêts d'un seul pays, aussi grande soit la tentation, en période de croissance ralentie, de privilégier les entreprises nationales. Si ces coopérations se développent dans le cadre de l'OTAN sur la base du concept de nation-cadre, ou framework nations concept (FNC), elles doivent rester compatibles avec les concepts et périmètres européens. Le concept de dissuasion de l'OTAN n'est pas exactement celui de notre pays. De même, six pays de l'Union n'appartiennent pas à l'OTAN : l'Autriche, Chypre, la Finlande, l'Irlande, Malte, et la Suède.

Ce concept de nation-cadre, apport politique de l'Allemagne au Sommet de Newport, propose une approche limitée et pragmatique de la planification de défense. Il s'agit de créer de plus petits groupes de nations, menés par un grand pays fournissant une infrastructure de défense dotée d'un éventail complet de capacités. L'OTAN a adopté ce concept en vue d'encourager les alliés à travailler « au niveau multinational au développement conjoint des forces et des capacités dont l'Alliance a besoin, travail facilité par une nation-cadre », et mettre ainsi à sa disposition « des ensembles cohérents de forces et de capacités, en particulier en Europe ». Les objectifs sont louables, mais ces coopérations ne doivent pas gêner le développement ultérieur et la cohésion de la défense européenne. C'est le sens d'un de nos amendements.

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