Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juin 2016 à 9h32
Perspectives de la politique de sécurité et de défense commune psdc — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, rapporteur :

La politique de sécurité et de défense commune a été théorisée par Javier Solana à une époque où le terrorisme ne nous avait pas encore frappé et où les questions de sécurité n'étaient pas aussi essentielles qu'elles le sont devenues. D'abord guidée par des nations surtout intéressées par les possibilités d'intervention extérieure au plan civil, cette politique mérite d'être actualisée. D'où la sollicitation du Conseil européen pour que nous lui fassions des propositions.

Ce texte pousse la réflexion sur la politique de sécurité et de défense commune pour la rendre plus opérante en renforçant sa dimension militaire et sécuritaire. Cette position, très française, n'est pas forcément partagée par les autres États membres de l'Union. Le pessimisme voudrait que l'on se rallie à ce que rappelait Hubert Védrine, à savoir que la majorité des pays considèrent que l'outil de défense européen, c'est l'OTAN. La France défend la position inverse depuis longtemps, et même depuis l'origine, puisqu'à la suite de la CECA et de l'Euratom, elle a proposé de créer une communauté européenne de la défense (CED), proposition qu'elle finira paradoxalement par faire échouer car l'opinion publique ne pouvait envisager, au lendemain de la guerre, que des soldats français soient placés sous commandement allemand. L'OTAN s'est repu de cet échec de la CED : on ne peut lui faire reproche de ne pas avoir favorisé une défense commune, même si l'Alliance apparaît désormais comme un obstacle. En revanche, si la France cesse de porter cette idée de défense des valeurs européennes au travers d'une politique de sécurité et de défense commune (PSDC), personne ne le fera et ce sera sans espoir. Tel est l'enjeu du présent exercice.

La PSDC a connu de réels succès même si elle se heurte à l'essoufflement de la volonté politique européenne : l'opération navale Atalante, la lutte contre les trafics en Méditerranée, la mission de stabilisation en RCA mais aussi les opérations de formation militaires au Mali et en Somalie ou encore la mission de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine. Au titre des missions de gestion civile des crises, l'Union assure une dizaine de missions de police et de soutien aux forces de sécurité ou à la justice, au Kosovo, en Moldavie et en Ukraine ; dans les territoires palestiniens, au Moyen-Orient ; au Mali, au Niger ou au Soudan du Sud. Enfin, elle assure également des missions d'assistance au contrôle des frontières, en particulier autour de la bande de Gaza où elle a un rôle de médiation.

Toutefois, la PSDC reste absente de la gestion des principales crises régionales récentes, notamment en Libye, en 2011. Les interventions françaises au Mali et en République centrafricaine ont été interprétées comme une réponse au retrait de l'Union européenne, repliée sur des missions civiles, sanitaires ou humanitaires, dites de « Petersberg ».

L'un des obstacles auxquels se heurte la PSDC tient à la non-utilisation des instruments mis à sa disposition. Le mécanisme de financement européen d'urgence prévu par l'article 41-3 n'a jamais été activé. Lorsque les instruments financiers dédiés au financement de la sécurité et de la défense sont utilisés, ce n'est pas de façon optimale : ainsi en est-il de l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix (IcSP) ou de l'initiative « Renforcer les capacités pour favoriser la sécurité et le développement ».

Les services juridiques de la Commission européenne ne doivent pas vider ces instruments de leur sens par une interprétation trop restrictive. Nous vous proposerons d'inciter la France à participer plus activement à la mise en place des normes et des dispositifs juridiques qui assoupliront leur mise en oeuvre. Ne laissons pas cela aux seuls Anglo-saxons.

De même, les dispositions innovantes du traité sur l'Union européenne ne sont pas mobilisées, qu'il s'agisse des coopérations renforcées ou des coopérations innovantes. Les formations militaires existantes ne sont pas non plus suffisamment sollicitées : les groupes tactiques de l'Union européenne restent inutilisés tout comme la brigade franco-allemande, réduite à quatorze hommes présents sur le terrain dans l'un de ses rares engagements opérationnels. Nous vous présenterons un amendement pour inciter le Conseil et les États membre à y remédier.

Le rapport de Jean-Marie Bockel à l'AP-OTAN indique que les budgets de défense européens, qui avaient tendance à baisser, connaissent un rebond dans nombre de pays. Les uns et les autres tentent de s'approcher de l'objectif des 2 % de PIB annoncé à Newport, dont 20 % seraient consacrés à l'investissement.

Le paquet défense a été mis en place pour nourrir la PSDC, avec deux directives européennes, dont une sur les marchés publics. Sur les 28 pays qui ont ratifié cette procédure d'ouverture des marchés à l'ensemble des pays européens, la France a été la seule à demander la préférence communautaire. C'est un vrai sujet : pas de base communautaire industrielle sans assurer la préférence communautaire en matière d'acquisition de matériel. Idem pour les transferts de licences. Michel Barnier était désolé de constater que chaque État continuait d'utiliser une clause de souveraineté en matière d'équipement militaire.

On a également exploré le partage et la mutualisation, ou « pooling and sharing », des dépenses de défense. Cette mutualisation via l'Union, avec le concours de l'Agence européenne de défense (AED), soulève des réticences liées à la souveraineté nationale, notamment de la part des Britanniques. Dotée d'un budget réduit, l'Agence peine à se développer alors qu'elle est un outil essentiel pour la mutualisation des équipements mais aussi pour la réflexion sur les normes européennes en matière de défense et d'interopérabilité. Mieux vaudrait lui donner du grain à moudre. Nous vous proposerons un amendement pour renforcer le rôle et les moyens de l'AED. Il serait également intéressant d'envisager un rapprochement avec l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement (Occar). Il faudrait enfin consentir des efforts sur le financement des équipements, en utilisant par exemple les fonds d'investissement, avec pour modèle le fonds Juncker. Nous présenterons un amendement en ce sens.

L'opinion publique est prête à ce que l'Union européenne fasse un pas de plus en matière de défense. Il semble que Bruxelles n'envisage rien de très déterminant. La France doit pousser encore plus fort. La défense relève de la souveraineté nationale ; les États peuvent néanmoins coopérer sans perdre leur souveraineté nationale. Nous vous proposerons d'institutionnaliser un conseil des ministres de la défense qui se réunirait notamment une fois par an en prévision du Conseil européen. On s'assurera ainsi que la sécurité et la défense seront à l'ordre du jour quelles que soient les circonstances. Chacun sait en effet que le prochain Conseil européen, trop dicté par l'urgence de l'actualité, risque d'être placé sous le signe du Brexit ou non Brexit...

Certains fonds de soutien sont mal utilisés. Pour sortir de cette ambiguïté, nous vous proposerons d'inscrire dans les perspectives financières 2021-2027 la création d'un fonds structurel en matière de sécurité et de défense.

Enfin, la Commission prépare un plan d'action défense qui devrait être présenté à l'automne et met en place une action préparatoire sur la recherche en matière de sécurité et de défense. Sur le plan juridique, la tentation est grande de ne considérer que la sécurité. À nous de remettre l'ouvrage sur le métier pour que la défense soit également prise en compte. La Commission romprait un tabou en instaurant cet investissement. L'action préparatoire, qui atteindrait entre 70 et 100 millions d'euros, est en réalité le ballon d'essai d'un vaste programme qui serait intégré dans le futur programme cadre pour 2021-2027. Elle est essentielle pour construire une industrie de défense européenne capable de rivaliser avec celle des autres continents. Nous vous présenterons un amendement pour inciter le gouvernement français à s'investir pleinement dans cette action préparatoire et à faire des propositions pour bénéficier de ces crédits de financement.

Nous vous proposons d'adopter cette proposition de résolution européenne sous réserve des amendements que nous vous présenterons.

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