Je donne tout de suite la parole à Vincent Guillot, doctorant en science de l'éducation.
Vincent Guillot, co-fondateur de l'Organisation internationale des intersexes (OII). - Je suis né intersexes, c'est-à-dire avec des organes génitaux non conformes aux standards sociétaux couramment admis. J'ai été déclaré garçon par défaut. Dès l'âge de six ans, j'ai subi des interventions chirurgicales sans jamais que l'on me dise ou que l'on dise à mes parents ce que l'on me faisait. Je ne connaîtrai donc jamais la réalité de ma situation car je n'ai obtenu qu'une toute petite partie de mon dossier médical. Selon cette partie de mon dossier, je n'aurais subi que trois opérations alors que j'ai dix cicatrices au bas ventre. Pendant les rendez-vous trimestriels à l'hôpital, j'étais traité comme un monstre de foire et les médecins examinaient toujours mes organes génitaux, prenaient des photos et me montraient nu aux étudiants. Très jeune, j'ai eu des injections de testostérone que je ne supportais pas. Les médecins m'ont retiré ce qui ne leur convenait pas et ont tenté de fabriquer ce dont ils avaient envie.
A seize ans, j'ai refusé tout traitement. Depuis l'âge de dix-huit ans, je suis souvent sous anxiolytiques, antidépresseurs, alors qu'avant d'être mutilé, j'étais un enfant en bonne santé. Comment se construire sereinement quand on n'a pas le droit de dire ce qu'on ne nous a pas dit que nous étions ? Aujourd'hui, j'ai cinquante-et-un ans et toujours des douleurs : je souffre d'infections urinaires, j'ai des lésions neurologiques liées aux chirurgies, qui me font souffrir en permanence et m'obligent à marcher avec une canne. Ne pensez pas que le terme de torture pour ce que j'ai subi soit disproportionné. J'ai été torturé, et mes tortionnaires - avec la complicité de l'État - s'en félicitent.
J'ai co-créé l'Organisation internationale des Intersexes en 2002 et me suis engagé pour que les enfants intersexes ne connaissent pas les souffrances que j'ai endurées, mais l'État et les médecins refusent de nous écouter malgré les traitements inhumains et dégradants que nous subissons de façon illégale ou illicite. Par exemple, en novembre dernier, j'ai à nouveau alerté par courrier les ministres de la Santé et de la Justice au sujet des personnes intersexes mais je n'ai reçu aucune réponse. Seul, le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), suite aux injonctions du Comité des Droits des Enfants de l'ONU, m'a répondu. Il a validé les mutilations génitales sur les enfants intersexués et le principe de leur remboursement par la Sécurité Sociale, au prétexte que la pratique est « justifiée car approuvée par les acteurs de santé ». La Sécurité Sociale rembourse des mutilations !
Dans sa réponse à une question au Gouvernement, Madame Rossignol a récemment déclaré : « Ces situations sont fort heureusement rares ». Mais nous existons !
En France, jusqu'à aujourd'hui, aucune loi ne protège les enfants intersexués qui subissent quotidiennement des mutilations génitales. Les lois existantes pouvant les protéger sont systématiquement bafouées, à commencer par la loi de 2002 sur les droits des malades, qui pose le principe du consentement éclairé des patients et de l'accès au dossier médical. Par ailleurs, les personnes intersexes, non satisfaites de leur sexe administratif, se voient systématiquement refuser l'accès à la rectification de l'état civil.
Ces sévices subis pendant l'enfance produisent des parias, des bannis de la République qui n'ont accès à aucun droit aussi essentiel que le droit à la santé, à l'éducation, au logement ou au travail. Je suis en permanence en contact avec de jeunes adultes en très grande difficulté, qui souvent mettent fin à leur vie rendue abjecte par une société qui ne leur donne aucune possibilité d'exister. Les violences institutionnelles quotidiennes que ces personnes subissent sont inacceptables.
Notre combat est simplement le combat pour l'accès à l'humanité et à la citoyenneté, l'exigence banale du respect des lois et de la dignité humaine. Si le droit existant était respecté, ce serait déjà une avancée majeure pour cette population niée de la République. Cela permettrait aussi une réduction notable des coûts exorbitants, pour la société, liés aux traitements inhumains et dégradants que nous subissons.
Nous exigeons le droit à l'intégrité physique des personnes intersexes, conformément à la résolution n° 1952/2013 du Conseil de l'Europe et aux demandes expresses des Comité des tortures et Comité des droits des enfants de l'ONU, qui classent les modifications corporelles non consenties sur les mineurs intersexes comme des mutilations génitales, des actes inhumains et dégradants, des tortures.
Nous dénonçons les pratiques illicites ou illégales sur les enfants intersexes dans les hôpitaux français, avec la complicité de l'État et de la CNAM qui rembourse les mutilations génitales. Ces traitements n'ont aucune finalité médicale : ce sont des chirurgies esthétiques non consenties.
Nous dénonçons les avortements systématiques lorsqu'il y a suspicion d'intersexuation du foetus ainsi que les thérapies in utero de féminisation de foetus présupposés intersexués au moyen de la dexaméthasone, toujours avec la complicité de la CNAM et de l'État français.
Nous exigeons, avec des associations de personnes intersexuées du monde entier, conformément au Manifeste de Malte du 1er décembre 20132(*), l'arrêt immédiat des traitements non consentis sur les mineurs intersexes lorsque le pronostic vital n'est pas engagé, l'accompagnement à l'autodétermination des personnes concernées et, bien sûr, l'accompagnement psychologique des parents.
Nous exigeons l'inscription positive de l'existence de ces personnes dans les cours de biologie et d'éducation sexuelle tout au long des cursus scolaires. Nous exigeons l'accès libre et gratuit à une rectification de l'état civil et aux traitements, sans psychiatrisation ou judiciarisation de la demande.
Nous exigeons l'abrogation des protocoles médicaux des centres DSD (Disorder of Sex Development ou trouble du développement sexuel), conformément à la demande du Comité des Droit des enfants de l'ONU, et que l'État et la représentation nationale mettent tout en oeuvre pour que la lumière soit faite sur ces pratiques inhumaines et dégradantes en menant une commission d'enquête.
Nous demandons que soit rendu public le nombre de personnes concernées par les chirurgies génitales non consenties en France, depuis l'origine de ces pratiques. Nous voulons que soient mises en place des études sur le vécu des personnes intersexes, notamment à propos du taux de suicide, des prises de risque, des addictions, de l'exclusion des personnes concernées, de leur espérance de vie.
Nous exigeons que la prescription juridique soit abrogée pour les traitements inhumains, dégradants et les tortures conformément à la demande de l'ONU, afin que les personnes intersexes puissent demander réparation des préjudices subis. Nous demandons que l'État français prenne ses responsabilités et reconnaisse des décennies de pratiques inhumaines, dégradantes, humiliantes et de tortures à l'encontre des personnes intersexes. Nous demandons que l'État mette immédiatement en place des mesures de dédommagement pour les personnes ayant subi ces traitements.
Je vous remercie pour votre témoignage, très éloquent sur la solitude et la souffrance que vous ressentez. Votre intervention pose aussi la question de la liberté de choix et du consentement aux traitements médicaux. Le sujet est désormais clairement posé.
Je donne maintenant la parole à Nadine Coquet.