Je suis née en 1971 à Nantes. Déclarée fille à la naissance, j'ai grandi sans avoir conscience d'être intersexes malgré des difficultés de comportement. J'étais traitée de « garçon manqué » et je rejetais les filles. À l'adolescence, je n'ai pas eu de puberté. En 1988, à l'âge de dix-sept ans, j'ai décidé de consulter une gynécologue pour débloquer ma puberté, mais je n'avais pas conscience d'avoir un problème d'hermaphrodisme. Ce médecin m'a prescrit un examen de sang pour un dosage hormonal. Aujourd'hui encore, je n'ai pas connaissance des résultats de cet examen. Cette gynécologue m'a renvoyé vers un endocrinologue qui a demandé un caryotype révélant la présence des chromosomes X et Y. Cependant, face à une gynécologue qui affirmait que les résultats ne présentaient aucune anomalie, je suis restée éloignée de la vérité. À l'époque, j'avais une confiance absolue dans la médecine et je n'avais aucun doute sur ce que l'on m'affirmait. Après cet examen, on m'a proposé un examen coelioscopique des ovaires, à l'aide d'une caméra et sous anesthésie générale. Je me suis rendue dans une clinique, j'ai subi cette anesthésie et j'y suis restée deux jours ; je n'ai pas vu le chirurgien ensuite avant ma sortie. Habituée aux protocoles médicaux pour traiter une insuffisance rénale, je savais que ce n'était pas très normal mais ne m'en suis pas inquiétée outre mesure pensant avoir subi un examen sans conséquences, mais j'ai appris bien plus tard qu'en fait cette opération a consisté à me retirer une gonade. On m'a demandé ensuite de revenir à la clinique pour une exploration des ovaires. Lors de cette deuxième hospitalisation, le chirurgien m'a reçue la veille de l'intervention, un dimanche soir, alors que le service des consultations était fermé, pour me faire signer une autorisation lui permettant de retirer tout ce qui devait l'être pour raison médicale. J'ai signé ce document alors même que j'étais mineure à l'époque, et sans accord parental ! Une nouvelle fois, j'ai été anesthésiée puis hospitalisée pendant plusieurs jours, sans rencontrer le chirurgien au cours de mon séjour. L'infirmière n'était pas informée de mon dossier et ne pouvait pas me dire si un problème avait été détecté. On m'a seulement demandé d'aller voir mon médecin traitant, dix jours plus tard, pour retirer les fils. Après ce délai, je me suis rendue en toute confiance chez mon médecin de famille qui a été profondément choqué lors de la découverte de la nouvelle par courrier. C'est lui qui m'a expliqué que l'on m'avait retiré les ovaires pour m'éviter un cancer. Lors de cette consultation, j'étais dans un tel état de choc que je n'ai pas tout retenu de ses explications, mais quelques mots m'ont marquée comme « dysgénésie gonadique XY », « pseudohermaphrodisme », « rarissime », « monstrueux ». Je suis sortie de cette consultation complètement anéantie, avec pour seule identité le fait que j'étais un monstre qui ne devait pas se révéler aux autres. Je suis entrée dans la vie adulte sous cette identité.
Après cet entretien qui m'a détruite, j'ai été placée sous traitement hormonal par un endocrinologue, puis j'ai revu ma gynécologue qui m'a tenu un discours plus positif et optimiste en insistant sur le fait que j'avais un utérus qui me permettrait d'avoir des enfants avec un don d'ovocytes. Soulignons que, dix-sept ans plus tard, on m'a refusé le droit à ce don en prétextant un risque de morbidité. J'ai choisi de continuer à voir cette gynécologue car elle était la seule à tenir un discours positif. Je souhaitais me débarrasser des autres professionnels de santé qui me voyaient comme un monstre. Cette décision a favorisé un déni qui a duré pendant dix-neuf ans.
En 2007, j'ai décidé de revoir le chirurgien qui m'avait opérée, pour comprendre pourquoi il m'avait retiré les ovaires. Celui-ci a d'abord nié, affirmant que ce n'était pas lui qui m'avait opérée, avant de prendre le prétexte d'un accouchement pour me fausser compagnie. Malheureusement pour lui, je me souvenais très bien de son nom et je savais qu'il me mentait. J'ai donc attendu devant sa porte qu'il revienne. C'est ce qu'il a fait trente minutes plus tard, avec mon dossier médical à la main. Il a commencé par dire que mon dossier relevait de l'indicible. Ces seuls mots révélaient le caractère caché et honteux de mon cas, selon lui. Puis, il m'a avoué que mon caryotype comportait des chromosomes sexuels masculins, que la première opération avait permis de retirer une gonade qui, après analyse, s'était révélée être un testicule, et que la deuxième opération avait conduit à retirer la deuxième gonade. En fait, il me mentait de nouveau, puisque j'ai su plus tard, après avoir menacé pour obtenir deux pages de mon dossier médical relatives à l'analyse des gonades, que ces gonades n'étaient pas des testicules mais des gonades indifférenciées, présentant des caractères ovariens et testiculaires. Toutefois, comme j'affirmais que j'étais prête à le poursuivre, ce chirurgien a prétendu qu'il était indispensable de retirer ces gonades. Il a affirmé, en outre, que cette opération était nécessaire pour éviter un risque de cancer. Or le compte rendu d'analyse révèle que les gonades que l'on m'a retirées ne présentaient aucun signe de malignité. Il n'existait donc aucune raison médicale de pratiquer cette opération. Je suis sortie de cette entrevue en pensant que j'étais transgenre. J'ignorais le terme intersexes, il m'avait juste parlé de dysgénésie XY. Puis, grâce à Internet, j'ai enfin compris qui j'étais et que j'étais victime d'un système qui considère la différence entre les sexes comme binaire : on est soit un homme, soit une femme. Or ce système est un leurre : nous sommes la preuve que la biologie peut ignorer la binarité. Mais cette vérité doit rester cacher. Dès lors, j'ai eu l'impression d'appartenir à un « tiers humain » que personne ne veut voir ni connaître.
Nous sommes ignorés par l'État, par les statistiques, par nos concitoyens. Pourtant, les seules revendications portées par l'OII depuis quinze ans sont le respect du droit à l'intégrité physique et le droit à l'autodétermination.
Ma principale revendication est que l'on arrête les mutilations qui sont reconnues comme des tortures par l'ONU. Aujourd'hui, en remboursant ces interventions chirurgicales par la Sécurité Sociale, la France viole les engagements qu'elle a pris en adhérant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la convention internationale pour les droits de l'enfant.
Je demande également que disparaisse la notion de sexe sur l'état civil, ce qui n'aurait aucune conséquence pour les hommes et les femmes qui n'ont pas besoin d'un papier pour s'identifier. En revanche, pour les personnes transidentitaires ou intersexes dont l'apparence ne correspond pas au sexe mentionné, cette décision éviterait beaucoup d'humiliation lors de contrôles de police, de démarches administratives ou simplement pour retirer un colis à La Poste.
Il m'apparaît aussi urgent que l'État français se sente concerné par la condition des intersexes en offrant l'accompagnement nécessaire aux enfants et à leurs parents.