Intervention de Mathieu Le Mentec

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 mai 2016 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Table ronde

Mathieu Le Mentec :

Ma communication sera de l'ordre du témoignage mais j'essaierai aussi d'apporter mon analyse du sujet. Je suis né en 1979 à Clermont-Ferrand, mes parents avaient vingt-deux et vingt-trois ans et travaillaient dans une manufacture de pneumatiques. J'ai été désiré. Je suis né en situation d'intersexuation, sans que cela entraîne un doute quant au sexe juridique que l'on m'a assigné à l'état civil : le sexe masculin.

Les professionnels de la naissance ont simplement fait part à mes parents d'une « malformation bien connue ». Mes parents étaient des parents aimants. Ils m'ont fait suivre par un pédiatre de ville, comme la plupart des enfants, pour accompagner mon développement et suivre ses conseils en matière de vaccination, de diversification alimentaire, etc. Il est indiqué, dans mon carnet de santé, que j'étais un enfant en parfaite santé. Le pédiatre connaissait ma situation d'intersexuation dès ma naissance, mais ce ne fut jamais nommé comme cela. Il proposa à mes parents de rencontrer des spécialistes des questions d'intersexuation, même si elles n'étaient pas ainsi dénommées à l'époque. Parmi ces spécialistes, il y avait un chirurgien, un urologue, un chirurgien-urologue et un endocrinologue. À neuf mois, j'ai subi mes premiers examens médicaux : échographie, génitographie, prise de sang afin de réaliser un caryotype, bilans hormonaux.

Après ces premières épreuves, le bilan médical est faible : il n'y a pas de maladie, seulement des hypothèses d'explications étiologiques. D'autres bilans sont alors entrepris pour approfondir les analyses génétiques. Ces techniques ont commencé à être développées au début des années 1980. Ces bilans consistent alors en une biopsie de ma peau dans la sphère génitale ; je subis d'autres prélèvements sanguins. À l'époque, j'ai deux ans et mes parents n'ont pas accès aux échanges entre médecins. C'est à ma demande, après la loi dite Kouchner de 2002, que j'ai eu communication de mon dossier et que j'ai pu reconstituer cette démarche médicale.

Les médecins proposent à mes parents une correction chirurgicale à un problème de « tuyauterie », pour faire correspondre mon anatomie aux standards de l'anatomie du sexe masculin. Mais, avant la chirurgie, il fallait une préparation chirurgicale pour faciliter le champ opératoire. Il s'agissait de grossir artificiellement mon sexe avec de la testostérone. J'ai reçu plusieurs injections de testostérone et quotidiennement, mes parents devaient me passer localement de la pommade à base de testostérone.

À trois ans, je subis ma première chirurgie dans un CHU parisien. Au total, j'ai subi sept interventions entre trois ans et huit ans. Cela consistait en des hospitalisations d'une dizaine de jours, le plus souvent pendant les vacances, à Noël, au printemps, en été. Je suis né en juillet et j'ai passé de nombreux anniversaires à l'hôpital... Certaines de ces opérations ont été effectuées en urgence, dans un contexte de septicémie, des suites des précédentes opérations.

Qu'est-ce que cela veut dire, être hospitalisé pour de la chirurgie de la sphère génitale quand on a trois, quatre, cinq, six, sept ans ? Cela signifie des douleurs, des contentions, car il faut éviter que l'enfant ne touche aux dispositifs médicaux, ce sont des sondes urinaires, des infections, des odeurs, et un profond sentiment d'abandon. À l'époque, les parents ne pouvaient pas rester dormir à l'hôpital.

Pourtant, sur le plan de mon développement, je suis régulièrement scolarisé, j'ai une vie affective et sociale tout à fait agréable, je n'ai pas de problème de santé. Mon parcours chirurgical se conclut à douze ans. Le chirurgien, très satisfait de son travail, m'a alors posé uniquement deux questions : est-ce que j'urinais debout ? Est-ce que mon érection était droite ? Mais ce n'était pas la fin du parcours médical. La testostérone, qui devait développer mes caractères masculins, a eu pour conséquence un avancement de l'âge osseux et le déclenchement d'une puberté à onze ans. Aussi, chaque année, entre cinq ans et douze ans, j'ai dû réaliser des radiographies pour surveiller l'avancement de ma croissance, le risque étant que le traitement hormonal conduise à ralentir ou arrêter ma croissance. Par chance, cela ne s'est pas réalisé.

Les décisions à prendre semblaient évidentes aux professionnels de santé, mais ils n'avaient pas conscience de ce que cela pouvait signifier pour un enfant ou un adolescent. Petit, je ne me souviens pas. Les enfants bénéficient d'une amnésie. Il n'en reste pas moins des traces physiques et psychiques qui surgissent plus tard sous la forme de traumatismes. En âge scolaire, je me souviens de mes questionnements. On attend des petits garçons qu'ils urinent debout, les toilettes des écoles sont faites comme ça. Or il m'était difficile de le faire, la construction du néo-urètre étant de piètre qualité. J'ai pris alors conscience de la fiction de la binarité des sexes. Puis, j'ai subi les premières humiliations lors des sorties scolaires ou sous les douches. Dès le CM1, j'ai débuté ma puberté : j'avais une pilosité très précoce. J'ai alors arrêté toute pratique sportive collective pour éviter les douches. Je me disais que j'étais simplement en avance et que le temps passerait. Je me disais aussi que mon sexe allait grandir pour ressembler à un sexe d'homme. La puberté entraîne des reconfigurations physiques et psychologiques et l'avènement du désir sexuel génitalisé, mais pas quand on n'a que onze ans !

Conscient de la différence anatomique et des attendus sociaux de la masculinité, je me suis engagé corps et âme dans la construction de ma virilité : je pratiquais des sports, je développais mes aptitudes physiques, je me lançais dans la compétition. J'ai vécu comme cela jusqu'à mes trente-quatre ans, mon corps devait répondre aux stéréotypes masculins.

Mes premières amours, à quinze ans, m'ont conduit à parler à un tiers, pour la première fois, de mon histoire médicale. Je n'avais alors pas ou peu de mots pour évoquer cela. Mes premières expériences sexuelles ont été catastrophiques avec, déjà, des douleurs. La honte pèse, le silence est roi. Je suis une formation d'infirmier à vingt-et-un ans. Je rentre dans le champ de la santé.

Je rencontre une personne qui, après quelques années, souhaite avoir des enfants. Se pose alors la question de la transmission, car je ne voulais pas avoir un enfant qui souffre des mêmes maux. À vingt-cinq ans, je me retourne de nouveau vers la médecine pour réaliser de nouveaux examens, mais elle ne peut expliquer les choses : je ne suis pas malade. En revanche, je dois désormais surveiller de nombreux problèmes, dont des kystes prostatiques contractés du fait des opérations.

Un professeur de médecine, impuissant à m'aider, me soumet une proposition de recherche d'un anthropologue sur le processus de subjectivation des personnes intersexes. C'était la première fois que j'entendais ce terme. Au cours de cet entretien avec ce chercheur, j'ai pu m'ouvrir du drame que je vivais. Il s'est passé dix ans, avec des psychothérapies et de longues études (master en anthropologie de la santé), avant que je puisse penser et mettre des mots sur mon histoire. Je n'ai pas à avoir honte de mon corps, je n'avais pas à subir ces mutilations.

Aujourd'hui, à trente-sept ans, j'ai des douleurs régulières dans les zones génitales. Les médecins ne veulent pas ou ne peuvent pas intervenir sur mon corps, car il y a trop de risques. J'ai dépassé la honte, je vis une sexualité épanouissante malgré les douleurs physiques encore présentes. Je fais sauter le verrou du silence imposé par notre société sur les enfants qui naissent en situation d'intersexuation. Je prends la parole pour dénoncer ces pratiques médicales encore existantes en France. La médecine continue d'intervenir sur des enfants en bonne santé afin de normaliser leur apparence physique pour les faire correspondre aux stéréotypes masculin et féminin. Or, si tout le monde a un sexe, il n'y en a pas deux qui soient identiques. Et la sexualité est un domaine de relations, de création, de plaisir pour les gens qui y consentent.

Je suis infirmier dans un hôpital pour enfants à Bordeaux depuis trois ans. Je peux témoigner que la médecine continue à intervenir sur des corps d'enfants en bonne santé dans le but de les conformer physiquement. Comme je travaille aux urgences pédiatriques, je vois certaines choses. J'ai vu récemment un enfant de dix-huit mois, car la sonde qui lui avait été posée s'était déplacée et le faisait saigner. C'est le début de l'enfer pour cet enfant. Il y a quelques mois, un enfant de onze ans était amené par les pompiers car il avait retourné le bureau de sa pédiatre qui ne comprenait pas ce qui se passait. Elle me raconte que cet enfant a subi dix interventions chirurgicales qui ont provoqué chez lui un traumatisme, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Il y a deux mois, j'ai rencontré une adolescente de seize ans qui doit vivre avec une sonde car le chirurgien a probablement lésé les nerfs qui contrôlent ses sphincters. Depuis trois ans, je vois régulièrement à l'hôpital un adolescent qui est sous traitement psychotrope pour des troubles du comportement, après une vie de surveillance médicale.

La médecine bénéficie de technologies mais ne se pose pas toujours la question de ce qui fonde sa pratique. Elle oublie ce qui la rend légitime : soigner des personnes. En matière d'intersexuation, dans la très grande majorité des cas, la pratique médicale s'appuie sur des conceptions morales de la normalité dans le domaine du sexe et de la sexualité. Or ce n'est pas à la médecine de déterminer la vie sexuelle des personnes.

Mes revendications sont similaires à celles qui ont été exposées par Vincent Guillot. Il est urgent d'arrêter toute intervention sur les enfants, dès lors que le pronostic vital n'est pas en jeu. Il faut mettre en place des dispositifs pour accueillir non seulement les enfants qui naissent en situation d'intersexuation, mais aussi leurs parents. Il faut que ces dispositifs leur permettent de rencontrer d'autres personnes ayant le même vécu. Ces échanges doivent pouvoir aider les familles à prendre des décisions en conscience. Il est nécessaire que la médecine et l'État reconnaissent l'horreur de ces pratiques et qu'un dispositif de réparation soit constitué.

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