Intervention de Mila Petkova

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 mai 2016 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Table ronde

Mila Petkova, avocat :

Un dernier point reste à aborder concernant l'inscription à l'état civil. Le droit à la vie privée des personnes intersexuées est aujourd'hui méconnu pour deux raisons principales : d'une part, l'impossibilité d'établir le détail de son identité sexuée ; d'autre part, l'obligation de révéler trop souvent son identité sexuée aux tiers.

La reconnaissance de l'identité intersexuée résulte de l'obligation pour la France de sortir d'un système binaire de l'état civil, en application de ses engagements internationaux. Aujourd'hui, au nom du droit à la vie privée, toutes les instances européennes saisies de la question préconisent de sortir du système binaire actuel, pour reconnaitre, d'une part, les lignes directrices du Conseil de l'Union européenne du 24 juin 2013 en faveur de la reconnaissance de l'existence d'autres catégories de sexes que le féminin et le masculin, ou les recommandations formulées par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur les personnes intersexuées pour faciliter la reconnaissance des personnes intersexes devant la loi. La France, qui adhère à ces conventions internationales qui reconnaissent le droit à l'autodétermination, est tenue de les exécuter de bonne foi.

Le droit français ne semble pas s'opposer à la reconnaissance de plusieurs identités sexuées. L'article 57 du code civil n'impose pas de mentionner un sexe masculin ou féminin sur les actes d'état civil et aucun texte n'interdit autre chose que ces deux catégories sexuées. Ces textes disent simplement qu'un sexe doit être mentionné. La jurisprudence récente s'est prononcée en faveur du rejet de la binarité du système actuel, au nom du respect du droit à la vie privée. Dans ces deux cas, les tribunaux ont estimé qu'il s'agissait de décisions individuelles des requérants et qu'il appartenait au législateur de régler cette difficulté qui relève de l'intérêt général.

On ne peut pas se contenter de solutions au cas par cas, risques d'interprétations divergentes. L'absence de loi pose des problèmes pratiques. Le droit d'appartenir à une catégorie non binaire n'étant pas reconnu par les textes, il n'est pas reconnu par les autorités administratives. Par exemple, l'INSEE, qui a été saisi de cette question, refuse toujours d'enregistrer les personnes intersexuées.

Le silence de la loi pose aussi des problèmes d'accès au droit. Il reste à savoir comment mettre en oeuvre le rejet de la binarité de manière concrète, en créant une identité « autre » pour les personnes majeures et les mineurs doués de discernement. Pour la déclaration du sexe à la naissance qui concerne les mineurs dépourvus de discernement, les associations intersexes sont unanimes à demander que l'enfant soit rattaché au sexe masculin ou féminin le plus probable à la naissance. Par ces dispositions, le droit pour toute personne intersexuée d'établir le détail de son identité, corollaire du droit à la vie privée, serait respecté. Subsisterait néanmoins une atteinte à la vie privée résultant des trop nombreuses obligations faites aux personnes intersexuées de révéler leur identité sexuée.

En application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'identité sexuée appartient à la vie privée. Or, il existe aujourd'hui plusieurs textes qui obligent la révélation de l'identité sexuée sans pour autant que cela soit justifié par un but légitime, par exemple pour obtenir un service, alors que cette information ne conditionne pas la délivrance de ce service. C'est le cas notamment pour le formulaire de demande de logement social ou la demande d'un hébergement d'urgence. D'autres textes obligent à mentionner l'identité sexuée de la personne sur des titres d'identité, alors que le sexe ne permet pas d'identifier la personne comme le permettent le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance. Le permis de conduire français ou la carte d'identité allemande ne comportent pas de mention de sexe. Ces obligations de révéler son identité créent des discriminations à l'encontre des personnes intersexuées lorsqu'il existe une différence entre le sexe perçu et la mention indiquée sur les documents d'identité (suspicion d'usurpation d'identité notamment). Au nom du respect du droit à la vie privée, pour toute personne et non uniquement pour les personnes intersexuées, le sexe ne devrait pas figurer sur les pièces d'identité. À tout le moins, il faudrait reconnaître la possibilité pour chacun de décider s'il souhaite ou non que la mention de son sexe figure sur ses papiers d'identité. Plus globalement, il devrait être prévu par la loi que l'obligation de révéler son identité sexuée n'est justifiée que si elle est rendue nécessaire par un but légitime.

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