Intervention de Philippe Reigné

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 mai 2016 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Table ronde

Philippe Reigné :

Voyez ma main. Elle compte cinq doigts, mais pourrait en compter six. Elle possède un seul pouce, mais pourrait en avoir deux. Cela s'appelle la polydactylie : c'est une variation absolument naturelle de la main. Tous nos organes, quels qu'ils soient, sont susceptibles de variations qui apparaissent au fil des générations. Certaines sont retenues par le processus de la sélection naturelle, d'autres non. La couleur de la peau est la variation la plus connue et la moins rare. L'intersexuation est aussi une variation, relative aux organes génitaux. Les questions sociales, sociologiques, juridiques que nous nous posons ont donc pour origine un phénomène parfaitement naturel. Ces variations sont un avenir possible de notre espèce en cas de changement de milieu ou de circonstances. La polydactylie, l'intersexuation pourraient être l'avenir du genre humain...

Pourquoi administre-t-on, dès la naissance, des traitements chirurgicaux ou hormonaux aux personnes intersexuées ? Parce que nous obéissons encore à la logique du « sexe d'élevage », que formalisent, dans les années 1950 aux États-Unis, les travaux du sexologue John Money. Celui-ci propose de modifier les organes génitaux des enfants intersexués au plus tôt, pour que ceux-ci puissent s'identifier à l'une des catégories de sexe dès la petite enfance. C'est pourquoi il y a intervention sur les nouveaux-nés et non plus tard.

Qu'est-ce que le sexe sur le plan juridique ? Jean Carbonnier, un des grands juristes du XXème siècle, qui a participé à la réforme de la filiation dans les années 1970, disait que « le sexe est un classement de l'individu qui échappe à sa volonté ». Aujourd'hui, cette conception ne peut plus être soutenue. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans deux arrêts rendus en 2003 et en 2015, a dégagé du droit au respect de la vie privée, qui figure à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un droit à l'autodétermination qui inclut la liberté de définir son appartenance sexuelle. La CEDH a rappelé, dans son arrêt du 10 mars 2015 que la liberté de définir son appartenance sexuelle s'analyse comme un des éléments les plus essentiels du droit à l'autodétermination. Ainsi, le sexe n'est plus aujourd'hui un classement qui échappe à la volonté de l'individu. Par conséquent, les traitements chirurgicaux et hormonaux pratiqués sur les nouveaux-nés qui ont pour but de les faire adhérer psychologiquement à l'une ou l'autre des deux catégories de sexe, sont radicalement contraires au droit à l'autodétermination. Il n'est pas possible de les concilier avec la jurisprudence de la CEDH. Nous sommes clairement dans un cas de violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et, puisque ces traitements s'appliquent à des enfants nouveaux-nés, de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Est entré en vigueur, le 1er janvier 2016, un nouvel article 387-2 du code civil issu de l'ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, selon lequel « l'administrateur légal ne peut, même avec une autorisation, aliéner gratuitement les biens ou les droits du mineur (...) ». Autrement dit, les parents ne peuvent pas consentir de donations au nom du mineur, même avec l'autorisation du juge. Tout le monde le comprend ; il ne faut pas appauvrir le mineur car, une fois cette donation consentie, celle-ci aura des conséquences irréversibles sur son patrimoine.

La même logique devrait s'appliquer avec autant d'évidence aux traitements hormonaux et chirurgicaux sur les nouveaux-nés ; il faut attendre que les enfants aient atteint un âge leur permettant de décider par eux-mêmes. Ce qui est prévu par les textes en matière patrimoniale doit être étendu, dans le domaine des droits humains, à l'intégrité physique et psychique des enfants. On nous répond que les parents sont désemparés et que les enfants le seront aussi lorsqu'ils prendront conscience de leur situation. Toutefois, des accompagnements psychologiques sont possibles pour aider parents et enfants à surmonter ces difficultés.

Mes collègues viennent de suggérer à l'instant l'inscription, sur les registres d'état civil, d'une mention « sexe neutre ». Toutefois, une telle disposition nécessiterait de réformer le droit de la filiation, car celui-ci est sexué, hors le cas de la filiation adoptive : reconnaissance de paternité et reconnaissance de maternité ne sont pas rédigées dans les mêmes termes ; la présomption de paternité n'a pas d'équivalent pour la mère, etc. Il vous faudra donc achever la réforme de la filiation entamée en 2013 avec l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, en « désexuant » complètement la filiation. La suppression de la mention du sexe à l'état civil en découlera alors et rendra inutile la mention de sexe neutre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion