Intervention de Jacqueline Descarpentries

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 mai 2016 : 1ère réunion
Les enfants à identité sexuelle indéterminée — Table ronde

Jacqueline Descarpentries, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Paris VIII-Vincennes :

Je remercie les personnes intersexes qui ont accepté d'aborder avec nous des sujets très intimes. Étant chercheure en sciences de l'éducation, je suis habituée à la pluridisciplinarité et à l'interdisciplinarité, et je me réjouis donc des apports pluriels de disciplines diverses lors de ce débat consacré à l'intersexualité. On pourrait s'étonner que les sciences de l'éducation s'intéressent à ce sujet. Mes travaux l'ont toutefois abordé sous le prisme de l'éducation à la sexualité, plus particulièrement sous l'angle de l'éducation à la santé. À ce titre, j'ai créé à Lille le premier master en sciences humaines et sociales, chargé de développer des compétences et des connaissances en matière de prévention et d'éducation à la santé, ce qui constitue une approche différente de celle qui consiste à réduire la prévention à la connaissance des facteurs de risque et à la seule approche biomédicale de la prévention.

Une approche pluridisciplinaire de l'éducation à la sexualité m'a amenée à former à la fois les directeurs des centres de prévention : Comité régional d'éducation pour la santé (CRES), Comité départemental pour l'éducation à la santé (CODES), qui dépendent directement de l'Institut pour la prévention et l'éducation à la santé (INPES), et des directeurs et intervenants des centres de Planning familial.

Ce qui est au coeur du débat qui nous réunit aujourd'hui est la question de la norme, en particulier de la normativité biologique, qui va nous déterminer en tant qu'être « normal », en tant qu'homme ou femme. La supériorité de la normativité biologique sur la normativité sociale induit des processus d'éducation à la sexualité à la fois binaristes et genrés. Les travaux de Michel Foucault ont d'ailleurs parfaitement démontré comment l'éducation participe à la normation des corps et comment la normativité biologique utilise l'éducation à la sexualité pour normer les corps, pour construire un corps masculin et un corps féminin. L'éducation à la sexualité va être essentiellement basée sur la protection du corps de l'homme, les matériaux pédagogiques utilisés dans les centres de prévention reposent sur ce principe. Tous les dispositifs de prévention se basent sur la nécessité de se préserver des maladies sexuellement transmissibles. Par ailleurs, la question de l'intersexualité n'est pas abordée par ces programmes et/ou n'est pas connue, comme j'ai encore pu le constater lors de ma dernière intervention pour le quarantième anniversaire du Planning familial, alors que j'intervenais devant un parterre de professionnels de l'éducation à la sexualité. Nous avons donc une responsabilité majeure à assumer en termes de formation des éducateurs à la santé.

Nous devons aussi intégrer une véritable prise de conscience des pratiques d'éducation à la sexualité, c'est-à-dire comprendre les enjeux majeurs de l'éducation à la sexualité telle qu'elle est enseignée, car les éducateurs ne font aujourd'hui que renforcer la binarité. On aborde de plus en plus la transsexualité et on informe qu'il existe d'autres formes de pratiques que l'hétérosexualité, mais il n'en demeure pas moins vrai que les outils proposés se bornent encore à enseigner l'utilisation du préservatif. Nous avons une vision gonadique de l'éducation à la sexualité.

Un travail doit donc être résolument mené dans les écoles (éducateurs, acteurs de la prévention) mais aussi dans les facultés de médecine pour qu'elles intègrent ces questions. Il faut sortir de cette vision anatomo-centrée uniquement basée sur la binarité sexuée. Ces actions doivent aider à développer une éducation à la tolérance et à la différence.

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