Intervention de Henri de Raincourt

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Questions diverses

Photo de Henri de RaincourtHenri de Raincourt, co-rapporteur :

Le 16 décembre dernier, notre commission a demandé à Hélène Conway-Mouret et moi-même de préparer un rapport d'information sur le thème de l'aide au développement au Sahel, en particulier à travers l'exemple du Mali.

Pendant cinq mois, Mme Conway-Mouret et moi-même avons rencontré de très nombreux responsables et spécialistes du sujet. En mars, nous nous sommes rendus à Bamako, où nous avons visité des chantiers financés par l'Agence française de développement, l'AFD, et nous sommes entretenus avec les chefs de coopération des autres principaux bailleurs, ainsi qu'avec les militaires de l'opération Barkhane et ceux de la mission de formation de l'Union européenne au Mali, l'EUTM Mali ; nous avons également rencontré le Premier ministre malien, ainsi que d'autres ministres et responsables de ce pays.

Nous nous sommes surtout appuyés sur les travaux antérieurs menés au nom de notre commission par Gérard Larcher, Jean-Pierre Chevènement, Jeanny Lorgeoux, Jean-Marie Bockel, Christian Cambon et Josette Durrieu. Venant après d'aussi prestigieuses personnalités, Mme Conway-Mouret et moi-même avons abordé notre travail avec une très grande humilité !

Je commencerai par vous expliquer quels sont, pour nous, les traits saillants de la situation des pays du Sahel, ainsi que les principaux enjeux qui se posent dans cette région.

Avant tout, les pays du Sahel sont marqués par une très grande pauvreté et un très faible développement. Tous en effet figurent à la fin du classement des pays selon l'indice de développement humain : sur un total de 188 pays, le Niger est à la 188e place, le Tchad à la 185e, le Burkina Faso à la 183e et le Mali à la 179e.

Ces pays n'ont pas entamé la deuxième phase de leur transition démographique, celle de la diminution de la natalité. La population du Mali et celle du Niger doublent ainsi tous les quinze ans, et 250 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail dans chacun de ces pays, alors que le nombre de postes à pourvoir n'est que de quelques milliers ; il faut mesurer l'ampleur du décalage qui en résulte à la longue. Aucun pays au monde n'a réussi à se développer vraiment avec une croissance démographique aussi forte !

Par ailleurs, la croissance économique, quoiqu'elle s'élève régulièrement à plus de 5 %, est insuffisante pour permettre un réel décollage, d'autant qu'il s'agit d'une croissance sans profondeur, comme disent les spécialistes, c'est-à-dire limitée à quelques points forts, surtout miniers et agricoles.

Les pays du Sahel souffrent en outre de nombreux conflits et d'une forte insécurité, qui entravent les efforts de développement. Les conflits ethniques sont anciens, de même que les conflits identitaires, à l'instar des rebellions des Touaregs. D'autres conflits naissent de la rareté des ressources et s'exacerbent avec le changement climatique, opposant notamment les populations pastorales aux populations agricoles. Sans compter les conflits religieux, en particulier l'opposition entre l'islam malékite et le salafisme, bien installé dans la région depuis des décennies. Enfin, l'intrusion d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, ainsi que d'autres groupes radicalisés dans le nord et le centre du Sahel a entraîné une violence considérable à partir de 2010, le point culminant ayant été atteint en 2013, obligeant la France à intervenir.

Une autre cause d'insécurité et de déstabilisation réside dans les trafics, lesquels ont pris une ampleur inédite dans la zone saharo-sahélienne. En particulier, le trafic de cocaïne se développe très rapidement depuis 2005, comme l'a révélé, en 2009, l'affaire fameuse du Boeing retrouvé carbonisé à Gao. Affectant le noyau des États en alimentant la corruption et la mauvaise gouvernance, ces trafics ont accéléré la décomposition du Nord-Mali, où l'État doit désormais quasiment négocier sa présence avec les populations.

Si, après l'intervention réussie de la France au Mali, l'élection d'un président et l'accord d'Alger signé en 2015 devaient marquer le retour à la gouvernance saine indispensable à la relance du développement, la mise en oeuvre de cet accord ne progresse, hélas, pas bien vite. Les autorités locales intérimaires ne sont toujours pas en place et leur installation est désormais annoncée pour l'automne, alors que les groupes armés en font une condition préalable à leur entrée dans le processus « désarmement, démobilisation, réintégration », ou DDR. La décentralisation marque le pas, tandis que les populations attendent toujours des résultats concrets en termes de services publics et d'opportunités de développement.

Parallèlement, la situation sécuritaire s'aggrave, avec la multiplication des attaques contre la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, comme contre Barkhane, la reprise des accrochages entre groupes armés rivaux et l'extension des troubles vers le centre, voire le sud du Mali.

Devant ces constats un peu décourageants, reconnaissons-le, que penser des efforts considérables accomplis pendant des années en matière d'aide au développement ?

La France est, depuis plusieurs années, le deuxième bailleur bilatéral au Sahel, après les États-Unis. Les engagements de l'AFD dans la région ont atteint 1,5 milliard d'euros sur la période 2008-2012. Au Mali, après une interruption liée aux événements, nos engagements ont repris à partir de 2014 de manière importante, puisqu'ils se montent actuellement à environ 85 millions d'euros par an.

En outre, les moyens consacrés aux six pays sahéliens dans le cadre du dixième fonds européen de développement (FED) se sont élevés à plus de 2,7 milliards d'euros entre 2008 et 2013.

Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement le Nord-Mali, on estime à 2,9 milliards d'euros les dépenses engagées entre 1992 et 2011, ce qui va à l'encontre de la thèse selon laquelle cette partie du pays aurait été totalement délaissée. Elle ne l'a pas été, en tout cas, par l'aide au développement. En revanche, elle l'a davantage été par les autorités maliennes elles-mêmes.

Or, si ces montants non négligeables ont permis de construire des écoles, des dispensaires et des infrastructures de toute nature, les objectifs finaux de réduction de la pauvreté et de développement économique n'ont jamais été atteints. D'une certaine manière, on peut dire que les bailleurs ont pratiqué, pendant des années, l'aide sans le développement...

Cet échec résulte de plusieurs causes.

D'abord, certains principes de la Déclaration de Paris de 2005 sur l'efficacité de l'aide ne sont toujours pas vraiment respectés, comme celui d'appropriation par le pays partenaire. De fait, il n'y a toujours pas de dialogue stratégique de haut niveau avec les gouvernements aidés sur les besoins et sur les priorités, ni de vision partagée du développement. En d'autres termes, si nos partenaires ne refusent jamais les projets que nous leur proposons, ils ne se les approprient que rarement.

Ensuite, les bailleurs ont parfois fermé les yeux sur la mauvaise gouvernance, trop heureux de disposer de bons élèves de l'aide, comme le Mali, souvent cité en exemple de démocratisation et de décentralisation. Partant, ils ont parfois contribué à la déconsidération, aux yeux des populations, du développement, voire de la démocratie.

Par ailleurs, la coordination des bailleurs est encore insuffisante, au point que, pour les dirigeants des pays aidés, les bailleurs sont comme un « troupeau de chats », selon la formule d'une des personnes que nous avons entendues, M. Serge Michaïlof.

Enfin, l'insécurité croissante depuis la seconde moitié des années 2000 empêche la réalisation de nombreux projets ou oblige à les laisser inachevés, comme c'est le cas pour certaines routes, commencées mais non terminées.

En ce qui concerne plus spécifiquement la France, deux facteurs principaux contribuent selon nous à réduire l'efficacité de notre aide.

En premier lieu, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, nous manquons d'une stratégie globale du développement de l'Afrique francophone. Si l'on compare les résultats obtenus en Afrique francophone et en Afrique anglophone, les conséquences de ce manque de stratégie se voient !

Vous n'ignorez pas que la gouvernance de l'aide française est éclatée entre plusieurs ministères et une agence de développement que nous apprécions beaucoup, mais qui est assez autonome. En outre, la réforme de 1998 fut en grande partie dirigée contre le tropisme africain de la France, si bien que les grands axes de notre politique actuelle - développement durable et biens publics mondiaux, notamment - concernent autant et même davantage les pays émergents d'Amérique latine ou d'Asie que les pays du Sahel.

En second lieu, nos financements en dons sont devenus bien trop faibles pour avoir un impact réel : 228 millions d'euros de subventions font moins de 15 millions d'euros par pays pauvre prioritaire... Une misère !

Ces subventions ne nous permettent pas non plus de mobiliser les financements des organisations multilatérales. Je pense qu'il nous faudra sans doute dégager des moyens supplémentaires, y compris - il faudra regarder cela de près - en diminuant certaines contributions multilatérales trop élevées qui, peut-être, déséquilibrent une partie de notre aide.

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