Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Questions diverses

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, co-rapporteur :

Enfin, il faut réinvestir dans l'agriculture, qui est passée de 15 à 7 % des financements versés au titre de l'aide au développement au cours des quinze dernières années, et concentrer davantage notre aide sur le secteur productif et sur les petites entreprises, afin de créer des emplois pour les jeunes.

Par ailleurs, deux évolutions transversales nous semblent indispensables.

Premièrement, notre aide au développement doit s'appuyer davantage sur la société civile et sur la jeunesse. C'est une recommandation déjà ancienne, mais que nous peinons à mettre en oeuvre.

Deuxièmement, il est indispensable d'avoir un discours clair sur la corruption et la mauvaise gouvernance et de soutenir les initiatives dans ce domaine. En effet, dans certains des pays du Sahel, la montée en puissance des mouvements citoyens et l'immédiateté de la communication due aux nouvelles technologies et à l'urbanisation rendent les contestations beaucoup plus fortes que par le passé. Nous devons donc prendre garde à ne pas être associés aux mauvaises pratiques qui perdurent.

Le deuxième grand axe de nos recommandations se rapporte au pilotage de l'aide française au développement.

À la suite de nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, auteurs du rapport « L'Afrique est notre avenir », nous préconisons d'abord la création d'un ministère du développement de plein exercice, regroupant les services compétents actuellement rattachés aux ministères des affaires étrangères et des finances, afin de remédier à la complexité et à la déperdition considérable d'énergie qu'entraîne l'organisation actuelle.

Ensuite, vu que le transfert récent à l'AFD de la coopération en matière de gouvernance a accru encore le poids de cette agence, désormais responsable de la quasi-totalité de l'aide française au développement, et que le service de coopération et d'action culturelle a été recentré presque exclusivement sur la dimension culturelle, l'AFD ne peut plus se cantonner dans un rôle technique de banquier : comme l'a expliqué devant notre commission M. Rioux, son nouveau directeur général, elle doit développer une vision sur les objectifs globaux de l'aide française, ainsi qu'une capacité à influer sur l'impact final de cette aide.

Pour parachever cette réforme qui fait vraiment de l'AFD le visage de l'aide française, nous proposons que les directeurs des agences locales deviennent les chefs de coopération auprès des ambassadeurs, chargés de représenter la France dans les réunions des représentants de coopération des grands bailleurs ; nous suggérons aussi que les projets des agences locales soient transmis au siège sous couvert des ambassadeurs, et non plus avec leur seul avis, de manière à assurer la compatibilité de ces projets avec notre politique étrangère.

Enfin, il nous semble nécessaire de consacrer l'importance de l'évaluation, actuellement éclatée entre trois ministères. Il suffirait pour cela de mettre en oeuvre une disposition insérée par notre commission dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale et qui prévoit la fusion des trois services d'évaluation des ministères chargés des affaires étrangères et des finances, ainsi que de l'AFD en un unique organisme indépendant, l'Observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale.

Une telle réforme permettrait par exemple de rendre plus systématiques les évaluations cinq ans après la fin de la mise en oeuvre des projets, afin de déterminer si leur impact est durable. Des évaluations fiables et indépendantes nous permettraient également d'arrêter les projets qui ne fonctionnent pas, ce que nous faisons très peu aujourd'hui.

La troisième de nos orientations est l'amélioration de l'approche combinée sécurité-développement.

Si le discours sur l'importance de l'approche globale est devenu un lieu commun, les instruments ne suivent pas.

Nous avons pu observer au Mali un exemple très représentatif de cette problématique. Un projet avait été lancé visant à mettre en place de petites infrastructures à impact immédiat dans la région de Kidal. L'ambassadeur a demandé aux soldats de Barkhane d'identifier les besoins des communautés, puis de surveiller autant que possible les chantiers dans une zone marquée par l'insécurité. On se plaçait donc dans une optique post-intervention militaire de « projet à impact rapide ». Toutefois, pour avoir un impact plus significatif et durable, il fallait aller plus loin, vers un vrai projet de développement.

Or l'AFD était réticente : d'une part, parce que ses procédures sont longues, ce qui est la contrepartie d'un haut niveau de qualité, et, d'autre part, parce que pour préserver son capital de neutralité, l'agence ne doit pas être associée à la force militaire. Finalement, l'AFD a trouvé des modalités d'intervention acceptables pour elle et réussi à agir en un temps record. Une deuxième phase est désormais prévue, avec un financement du fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne.

Cette réussite ne pourra toutefois faire école que si l'AFD dispose de moyens plus élevés en subventions, car ce type d'interventions post-crise fonctionne rarement avec des prêts.

À cet égard, lors de l'audition préalable à sa nomination à la direction générale de l'AFD, Rémi Rioux a évoqué un projet de création d'une « facilité dédiée pour la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises » ; dotée d'au moins 100 millions d'euros par an prélevés sur l'enveloppe de 370 millions d'euros supplémentaires annoncée par le Président de la République, cette facilité serait logée à l'AFD. Je crois que cet outil répondrait tout à fait à l'enjeu. C'est pourquoi nous proposons que le principe en soit acté au plus tard lors du prochain comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui se tiendra à l'automne, afin que cette facilité soit inscrite dans la prochaine loi de finances.

Enfin, nous proposons de revaloriser les crédits de la coopération militaire structurelle, qui ont été drastiquement réduits au cours des dernières années. Cet effort nous paraît indispensable pour réduire le déséquilibre entre les financements disponibles pour l'aide au développement et ceux destinés au renforcement des administrations régaliennes des États fragiles, clef de la stabilisation de ceux-ci.

Mes chers collègues, ces préconisations visent à améliorer nos politiques de développement, mais aussi à éviter que nous perdions notre lien particulier avec cette région du monde, où d'autres puissances s'investissent désormais davantage. Il y a là un grand risque qu'il nous faut conjurer, car notre effacement dans la région ferait à coup sûr de la France une puissance de deuxième ou de troisième rang, dont l'influence sur la marche du monde deviendrait de plus en plus faible.

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