Intervention de Jean-Marie Bockel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Questions diverses

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Je félicite nos deux collègues pour la qualité de leur travail, qui présente le double avantage de dresser un diagnostic juste et d'avancer des propositions assez concrètes.

Puisque, comme l'on sait, qui trop embrasse mal étreint, donner la priorité à l'espace francophone peut tout à fait faire sens. Faisons attention aussi, à une époque où nos moyens sont limités, aux fonds multilatéraux. Non qu'ils soient inutiles - notre engagement très fort en faveur du fonds mondial de lutte contre le sida, par exemple, a fait sens à une certaine époque -, mais ils finissent par absorber une part importante de nos capacités financières. Dans notre rapport, M. Lorgeoux et moi-même avions déjà souligné que la France devait davantage sur le plan bilatéral. Le renforcement de notre action dans l'Afrique francophone suppose cette montée en puissance de notre aide bilatérale.

Cette évolution nous permettra de mener une action visible, susceptible d'être évaluée et propre à enclencher des dynamiques, alors que, aujourd'hui, trop souvent, nos moyens n'atteignent pas la masse suffisante pour que notre action soit vraiment efficace.

Par ailleurs, il faut bien mesurer que, au Mali comme dans d'autres pays africains, il y a les mots et il y a la réalité. Nos amis africains sont aussi intelligents que nous ; ils ont une vision assez lucide et la volonté que les choses aillent mieux. Après, il y a la vie, qui est compliquée. Le discours qu'on peut nous tenir sur la corruption et la bonne gouvernance, nous avons plaisir à l'entendre et, du reste, il est bon qu'il soit tenu, car cela n'a pas toujours été le cas ; mais, ensuite, il y a la réalité, qui est complexe.

Il y a, bien sûr, la grande corruption, et des pratiques dans le fonctionnement des États qui doivent absolument changer. Il y a aussi la vie de chacun au quotidien, dans sa famille, dans son clan, qui rend très difficile le passage de l'intention à la mise en oeuvre. Le résultat n'est pas non plus tout à fait le même selon que l'argent de la corruption est ou non réinvesti sur place, même si cela n'excuse rien.

Nous avons tous à l'esprit des expériences qui montrent que les mots et la réalité sont deux choses distinctes. Pour ma part, je songe aux projets que j'ai menés dans le cadre de la coopération décentralisée, l'une des actions dont nous pouvons légitimement être fiers. Le Mali était champion dans ce domaine, les partenariats conclus avec ce pays se comptant par centaines. J'en ai mené pendant vingt ans, ce qui m'a permis de sillonner, notamment, le nord du pays, où, en maints endroits, on ne peut plus aujourd'hui ni coopérer ni même se rendre.

Nous avons expérimenté à nos dépens que l'enfer est pavé de bonnes intentions, au point de conclure, dans le contexte de l'époque - mais a-t-il aujourd'hui fondamentalement changé ? -, que, pour mener à bien un projet qui profite réellement aux populations, il ne fallait confier aucune somme aux acteurs locaux, fussent à des intermédiaires de la société civile, mais contrôler directement l'intégralité des dépenses. Souvent, nos interlocuteurs nous disaient eux-mêmes : surtout ne nous donnez pas d'argent, car vous mettriez sur nous une pression ! Moyennant quoi, il s'agit d'agir dans un esprit de partenariat fraternel en associant les familles, en particulier les femmes.

Cette histoire, nombre d'entre nous peuvent la raconter à partir de leurs exemples vécus, tant il est vrai que changer peu à peu les choses dans le cadre d'une démarche de coopération et de codéveloppement est un exercice difficile.

Une opportunité de faire bouger les lignes se présente aujourd'hui au Mali. Du sommet à la base, toutes les personnes de bonne volonté aspirent à ce changement. Nous sommes donc à un bon moment pour lancer de nouvelles dynamiques, mais il nous faudra être extrêmement attentifs, car le diable est dans les détails...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion