Intervention de Claude Haut

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Questions diverses

Photo de Claude HautClaude Haut, co-rapporteur :

Pour traiter cette question, commençons par un peu d'histoire et retraçons les opportunités majeures qui se sont successivement présentées à la Turquie.

La Turquie a rejoint le camp des puissances occidentales dès 1945 : elle est entrée au Conseil de l'Europe en 1949, puis à l'OTAN en 1952 et elle a adhéré à l'OCDE en 1960 ; ce processus s'est donc étalé sur une quinzaine d'années. Le 12 juillet 1963, elle a conclu un accord d'association avec la Communauté économique européenne, la CEE, dit accord d'Ankara, qui ouvrait déjà la perspective d'une adhésion à la CEE.

Après avoir présenté sa candidature en 1987, la Turquie a obtenu en 1999 le statut de pays candidat à l'Union européenne. Les négociations d'adhésion ont démarré le 3 octobre 2005, selon un cadre qui précise toutefois que leur « issue ne peut être garantie à l'avance » et qu'elles « dépendent de la capacité d'assimilation de l'Union, ainsi que de la capacité de la Turquie à assumer ses obligations ».

Malgré cet ancrage à l'ouest, la Turquie a gardé depuis la Première Guerre mondiale un rapport ambivalent à l'Occident, au travers de ce qui a été appelé le « syndrome de Sèvres ». Ce syndrome traduit l'idée que les puissances occidentales auraient l'objectif dissimulé de diviser la Turquie à leur profit et en faveur des minorités kurde et arménienne. Le traité de Sèvres de 1920 avait en effet prévu l'existence d'un État arménien et d'un territoire autonome kurde. Ces entités ont disparu trois ans plus tard lors du traité de Lausanne qui a tracé les frontières actuelles de la Turquie.

On retrouve d'ailleurs aussi ce type d'inquiétude du côté européen avec l'« angoisse de Vienne » qu'évoquait devant nous M. Ahmet Insel voilà deux semaines, faisant référence aux deux sièges de Vienne par l'Empire ottoman, en 1529 et en 1683. Ces éléments psychohistoriques demeurent vivaces.

À partir de 2002, l'arrivée au pouvoir du parti conservateur musulman AKP - le parti de la justice et du développement - a constitué un tournant politique et une transformation sociale, sans doute la plus importante depuis la fondation de la république turque par Mustafa Kemal en 1923. Ce parti est issu du courant modernisateur qui préexistait au sein de l'ancien parti islamiste. Il a occupé le vide laissé par un modèle kémaliste en perte de vitesse, décrédibilisé par de nombreux scandales et confronté à plusieurs crises économiques successives. Réaffirmant des valeurs traditionnelles tout en prônant le développement économique et l'ancrage en Europe, l'AKP a semblé incarner, au moins pendant un temps, une synthèse des différentes composantes et aspirations de la société turque et un modèle de conciliation entre islam politique et démocratie.

Après 2002, la Turquie a connu pendant plus d'une décennie un développement économique rapide - croissance de 6,7 % par an en moyenne entre 2002 et 2007 -, accompagné d'une stabilité politique, d'une ouverture diplomatique et d'un accroissement de son pouvoir d'influence dans le monde.

Elle s'est rapprochée de ses voisins moyen-orientaux grâce à une diplomatie dite « à 360 degrés » inspirée par la vision d'Ahmet Davutoðlu, ancien universitaire devenu ministre des affaires étrangères puis premier ministre. Le fil directeur de cette diplomatie repose sur l'idée selon laquelle la Turquie doit jouer le rôle d'un pays central, contribuant à l'ordre régional, grâce à la mise en oeuvre du principe « zéro problème avec ses voisins ». Cette politique d'ouverture s'est traduite par un rapprochement avec la Syrie, l'Arménie, la Grèce et par un soutien au plan de réunification de Chypre. Elle a également conduit la Turquie à se rapprocher du gouvernement régional du Kurdistan irakien, dont elle est l'un des principaux partenaires économiques.

La Turquie s'est aussi efforcée de jouer un rôle de médiateur dans plusieurs conflits régionaux : entre la Russie et la Géorgie, entre la Syrie et Israël ou encore, conjointement avec le Brésil, dans le dossier du nucléaire iranien. Elle s'est affirmée comme l'un des leaders du monde émergent grâce à une diplomatie économique et à une politique volontariste d'aide au développement, notamment en Afrique.

L'influence, le soft power, de la Turquie s'est également développée dans les domaines religieux, éducatif et humanitaire grâce notamment au réseau du mouvement Hizmet de Fethullah Gülen, très présent à l'étranger.

La Turquie est apparue progressivement comme un modèle possible aux yeux des opinions publiques du monde arabe. Après les printemps arabes de 2011, elle s'est rapprochée des nouvelles formations politiques au pouvoir en Tunisie et en Égypte, puis elle a approuvé l'opération qui a conduit à la chute du régime libyen. Après avoir tenté une médiation auprès de Bachar Al-Assad, elle a rompu avec le régime syrien en août 2011 au profit d'un soutien à l'opposition syrienne.

Je laisse maintenant la parole à la troisième voix, Mme Leïla Aïchi, pour présenter la suite de cette synthèse.

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