Un deuxième sujet spécifique à La Réunion est celui de l'alcool. On constate en effet toujours une forte surmortalité résultant des pathologies liées à l'alcool, avec un taux deux fois supérieur à celui constaté en France hexagonale. Si la consommation chronique à risque, et même la consommation quotidienne, y est moindre qu'en métropole, les volumes d'alcool ingérés sont cependant plus importants. Au total, malgré une diminution constatée de l'alcoolisme depuis les années 1970, les problèmes se concentrent sur les populations les plus vulnérables, notamment les jeunes.
Deux problèmes nous ont en particulier été présentés. Le premier est celui de la permanence d'une publicité intensive pour l'alcool, en dépit de la loi Evin, dans un contexte de forte concurrence entre divers alcools forts : rhum (dont les risques sont effacés, dans le cadre publicitaire, au profit d'une connotation de produit local et traditionnel), whisky, bières fortes destinées aux jeunes garçons. Ce n'est d'ailleurs pas le seul sujet sur lequel l'application d'une norme nationale pose problème à La Réunion : il nous a été indiqué que la loi sur la vente d'alcools réfrigérés dans les stations-services n'y a été appliquée que cinq ans plus tard. Le deuxième est celui de la taxation dérogatoire des alcools produits localement, notamment le rhum, qui est ainsi très bon marché - alors que, selon l'OMS, la taxation des boissons alcoolisées constitue l'un des moyens de lutte les plus efficaces contre l'abus d'alcool.
Les problèmes liés à l'alcool connaissent une déclinaison particulièrement problématique à La Réunion avec la forte prévalence du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF), sur lequel notre commission avait déjà eu l'occasion de travailler lors de son précédent déplacement sur place, puis sous l'influence déterminée de notre ancienne collègue Anne-Marie Payet. Il semble qu'une prise de conscience du problème soit actuellement en cours au niveau national : un rapport de l'Académie nationale de médecine est paru en mars dernier sur ce sujet, tandis que la Mildeca a prévu la mise en oeuvre d'un programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale. La Réunion fait partie, avec l'Aquitaine, des deux régions retenues pour son expérimentation, dont les contours nous ont été présentés par l'ARS. Il n'en reste pas moins que, malgré les difficultés liées à sa détection et à son évaluation, La Réunion reste largement touchée par ce trouble, avec 100 à 150 cas par an. Pourtant largement évitable, car dû à la mauvaise information des mères, ce syndrome peut entraîner des conséquences graves - avec notamment des retards de croissance, ou des troubles cognitifs ou comportementaux : l'alcoolisation foetale est ainsi la première cause de handicap non génétique chez l'enfant.
À l'initiative de notre commission, le principe de l'apposition d'un message sanitaire à l'attention des femmes enceintes sur toutes les unités de conditionnement de boissons alcoolisées avait été adopté dans le cadre de la LFSS pour 2005. Celui-ci prend la forme d'un pictogramme, dont le caractère souvent illisible remet cependant en cause la pertinence : de très petite taille, il est à peine discernable, d'autant plus qu'il apparaît le plus souvent en noir et blanc. Un simple décret serait suffisant pour harmoniser la présentation de cet important message de santé publique, et pour le rendre véritablement identifiant par nos concitoyens. C'est pourquoi nous avons résolu de poser une question orale sur ce thème à la ministre de la santé, qui sera déposée et portée par notre Président, mais à laquelle je ne doute pas que nous pourrons tous nous associer.
Pour compléter brièvement cette question des addictions, il me semble important d'évoquer la question de l'usage détourné des médicaments. En raison de l'isolement de La Réunion, l'accès aux psychostimulants « classiques » que nous connaissons dans l'hexagone -cocaïne, crack- est très marginal, voire nul. S'est en revanche développé, depuis les années 1970, un recours à certains médicaments psychotropes -et notamment au Rivotril, à l'Artane et au Xanax- qui alimente un trafic local avec Madagascar et l'île Maurice. Le phénomène est d'autant plus difficile à combattre que les jeunes consommateurs masculins associent une valeur mythique et initiatique à l'Artane, connu pour favoriser les passages à l'acte violents, notamment lorsqu'il est utilisé en association avec l'alcool. Se développe par ailleurs l'usage d'une méthamphétamine particulièrement dangereuse, connue sous le nom de « Crystal », et importée de Thaïlande.