Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 juin 2016 à 9h30

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Quant à la situation épineuse de Mayotte, il me semble que les difficultés rencontrées sont bien illustrées par le fait que les élus de la République n'ont pas même pu s'y rendre. En raison des émeutes qui avaient alors lieu sur place, la préfecture - qui avait, il est vrai, fort à faire dans ces circonstances - nous a en effet très fortement conseillé, la veille du départ, d'annuler notre déplacement. Nous avons cependant pu avoir une approche globale de la situation par un programme complémentaire d'auditions qui nous a été organisé par l'ARS, et qui nous a notamment permis de rencontrer le directeur du centre hospitalier mahorais (CHM).

La première des observations que nous avons pu faire est que la situation sanitaire de Mayotte, particulièrement dégradée, s'inscrit dans un contexte de chaos plus général, et que la première ne pourra trouver de solution sans que le second ne s'améliore. Sans doute ne mesurons-nous pas toujours bien, depuis l'hexagone, à quel point l'immigration massive en provenance des Comores (qui représente 44 % du flux total de l'immigration irrégulière en France) déstabilise profondément la situation mahoraise. L'ensemble des acteurs que nous avons rencontrés, toutes sensibilités politiques confondues, nous ont fait part de leur désarroi face à l'arrivée massive de kwassa-kwassa, ces petites embarcations fragiles en provenance principalement d'Anjouan, à moins de 70 km des côtes mahoraises - et qui charrient avec elles leur lot de drames humains, avec des naufrages réguliers.

Sans porter de jugement sur ce phénomène, force est de constater qu'il place sous une tension quasi insoutenable le système de soins de Mayotte, et notamment son hôpital. Le CHM, qui constitue le principal pilier du système de santé de l'île, est en effet très largement sollicité par un afflux massif de Comoriens en situation irrégulière. Cette situation explique d'ailleurs en partie que le CHM soit le seul établissement hospitalier de France qui ne soit pas passé à la T2A : comme la majorité des actes effectués le sont au bénéfice de personnes qui ne disposent pas de couverture sociale (je rappelle que l'AME et la CMU n'existent pas encore à Mayotte), seul l'ancien système de la dotation globale peut permettre de financer l'établissement. Or, l'évolution annuelle de cette dotation ne permet pas de couvrir l'augmentation très rapide de l'activité de l'hôpital, qui se trouve de ce fait dans une situation de déficit structurel.

C'est en particulier la maternité qui est soumise à cette tension. Avec 10 000 naissances annuelles, il s'agit de la plus grande maternité d'Europe ; au rythme actuel d'augmentation de l'activité, on pourrait même atteindre 15 000 naissances au cours des prochaines années. Compte tenu de la structure de la patientèle accueillie (60 % des parturientes sont des Comoriennes), les équipes travaillent non seulement selon un rythme particulièrement difficile, mais également dans des conditions de sécurité qui posent question : bien souvent, les patientes accueillies n'ont pas de dossier, et il est difficile voire impossible de reconstituer leurs antécédents médicaux. Il existe par ailleurs à Mayotte des maternités périphériques, qui travaillent dans des conditions bien éloignées de nos standards hexagonaux, avec seulement des sages-femmes et sans la présence de médecins - face aux besoins, il paraît cependant difficile de faire autrement.

La situation financière difficile de l'hôpital est compliquée par une situation critique sur le plan des ressources humaines. En raison des nombreuses difficultés auxquelles fait face l'île, et notamment des problèmes d'insécurité, de logement, et de l'absence de système éducatif adapté aux besoins, le directeur nous a indiqué qu'il lui devenait de plus en plus difficile de recruter des praticiens. L'enjeu financier ne suffit plus, semble-t-il, à assurer l'attractivité de ce territoire : depuis le passage des rémunérations mahoraises dans le droit commun, l'indemnité particulière d'exercice, qui représente une bonification de salaire de 25 %, ne peut être touchée qu'à la condition de passer quatre années sur le territoire mahorais - une durée qui ne semblerait plus envisageable, pour beaucoup de praticiens, dans les circonstances actuelles.

En dépit de ce cumul de difficultés financières, capacitaires et de ressources humaines au CHM, il n'existe pas véritablement d'offre de soins libérale qui pourrait venir soutenir et décharger l'activité hospitalière : seuls quelques praticiens épars, pour certains proches de l'âge de la retraite, exercent en effet dans ce cadre à Mayotte. Le régime spécial de couverture maladie qui existe sur l'île n'encourage pas le développement de cette offre libérale, alors qu'il existe une prise en charge hospitalière à 100 %, y compris pour les consultations.

La situation mahoraise a par ailleurs des répercussions sur l'organisation du système de soins réunionnais. Les équipes de la maternité du CHU nous ont fait part de leur désarroi face à l'afflux de patients en provenance de Mayotte, dans le cadre des évacuations sanitaires : les services de périnatalité et de petite enfance, en particulier, se trouveraient de ce fait saturés. Nous avons cependant senti sur ce point une divergence entre les équipes médicales et le personnel de l'ARS, qui considère que les capacités financières du CHU ne sont pas altérées par la prise en charge de patients mahorais.

Face à ce sombre tableau, que faire ? Il nous a semblé que la réponse allait bien au-delà du champ de compétence de notre commission. A minima, la mise en oeuvre d'un grand plan de développement des Comores semble indispensable - ce que l'AFD fait déjà, avec un financement d'ailleurs conséquent, mais qui ne représente qu'une goutte d'eau dans l'océan des besoins du pays. Il est de toute façon probable que plusieurs années, voire plusieurs décennies, seraient nécessaires avant que les Comores n'atteignent un niveau de développement comparable aux standards sinon hexagonaux, du moins ultramarins. Il nous a d'ailleurs a été indiqué que de grands plans d'investissements sanitaires avaient déjà été menés à terme par d'autres pays, sans que la situation ne s'en trouve vraiment améliorée : la Chine y a ainsi construit un hôpital parfaitement équipé, qui n'a cependant jamais été exploité du fait du manque de moyens des autorités comoriennes pour en assurer le fonctionnement quotidien.

Dans le champ de compétence qui est le nôtre, peut-être pourrions-nous simplement suggérer, d'une part, de clarifier le régime de sécurité sociale en vigueur sur l'île, et notamment d'y étendre la CMU complémentaire, afin de solvabiliser l'offre libérale ; d'autre part, puisqu'une situation exceptionnelle suppose des mesures exceptionnelles, de revoir le régime indemnitaire des praticiens qui viennent y exercer. Sur l'ensemble de ces points, je ne doute cependant pas que notre collègue mahorais, Thani Mohamed Soilihi, aura lui aussi des propositions à formuler. Il nous apparaît par ailleurs indispensable que le CHM puisse au moins disposer du pôle mère-enfant qu'il demande depuis plusieurs années.

Au terme de ce déplacement, il nous semble plus généralement que la France a un rôle important à jouer dans l'Océan Indien, où la promotion de l'excellence sanitaire peut contribuer à celle de la francophonie.

Tels étaient, mes chers collègues, les principaux éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance sur ce déplacement à la fois passionnant et surprenant, et surtout riche d'enseignements dont nous pourrons, je l'espère, tenir pleinement compte dans le cadre de nos prochains travaux législatifs.

Je vais tout de suite passer la parole à notre collègue Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, qui a été invité à notre réunion.

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