Revenons brièvement sur le parcours du médicament une fois la molécule élaborée par un laboratoire.
Contrairement à d'autres pays comme l'Italie, la France a réparti entre différents organismes les étapes permettant la distribution d'un médicament. Tout d'abord, la mise sur le marché d'un médicament, qui est régie par le droit européen, relève de l'Agence européenne du médicament (EMA, basée à Londres) et, en France, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Un médicament est mis sur le marché si son bénéfice est jugé supérieur aux risques qu'il présente pour l'indication de traitement présentée par l'industriel. A l'appui de leur demande, les laboratoires soumettent à l'agence des études cliniques dont le niveau d'exigence et de transparence fait l'objet de débat. Nous y reviendrons.
Le seul critère admis pour mettre un médicament sur le marché est celui du rapport bénéfice/risque et, en France, le refus de mise sur le marché d'un médicament en France ou son interdiction doivent être justifiés au regard de ce critère sous peine d'une condamnation par le juge. L'ANSM est aussi chargée du suivi de l'usage des médicaments et de la pharmacovigilance, donc des décisions de restriction ou d'interdiction d'une molécule en fonction des risques qui peuvent être associés à son usage en vie réelle. Cette mission est particulièrement importante, comme l'a illustré récemment le scandale du Mediator. Mais elle a aussi en charge les recommandations temporaires d'utilisation (RTU) qui permettent l'usage remboursé d'un produit en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette possibilité est importante pour la santé publique quand il s'avère qu'un médicament utilisé dans une certaine indication a aussi des effets thérapeutiques pour une autre maladie.
La deuxième étape est l'évaluation du médicament pour déterminer s'il doit ou non être pris en charge par la sécurité sociale. Depuis 1967, cette évaluation a été confiée à une commission, dite de la transparence, qui fait aujourd'hui partie de la Haute Autorité de santé (HAS). La commission de la transparence détermine le service médical rendu (SMR) du médicament et propose un taux de remboursement en fonction de celui-ci. Elle détermine aussi l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui sert de base à la fixation du prix.
En 2013, 85 % des médicaments vendus en France étaient remboursables. Cette proportion s'élevait à 97 % s'agissant des spécialités soumises à prescription médicale obligatoire.
Un médicament peut faire l'objet d'une prise en charge intégrale par la sécurité sociale soit en raison de l'intérêt qu'il présente, soit parce qu'il est prescrit à une personne pour traiter une pathologie correspondant aux critères de l'affection de longue durée (ALD) dite « exonérante », c'est-à-dire d'une affection « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, et pour laquelle le ticket modérateur est supprimé ».
En 2011, d'après le syndicat des entreprises du médicament (Leem), les médicaments pris en charge à 100 % par l'assurance maladie représentent environ deux tiers des dépenses de remboursement par l'assurance maladie, le tiers restant se répartissant entre les médicaments remboursés aux autres taux.
En effet, certains ne sont remboursés que partiellement, soit en taux (15 %, 30 % ou 65 %), soit seulement pour certaines populations ou pour certaines indications.
Par ailleurs, certains médicaments ne sont pas remboursables, soit que le laboratoire n'ait pas fait la demande d'inscription sur la liste des médicaments remboursables, soit que le médicament ait été déremboursé.
Les médicaments pour lesquels une prescription médicale est obligatoire sont presque tous remboursés. Ceux pour lesquels une prescription médicale n'est pas obligatoire sont dits d'automédication en langage courant.
L'ANSM qui en assure la régulation préfère, pour sa part, la notion de médicament sur conseil pharmaceutique pour bien montrer que si le patient peut décider d'avoir recours au médicament pour une pathologie bénigne, il doit pouvoir bénéficier du conseil du pharmacien. Ces médicaments ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale et leur prix est libre. Il peut d'ailleurs varier d'une officine à l'autre.
Le fait qu'un médicament soit en accès direct dépend largement du choix que fait le laboratoire de demander ou non le remboursement, et non de l'efficacité intrinsèque du médicament. Ainsi, le paracétamol est incontestablement efficace mais ses dosages les plus courants sont en accès libre. Après plusieurs années de contestation de l'éventualité de dérembourser le Doliprane, Sanofi envisage aujourd'hui de le mettre entièrement en automédication. Cet exemple montre bien que cette question relève essentiellement de la stratégie commerciale des firmes. Est-il plus rémunérateur d'avoir un médicament remboursé par la sécurité sociale ? Oui, dans la grande majorité des cas, mais plus nécessairement quand le nom de marque est particulièrement connu du grand public, que le médicament risque de devenir substituable sachant que le prix des médicaments en automédication est libre.
D'autres médicaments ne sont plus admis au remboursement du fait de la réévaluation de leur service médical rendu. Cette réévaluation est conduite par la commission de la transparence de la HAS de manière continue. Chaque molécule inscrite au remboursement doit être réévaluée au plus tard tous les cinq ans. A la demande des ministres successifs depuis 2002, différents plans de réévaluation des médicaments ont pu être conduits avec un périmètre élargi aboutissant au déremboursement de nombreuses spécialités. Depuis 2012, aucun nouveau plan d'ensemble n'a été mis en oeuvre mais la commission de la transparence continue ses réévaluations systématiques, molécule par molécule. Dans la majorité des cas, le réexamen confirme le niveau de SMR déjà reconnu. Dans quelques rares cas, le réexamen peut conduire à la reconnaissance d'un service médical rendu plus élevé. Surtout, plusieurs dizaines de décisions tendent à la réduction du SMR ou à sa déclaration comme insuffisant. Ceci entraîne la recommandation d'une baisse du taux de remboursement, voire d'un déremboursement.
En 2015, seize arrêtés ont été pris par la ministre en charge de la sécurité sociale sur le fondement des réévaluations conduites par la commission de la transparence. Ils ont exclu du remboursement 351 spécialités (plusieurs spécialités pouvant correspondre aux différents conditionnements et dosages d'un même médicament).
La réévaluation et le déremboursement sont un élément structurel de la gestion de la prise en charge des médicaments par l'assurance maladie.
Ces déremboursements ne vont pas sans contestation, que ce soit récemment pour les anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente, ou actuellement pour les médicaments anti-Alzheimer. Néanmoins, la réévaluation elle-même par la commission de la transparence n'est que rarement remise en cause. C'est l'effet du déremboursement sur la prescription -c'est-à-dire notamment le risque de report vers des molécules remboursées mais peut-être inadaptées- qui est invoqué pour contester les mesures de déremboursement, dans l'idée que l'économie serait au mieux incertaine et le risque d'effets secondaires renforcé.
Incontestablement, sur cette question comme sur celle, complexe, de la prescription d'un médicament hors des conditions d'autorisation de sa mise sur le marché, les mesures de gestion de la prise en charge doivent s'accompagner de mesures d'information à destination des professionnels de santé et tout particulièrement des prescripteurs.
La question fondamentale est en fait celle des critères d'évaluation du médicament par la commission de la transparence. En effet, le service médical rendu (SMR) est le critère utilisé pour déterminer le taux de prise en charge, tandis que l'amélioration du SMR l'est pour déterminer le prix. Cette distinction, cohérente a priori, est en fait devenue, au fil du temps, de plus en plus floue et les deux critères tendent à se confondre, du fait notamment de la plus grande exigence de la commission de la transparence en matière de comparaison avec les traitements existants. La détermination du SMR est, dès lors, devenue plus difficile et potentiellement porteuse d'inégalités puisque, de deux médicaments traitant une même pathologie, le deuxième arrivant sur le marché est moins remboursé que le premier. Or, dans certains cas, ce médicament est le seul qui puisse traiter une partie des patients dont la pathologie ne répond pas au médicament mieux remboursé. Selon les termes de Dominique Polton, qui a remis le rapport le plus complet sur la question de l'évaluation du médicament, ces patients subissent une double peine puisqu'ils ne peuvent tirer bénéfice du premier traitement et qu'ils sont moins remboursés pour celui qui leur est nécessaire.
A la suite de la position portée par Jean-Luc Harousseau lorsqu'il était président de la HAS, et en cohérence avec la position du Sénat sous deux majorités différentes, il nous semble donc aujourd'hui nécessaire de fusionner les critères d'évaluation du SMR et de l'ASMR et de passer à un critère d'évaluation unique. Le rapport Polton propose la mise en place d'un « indice de valeur thérapeutique relative » qui intègre pleinement la dimension comparative de l'évaluation du médicament. Celle-ci nous paraît plus que jamais nécessaire. En effet, nos critères d'évaluation actuels sont marqués par le long plateau qu'a connu l'innovation en matière de médicament : dans un contexte de faible innovation, la moindre avancée était fortement valorisée. Dès lors qu'arrivent sur le marché des médicaments ayant un apport thérapeutique important, voire majeur, il faut des critères d'évaluation adaptés.
Le choix d'un indice unique pour l'évaluation du médicament s'accompagne pour nous d'un autre choix que le rapport Polton décrit, parmi d'autres, et que le Gouvernement n'a pas retenu. Il s'agit de la fusion de l'ensemble des taux de remboursement autre que le taux de 100 %. En effet les taux de 15 %, 30 % et 65 % établissent une hiérarchie complexe dans la prise en charge sociale du médicament, hiérarchie illisible pour les patients comme pour les professionnels de santé dans la mesure où un médicament pris en charge à 30 % n'est pas nécessairement plus efficace qu'un médicament pris en charge à 15 % ni moins efficace qu'un médicament pris en charge à 65 %.
Par ailleurs, le taux réel de prise en charge des médicaments est en fait très différent du taux affiché. Ceci résulte de la prise en charge à 100 % des molécules prescrites pour le traitement d'une affection de longue durée. Comme le montre le rapport Polton, les médicaments pris en charge en théorie à 15 % le sont en moyenne à 38 %, ceux pour lesquels le taux est fixé à 30 % le sont en réalité à 40 % et ceux relevant du taux de 65 % le sont à 81 %. Une réorganisation des taux de remboursement serait d'abord une mesure de clarification avant, éventuellement, d'être une mesure d'économie. Elle devrait limiter les écarts de prise en charge pour une même molécule entre personnes prises en charge en ALD et les autres malades.
Cette restructuration des taux de remboursement devra être accompagnée d'une révision de la liste des affections de longue durée ALD qui n'a cessé de s'allonger depuis les 6 premières maladies admises pour atteindre aujourd'hui plus de 30 pathologies.
A l'évidence, certaines d'entre elles nécessitent des traitements peu coûteux et supporteraient un remboursement moindre.
Les effets d'une telle mesure, qui ne pourrait être mise en place que progressivement, doivent bien sûr être étudiés, notamment l'impact financier du basculement d'une partie des molécules vers un remboursement à 100 %, mais elle apparaît nécessaire pour la cohérence du système. Le niveau du taux de remboursement autre que 100 % devrait dans la même logique être étudié et débattu, mais il apparaît clairement qu'il ne saurait être inférieur à 50 %.