Un indice unique d'évaluation du médicament sera également un moyen d'agir de manière plus efficace sur la fixation du prix du médicament. En effet, dès lors qu'un médicament est admis au remboursement, son prix n'est plus libre. Il est fixé par le Comité économique des produits de santé, dont la composition et les compétences sont fixées par la loi : sur la base de l'évaluation de l'ASMR faite par la commission de la transparence et de l'évaluation médico-économique que conduit également, dans certains cas, la HAS, le CEPS négocie avec les industriels le prix de chaque molécule.
Les critères de fixation de ce prix, s'agissant des médicaments princeps et génériques, sont définis par le code de la sécurité sociale, et subsidiairement par la convention qui lie le CEPS aux entreprises du médicament et par la lettre d'orientation adressée au président du comité par les ministres en charge de la santé, de la sécurité sociale, des finances et de l'industrie.
La baisse des prix du médicament, en dehors de l'année 2014, est attribuable à la capacité de négociation du CEPS qui négocie et renégocie le prix des molécules en faisant jouer la concurrence entre médicaments ayant une même indication et en appliquant des baisses de prix dès lors qu'un médicament est génériqué.
Ce système a été critiqué, car il repose sur une négociation avec les industriels dont les clauses sont secrètes. En effet, les industriels proposent un prix qui fait l'objet d'une négociation, mais ils proposent aussi des remises : le prix réel n'est donc pas le prix affiché. Le montant total de ces remises versées à l'assurance maladie est connu : 700 millions d'euros en 2014.
Si le montant total des remises est publié chaque année par le CEPS, le montant des remises consenti par les industriels sur chaque médicament est protégé par le secret des affaires, qui résulte tant du droit international que de la jurisprudence de la commission d'accès aux documents administratifs. Une directive européenne est en cours d'élaboration sur cette question.
Quel que soit l'organisme chargé de négocier avec les industriels, il sera donc soumis au secret des affaires. La question n'est donc pas de savoir s'il peut être levé mais s'il existe un autre moyen d'agir sur le prix du médicament.
Certains pays, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, acceptent le prix proposé par les industriels. Cette solution n'est possible que dans des systèmes qui admettent la possibilité de ne pas prendre en charge socialement les médicaments les plus chers. Au Royaume-Uni, l'évaluation médico-économique en termes de qualité des années de vie gagnées du fait d'un médicament conduit à écarter sa prise en charge par le National Health Service (NHS) dès lors qu'il est trop cher. Ceci a par exemple été le cas pour les médicaments contre le virus de l'hépatite C (VHC).
En France, l'action sur les prix est nécessaire et, malgré ses défauts, la négociation paraît le seul moyen d'y parvenir. En effet, les mécanismes d'appel d'offres sur le modèle des Pays-Bas ou sur celui préconisé par la Commission européenne créent une instabilité pour les patients, qui deviennent dépendants des contrats passés par les autorités publiques pour la continuité d'une molécule.
Par ailleurs, l'idée d'une fixation unilatérale du prix des médicaments par les pouvoirs publics, voire de la mise en place d'une licence d'office, se heurte aux règles régissant le commerce international et spécifiquement à la nécessité d'une indemnité en cas d'expropriation.
Il n'en demeure pas moins que la différence entre le prix affiché et le prix remisé permet aux laboratoires de faire jouer la concurrence entre les Etats. Cette situation n'est pas acceptable au regard de l'arrivée de traitements particulièrement onéreux sur le marché. Mais elle ne peut trouver de solution que dans une concertation internationale ou au moins européenne. Il est donc particulièrement regrettable que les efforts de la ministre de la santé pour établir avec nos partenaires européens, ou au moins avec l'Allemagne, une position commune sur le Sovaldi aient échoué, tout comme le projet du Président de la République d'établir une position commune du G7.
La France doit mener une action résolue au niveau européen et international et doit renforcer sa capacité de négociation avec les laboratoires. Ceci signifie que l'information sur le prix du médicament à l'hôpital, dans les officines, à l'international doit être mieux suivie par le CEPS qui ne dispose que de neuf personnes, aussi qualifiées soient-elles dont son président, pour mener l'ensemble des négociations sur le médicament face aux grandes entreprises internationales du médicament.
Ce renforcement des moyens mis au service de la négociation doit permettre également le développement des contrats de performance signés avec les laboratoires afin de rémunérer un médicament sur ses effets réels et non sur les promesses issues des premiers essais, portés par les laboratoires eux-mêmes. Pour l'heure, ces contrats s'avèrent décevants pour les finances sociales en raison du manque de données publiques permettant de suivre l'usage et les effets des molécules. De tels instruments doivent être développés afin de rémunérer l'innovation de manière adéquate. En l'absence de tels contrats, les laboratoires proposent pour leur part de se voir attribuer la part des dépenses sociales qui serait économisée du fait de leurs médicaments. Il s'agirait simplement de fermer les services hospitaliers devenus inutiles... A supposer même que de telles réorganisations soient possibles, il n'est pas envisageable de considérer les dépenses d'assurance maladie comme une enveloppe acquise que les fournisseurs de produits de santé pourraient se partager.
Notre réflexion commune nous a également conduits à préconiser une évolution de la composition du CEPS afin que les représentants de l'assurance maladie y aient une place renforcée. C'est en effet l'assurance maladie qui est le payeur en dernier ressort du médicament et son point de vue doit être au moins égal à celui de l'Etat.
A l'issue de nos travaux, nous formulons donc les préconisations suivantes sur l'ensemble des aspects de la politique du médicament, que nous avons abordés :
- Mieux valoriser les innovations liées à la recherche publique française en renforçant les moyens de la recherche fondamentale et en menant une politique plus active en matière de brevets.
- Agir au niveau européen pour renforcer les exigences relatives à l'évaluation du médicament pour l'autorisation de mise sur le marché.
- Associer aux avis de la commission de la transparence en cas de déremboursement des recommandations permettant d'assurer la meilleure prise en charge du patient tout en limitant le report de prescription.
- Définir une politique de santé publique relative au développement de l'automédication.
- Développer des partenariats entre le CEPS et la Cnam afin de favoriser le bon usage du médicament et d'agir sur les comportements de promotion, de prescription et d'usage.
- Mener une action intergouvernementale avec nos principaux partenaires européens afin de définir un cadre commun de négociation du prix des médicaments les plus onéreux.
- Clarifier la notion de secret des affaires en transposant rapidement la directive européenne.
- Proscrire la mise en place de mesures fiscales ponctuelles.
- Prévoir une audition publique annuelle du CEPS devant les commissions des affaires sociales des Assemblées présentant les résultats de la négociation avec les industriels et la comparaison entre les prix du médicament en France et dans les pays voisins.
- Renforcer la place de l'assurance maladie au sein du CEPS et donner à celui-ci des moyens plus importants de contrôle et de comparaison.
- Mettre en oeuvre les préconisations du rapport Polton pour établir un critère unique d'évaluation comparative des médicaments, la valeur thérapeutique relative (VTR).
- Fusionner en un seul taux les trois taux de prise en charge à 15 %, 30 % et 65 % en s'appuyant sur les évaluations conduites par ce rapport.