Je suis, comme toujours, très heureux d'être entendu par vos commissions pour vous présenter le rapport que la Cour des comptes a publié ce matin sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Ce rapport est établi chaque année conformément à la LOLF, pour que le Parlement puisse préparer de la manière la plus opérationnelle possible le débat d'orientation sur les finances publiques. Il examine les finances publiques françaises à l'aune des objectifs fixés et des engagements pris par les pouvoirs publics. Le rôle de la Cour des comptes est d'apprécier les résultats obtenus au regard de ces objectifs et de ces engagements mais ce n'est pas la Cour qui les détermine.
Cette publication se situe dans le prolongement du rapport sur le budget de l'État en 2015, qu'il complète. Elle concerne, en effet, l'ensemble des administrations publiques, y compris la sécurité sociale et les administrations publiques locales, et analyse la trajectoire d'évolution des finances publiques à l'horizon 2019. Il est par ailleurs tenu compte des travaux du Haut Conseil des finances publiques, notamment sur les prévisions de croissance associées au programme de stabilité d'avril dernier.
Pour vous présenter ce rapport, j'ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de sa préparation, Christian Charpy et Éric Dubois, conseillers maîtres, ainsi que Vianney Bourquard, conseiller référendaire.
Dans ce rapport, la Cour des comptes dresse trois constats principaux. Premièrement, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015, mais la situation des finances publiques de la France reste en décalage avec la moyenne de l'Union européenne. Deuxièmement, l'objectif de réduction du déficit public pour 2016, plus modeste qu'en 2015, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales. Troisièmement, en l'état des décisions connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste. Avant de conclure mon propos, je ferai un rapide point sur les évolutions récentes en matière de gouvernance des finances publiques.
J'en viens au premier constat du rapport : la situation des finances publiques s'est légèrement améliorée en 2015, mais cette situation reste en décalage avec celle de la plupart des autres pays de l'Union européenne.
Interrompu entre 2013 et 2014, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015. La légère amélioration observée est plus rapide que prévu dans la loi de programmation des finances publiques : le déficit public, qui devait être de 4,1 points de PIB en 2015, a finalement été de 3,6 points de PIB. La Cour des comptes observe que cette amélioration d'un demi-point de PIB avait déjà été largement acquise en 2014, avec 0,4 point de déficit en moins qu'anticipé. Cette amélioration doit en outre être nuancée à plusieurs titres. D'une part, le déficit public reste à un niveau élevé en 2015. La réduction des déficits publics est essentiellement imputable aux collectivités territoriales, qui ont significativement infléchi leurs dépenses de fonctionnement (+ 1,0 % en 2015 après + 2,7 % en 2014), et diminué de manière marquée leurs dépenses d'investissement pour la seconde année consécutive. Une situation légèrement moins dégradée des comptes sociaux contribue également de manière plus marginale à ce résultat.
D'autre part, l'amélioration des déficits publics a bénéficié de phénomènes qui ne sont pas forcément récurrents. La modération des dépenses a été facilitée par la baisse des charges d'intérêts et par la chute de l'investissement local. Or ces évolutions ne peuvent pas être considérée comme pérennes. La dette publique continue d'augmenter, ce qui conduira les charges d'intérêts accrus si les taux d'intérêt remontent. La chute de l'investissement local, qui résulte en partie du cycle électoral, devrait cesser de favoriser la baisse des dépenses en 2016.
Nous examinons chaque année la situation des finances publiques au regard de celle de nos voisins européens. Cet examen conduit à plusieurs constats. En premier lieu, le niveau du déficit public reste élevé en France relativement à nos voisins. Seuls quatre pays de l'Union européenne conservent un déficit effectif plus dégradé que celui de la France : la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni. Cet écart touche également le déficit structurel. La France continue d'accuser un décalage par rapport aux autres économies européennes dans l'ajustement de ses finances publiques. Quatre pays seulement ont un déficit structurel plus élevé que celui de la France : le Royaume-Uni, l'Espagne, la Slovénie et la Belgique. La réduction du déficit public en France, de l'ordre de 0,5 point de PIB en 2015, est à peu près équivalente à celle observée en moyenne au sein de la zone euro et de l'Union européenne. Cela signifie que la France doit poursuivre ses efforts de réformes structurelles, si elle souhaite mettre fin au décalage observé aujourd'hui avec les autres pays européens ou a minima le réduire significativement.
En second lieu, les dépenses publiques en France ont continué d'augmenter en volume, à un rythme supérieur à celui de la plupart des autres pays de l'Union européenne. Si la maîtrise de la dépense fait désormais partie de la stratégie gouvernementale pour redresser les finances publiques, cette stratégie apparaît cependant moins marquée que dans d'autres pays, même ceux qui ont accru en 2015 leurs dépenses publiques, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Mais si l'on s'intéresse à l'ensemble de la période 2010-2015, l'Allemagne est le seul de ces pays à avoir connu une dynamique de la dépense publique supérieure à celle de la France depuis 2010. La situation des finances publiques y est nettement plus favorable.
En troisième lieu, la trajectoire d'endettement de la France diverge désormais non seulement de celle de l'Allemagne, mais aussi de celle de la moyenne des pays de la zone euro. Alors que le poids de la dette publique a diminué en moyenne dans la zone euro (- 1,3 point de PIB) et dans l'Union européenne (- 1,6 point de PIB), il a continué à augmenter en France (de 0,4 point de PIB).
De manière à infléchir la dépense publique, le Gouvernement a annoncé un plan de 50 milliards d'euros d'économies de dépenses sur la période 2015 à 2017, dont la Cour des comptes a examiné la mise en oeuvre pour 2015. Lors de l'annonce de ce plan, le Gouvernement avait réparti les économies sur les trois années 2015 à 2017, avec une première tranche de 21 milliards d'euros d'économies en 2015, puis deux tranches de 14,5 milliards d'euros chacune, en 2016 et 2017. Cette répartition a été modifiée progressivement au cours de l'année 2015 jusqu'au programme de stabilité d'avril 2016. Dans ce document, le montant d'économies a été révisé à la baisse pour 2015 et 2016. L'effort le plus important a alors été reporté sur l'exercice 2017 (18,7 milliards d'euros). La Cour des comptes observe que le montant des économies correspond à un effort par rapport à une évolution tendancielle des dépenses publiques. Or l'examen des hypothèses retenues par le Gouvernement révèle qu'elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance tendancielle. Elles comportent ainsi un biais majorant d'autant les économies affichées. La première tranche d'économies de plus de 18 milliards d'euros en 2015 a été examinée dans ce rapport. Même si l'effort des pouvoirs publics est réel, la Cour des comptes estime que le montant d'économies s'élève plutôt à 12 milliards d'euros, du fait essentiellement d'une moindre contribution de l'État : ses dépenses (hors prélèvements sur recettes, hors charges d'intérêts, hors pensions) ont en effet continué d'augmenter de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015, alors qu'elles auraient dû diminuer de près d'un milliard. De surcroît, certaines mesures d'économies présentées par le Gouvernement ne peuvent pas être comptabilisées comme des économies réelles. En particulier, le ralentissement de la dépense des programmes d'investissements d'avenir (PIA) correspond davantage à des décalages de paiements qu'à une vraie économie. La dépense est reportée dans le temps et non pas annulée. Les crédits totaux destinés aux PIA affectés aux opérateurs restent, en effet, inchangés.
Au total, l'effort sur les dépenses publiques en 2015 a été réel, mais moindre que celui correspondant aux engagements européens. L'effort structurel qui aurait permis de respecter les engagements européens de la France est de 0,5 point de PIB par an. Or l'effort structurel tel qu'évalué par le Gouvernement est de 0,3 point de PIB hors charge d'intérêts, avec la croissance potentielle retenue par le Gouvernement, et serait de 0,2 point de PIB avec la croissance potentielle estimée par les organisations internationales.
L'objectif de réduction du déficit public pour 2016, modeste, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l'État et sur les dépenses sociales.
Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public prévu pour 2016 était de 3,6 points de PIB. Dans le programme de stabilité d'avril 2016 transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée à 3,3 % du PIB. Les résultats, meilleurs que prévu en 2014 et en 2015, associés à une conjoncture économique orientée plus favorablement, sous réserve d'effets possibles du résultat du référendum au Royaume-Uni, permettent ainsi d'envisager une situation financière un peu améliorée en 2016. Les risques apparaissent limités sur les prélèvements obligatoires. La prévision de recettes repose sur un scénario de croissance du PIB et d'inflation jugé réaliste par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le dernier programme de stabilité. Les indicateurs de conjoncture publiés depuis cet avis le confortent, sous réserve des conséquences éventuelles du « Brexit ».
Les recettes publiques apparaissent correctement calibrées. Elles devraient progresser en 2016 au rythme d'une croissance économique, en amélioration par rapport à 2015, comme le retient la prévision du Gouvernement, toujours sous réserve des conséquences éventuelles de la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Si le scénario relatif aux recettes publiques apparaît relativement prudent, la trajectoire de déficit ne saura être durablement respectée sans une maîtrise rigoureuse des dépenses. Des tensions fortes existent, notamment en ce qui concerne l'évolution des dépenses de l'État. Elles sont plus importantes en 2016 qu'en 2015. Les risques de dépassement pourraient représenter en 2016 entre 3,2 et 6,4 milliards d'euros, contre des risques estimés entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros à la même époque l'année dernière. Ces dépassements sont avant tout liés aux annonces de mesures nouvelles et aux sous-budgétisations. Les annonces nouvelles recensées par la Cour des comptes pourraient conduire à accroître les dépenses de l'État de 2,5 milliards d'euros. Cet accroissement serait principalement le fait du plan d'urgence pour l'emploi, des aides accordées aux agriculteurs et aux éleveurs et de la hausse des dépenses du ministère de la défense. Les sous-budgétisations seraient d'environ 2 milliards d'euros en 2016, soit un ordre de grandeur comparable à celui observé en 2015. Malheureusement, les sous-budgétisations sont récurrentes. Elles concernent en particulier les missions « Défense », « Travail et emploi », et « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Ces sous-budgétisations nuisent à la sincérité du vote du Parlement sur la loi de finances. Elles rognent dès le début de l'année les marges de manoeuvre nécessaires pour maîtriser l'exécution de la dépense budgétaire.
Par ailleurs, la masse salariale de l'État, hors contributions au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », devrait progresser de 1 à 1,5 % en 2016, contre 0,4 % en 2015. Il faut remonter à 2007 pour retrouver un tel rythme d'évolution. Les trois facteurs qui avaient permis de modérer la masse salariale de l'État depuis près de dix ans contribuent maintenant à cette accélération. Les effectifs augmentent depuis 2015. La valeur du point de la fonction publique sera majorée au 1er juillet 2016 puis au 1er février 2017. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures catégorielles depuis le début de cette année.
Le Gouvernement a accentué, en début d'exercice, la réserve de précaution pour tenir l'objectif de dépense de l'État. Il a décidé de geler les reports de crédits de manière transversale, pour la première fois depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Par ailleurs, l'élaboration, en juin 2016, du premier des trois décrets d'avance prévus dans l'année a déjà donné lieu à des arbitrages difficiles, le Gouvernement ayant renoncé à certaines des annulations prévues initialement. Au regard de l'ampleur des risques de dépassement de crédits, le respect de l'objectif de dépenses incluses dans la norme de dépenses en valeur sera particulièrement difficile en 2016, même s'il reste atteignable. À titre de comparaison, malgré des risques de dépassement moindres en 2015, la norme de dépenses n'avait été respectée que facialement, grâce à la baisse du prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne et à des contournements notables (3 milliards d'euros).
Le respect de l'objectif pourrait devenir impossible si de nouvelles dépenses supplémentaires venaient à être décidées d'ici la fin de l'année. Des risques de moindre ampleur pèsent également sur les dépenses des administrations de sécurité sociale. En particulier, l'économie de 800 millions attendue en 2016 de la renégociation de la convention de l'Unedic paraît désormais hors d'atteinte à la suite de l'échec de cette négociation.
Au total, si l'objectif, plus modeste qu'en 2015, de réduction du déficit reste atteignable, il exigera une gestion très stricte des moyens. Il ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses. Les annonces successives de nouvelles dépenses publiques, qui ne sont, en l'état de nos connaissances actuelles, ni financées ni gagées par des économies pérennes, font peser un risque sur les finances publiques en 2016 mais plus encore sur les années suivantes. Parmi les dépenses supplémentaires annoncées au cours de l'année 2016, celles concernant la masse salariale pèseront en effet essentiellement à partir de 2017 et continueront de monter en charge ensuite.
J'en arrive au troisième et dernier constat de la Cour des comptes : au regard des décisions d'ores et déjà connues, l'atteinte de l'objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu réaliste, au regard des nouveaux engagements pris. Pour les années 2017 à 2019, le programme de stabilité d'avril 2016 prévoit une trajectoire de redressement des finances publiques revue à la baisse par rapport à la loi de programmation. L'amélioration du déficit public est en effet moindre que celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, alors même que le déficit de 2015 est d'un demi-point inférieur. Le résultat, meilleur que prévu, n'est donc pas mis à profit pour réduire plus rapidement le déficit public et infléchir nettement la trajectoire de dette.
Le Gouvernement a, dès le programme de stabilité d'avril 2015, révisé à la hausse la croissance potentielle pour 2016 et 2017. Elle se situe désormais à un niveau sensiblement supérieur à celui retenu par les organisations internationales. Elle permet ainsi au Gouvernement d'afficher un solde structurel à l'équilibre en 2019 malgré un déficit effectif s'élevant encore à 1,2 point de PIB. Cependant, avec les estimations de PIB potentiel des organisations internationales, le déficit structurel serait d'environ un point de PIB. Sur la base d'hypothèses de croissance potentielle plus prudentes, une trajectoire plus ambitieuse de finances publiques serait nécessaire pour respecter, en 2019, l'objectif de moyen terme de solde structurel fixé à - 0,4 point de PIB par la loi de programmation.
L'analyse du programme de stabilité montre en outre que l'atteinte d'une cible de déficit effectif de 1,2 point de PIB en 2019 suppose une maîtrise sans précédent du volume de la dépense publique compte tenu de la baisse visée du taux de prélèvements obligatoires de 0,2 point par an. La dépense publique en volume (hors charges d'intérêts) devrait être stable en 2017 puis baisser légèrement en 2018 et en 2019, ce qui n'a jamais été le cas dans notre histoire budgétaire récente, sauf en 2011 compte tenu des effets des PIA. Cela devrait impliquer un effort accru par rapport à la période récente puisque cette dépense en volume a progressé en moyenne de 1,1 % entre 2010 et 2015 et de 2,6 % entre 2000 et 2009. Pour que l'objectif soit atteint, il faut donc aller au-delà, en ralentissant encore la dépense publique. Pour le moment, le Gouvernement ne présente pas de réforme nouvelle qui permette de conforter ses objectifs. Au contraire, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d'année concernant l'emploi, la modération de l'effort demandé aux communes et intercommunalités et, surtout, la progression de la masse salariale vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur d'environ 0,3 point de PIB en 2017, soit de l'ordre de 6 milliards d'euros. En particulier, la masse salariale des administrations, qui représente près du quart des dépenses publiques, augmentera, dès 2017, à un rythme marquant une forte rupture avec les évolutions constatées depuis dix ans. Aucun des trois leviers - stabilité des effectifs, gel du point d'indice et limitation des mesures catégorielles - ne sera actif. De ce fait, la masse salariale de l'État pourrait progresser en 2017 à un rythme supérieur à celui enregistré au total sur l'ensemble de la période 2009-2015, soit plus de 2 %. La réforme des grilles salariales négociée dans le cadre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » va entraîner également une hausse des dépenses de personnel. Sa montée en charge progressive représenterait à l'horizon 2020 entre 2 et 2,5 milliards d'euros pour la seule fonction publique d'État, et entre 3,5 et 4,5 milliards d'euros pour l'ensemble des composantes de la fonction publique.
Les travaux de la Cour des comptes montrent que les risques pesant sur la réalisation de cette trajectoire sont très importants. Pour atteindre la cible du programme de stabilité, les mesures annoncées dans le cadre du plan d'économies à 50 milliards d'euros devraient être effectivement mises en oeuvre et comporter des mesures supplémentaires qui, pour le moment, font défaut.
Un mot sur la gouvernance des finances publiques : la crise financière de 2008, puis celle des dettes souveraines, ont conduit les États membres de l'Union européenne, en particulier ceux de la zone euro, à revoir leur gouvernance budgétaire. Plusieurs textes sont intervenus qui prévoient trois innovations : une règle d'équilibre structurel ; l'instauration d'un mécanisme de correction automatique ; la création d'institutions budgétaires indépendantes. Afin d'accompagner la mise en oeuvre de la maîtrise des dépenses, la Cour des comptes s'est penchée sur la mise en oeuvre de ces règles. Les textes européens imposent désormais la fixation d'un objectif d'équilibre de moyen terme, défini en termes structurels, qui ne peut pas être supérieur à 0,5 point de PIB. Le pilotage de la politique budgétaire à partir d'un objectif de solde structurel, plutôt que nominal, est, dans son principe, économiquement souhaitable : il permet de limiter le risque d'une politique budgétaire trop relâchée en période de croissance forte ou trop rigoureuse en période de récession et il permet aussi de refaire de la politique budgétaire un instrument contra-cyclique. En France, cet objectif est inscrit dans les lois de programmation des finances publiques. Révisables à tout moment, celles-ci ne lient pas le législateur financier. Le mécanisme de correction automatique, qui impose une correction en cas de déviation significative de la trajectoire de solde structurel, n'a en pratique pas fonctionné en 2014. Ce mécanisme a été déclenché au printemps 2014 mais le Gouvernement, plutôt que de revenir sur la trajectoire de finances publiques de la loi de programmation alors en vigueur, a choisi de modifier cette trajectoire en présentant une nouvelle programmation pluriannuelle.
Les nouvelles règles de gouvernance ont imposé la création d'organismes budgétaires indépendants Dans ce cadre, la France a créé le Haut Conseil des finances publiques. Les organisations internationales considèrent que ces institutions incitent les pouvoirs publics à davantage de prudence dans l'estimation des recettes publiques, élément clef pour le respect des trajectoires de solde.
Quelques améliorations pourraient renforcer la gouvernance des finances publiques. D'abord, l'objectivation de la croissance potentielle paraît nécessaire pour ne pas biaiser les cibles de solde structurel. Autant d'économistes, autant de prévisions, certes. Mais il serait intéressant de rapprocher les hypothèses de travail. Lorsque les prévisions de croissance sont révisées, il conviendrait que les comités budgétaires indépendants puissent être consultés et exprimer leur avis. Nous constatons que le programme de stabilité annuel est devenu la pierre angulaire du dialogue avec l'Union européenne et, à bien des égards, plus structurant que les lois de programmation, qui ne donnent d'ailleurs lieu qu'à un examen limité, tant par le Parlement que par le Haut Conseil des finances publiques. Plus de solennité à l'approbation des programmes de stabilité ne nuirait pas.
Ensuite, les règles européennes de gouvernance budgétaire pourraient être simplifiées. Si la référence au solde structurel permet de vérifier la soutenabilité de long terme de la politique budgétaire et doit donc être conservée dans son principe, elle gagnerait à être complétée par une règle de dépense, plus facile à expliciter ex ante et à vérifier ex post. Une telle règle pourrait prendre la forme d'un objectif de dépenses décliné annuellement pour l'ensemble des administrations publiques, fixé en euros courants, en fonction d'une cible de solde structurel compatible avec le respect de l'objectif structurel de moyen terme. Un tel schéma imposerait de réfléchir à un mode de gouvernance associant l'État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. Il faudrait en préciser sa définition et les modalités de son suivi.
En conclusion, je rappellerai d'abord que la Cour des comptes ne méconnaît pas les efforts réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au redressement des finances publiques. Pour autant, elle redoute que l'amélioration de la conjoncture conduise une nouvelle fois à interrompre ce mouvement. Les travaux de la juridiction financière, en mettant notamment en lumière les expériences de nos voisins européens, montrent au contraire que l'effort structurel ne doit pas être relâché au moment où les pouvoirs publics bénéficient d'une conjoncture économique favorable et de taux d'intérêt extrêmement bas. Les ajustements structurels des finances publiques qui doivent intervenir dans des phases de conjoncture moins favorables sont généralement beaucoup plus douloureux.
En dépit des progrès réalisés dans la période récente, la politique de maîtrise de la dépense menée jusqu'à présent a davantage visé à la contenir qu'à la réduire. Les résultats ne sont pas complètement au rendez-vous, alors que les travaux des juridictions financières soulignent les marges d'efficacité et d'efficience de l'action publique dans notre pays. Nous mettons toujours en avant le décalage qu'il peut y avoir entre le niveau des dépenses publiques et les résultats des politiques publiques.
Faire des choix explicites, s'attaquer aux principales sources d'inefficacité de la dépense, réexaminer les missions des administrations publiques prises dans leur ensemble et mieux cibler les dépenses d'intervention : tout cela aiderait à mieux maîtriser les dépenses publiques tout en permettant d'affirmer les priorités politiques voulues par les pouvoirs publics.