Intervention de Thierry Mandon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Préparation de la rentrée universitaire et financement de la recherche — Audition de M. Thierry Mandon secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Thierry Mandon, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un plaisir d'être avec vous et de répondre à vos invitations.

Nous partageons la même conviction sur le rôle absolument essentiel que joue l'implantation des établissements de l'enseignement supérieur dans les territoires. De ce point de vue, chacun a à l'esprit la note passionnante sur la mobilité sociale des jeunes Français que France Stratégie a publiée voilà deux mois. Elle tord le cou à l'idée reçue selon laquelle les jeunes citoyens de notre République ont d'autant plus de chances d'avoir des parcours de mobilité sociale qu'ils vivent dans des territoires dynamiques sur le plan économique. Elle montre au contraire que le déterminant principal de la mobilité sociale, c'est la facilité d'accès à des établissements d'enseignement supérieur. Si le territoire est économiquement peu dynamique, mais qu'à proximité se trouve un établissement d'enseignement supérieur - résultat d'une politique publique, donc d'un choix politique -, les possibilités de promotion sociale sont bien plus grandes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les territoires, vous connaissez autant que moi le rôle absolument essentiel de colonne vertébrale sociale que constituent l'enseignement supérieur et la recherche.

Vous m'interrogez sur deux problématiques, l'une concerne le budget de la recherche, l'autre, la préparation de la rentrée universitaire.

Sans anticiper sur la discussion budgétaire que nous aurons dans les prochaines semaines - les arbitrages ne sont pas encore tout à fait rendus -, je répondrai le plus précisément possible à vos préoccupations, en commençant par le décret d'avance et les questions budgétaires de la recherche, telles qu'elles se posent aujourd'hui.

Le décret d'avance, qui a été publié le 2 juin dernier, après quelques soubresauts, ne comprend pas les coupes budgétaires prévues sur les organismes de recherche. Ne figurent donc dans ce décret que trois économies. La première s'élève à 10 millions d'euros et porte sur des crédits immobiliers universitaires affectés à des opérations qui ne se font pas. La deuxième, d'un montant de 50 millions d'euros, concerne la réserve prévue en début d'année au titre du programme 150 sur les universités, ce qui n'a pas posé de problème à la conférence des présidents des universités, puisqu'il s'agit de fonds de réserve. La troisième - 5 millions d'euros - est relative à la recherche spatiale.

Les engagements pris par le Président de la République ont été tenus. Heureusement, car les besoins financiers des organismes sont réels.

Permettez-moi un retour sur image sur les budgets enseignement supérieur et recherche entre 2012 et 2016. Il s'agit de l'un des efforts budgétaires les plus importants au cours de ce quinquennat : depuis 2012, près de 500 millions d'euros ont été consacrés à l'augmentation tant du niveau des bourses que de leurs bénéficiaires. Cette augmentation est bien logique : elle s'inscrit dans un mouvement de démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, ce qui implique des préoccupations sociales à l'endroit de catégories sociales qui n'ont pas forcément les moyens d'accéder à ce type d'enseignement.

Le budget des universités est sanctuarisé. De fait, il a augmenté. Depuis 2012, 380 millions d'euros supplémentaires ont été consacrés aux établissements d'enseignement supérieur. Au regard des objectifs de démocratisation que nous fixons à moyen terme à l'enseignement supérieur, à l'évidence il faudra aller plus loin.

Les crédits du programme 150 s'élevaient à 12,511 milliards d'euros en 2012, ils atteignent aujourd'hui 12,893 milliards d'euros. La compétition internationale autour de l'accès à l'enseignement supérieur est vive : un comparatif international montre que la dépense par étudiant de la France est supérieure à la moyenne de l'OCDE.

Les sommes consacrées à la recherche sont sanctuarisées au niveau de 2012, soit 7,7 milliards d'euros. En revanche, des modifications ont eu lieu dans la répartition de cette somme : le budget de l'ANR a été réduit de 200 millions d'euros, mais les dotations aux opérateurs de recherche ont augmenté d'autant. Cette stabilité budgétaire n'est pas sans poser de difficultés, car elle signifie que la masse salariale est absorbée dans les efforts de gestion des organismes de recherche. Nous sommes donc aux limites de l'exercice. C'est la raison pour laquelle les organismes se sont émus quand ont été annoncées d'éventuelles économies budgétaires.

La répartition des dépenses et des financements récurrents de la recherche publique par rapport aux recettes liées à des appels à projets s'établit désormais à 83 % pour le récurrent et à 17 % pour l'appel à projets. À l'échelon national, cela fait plus de place au financement par appel à projets, mais, si l'on compare avec les autres pays, c'est extrêmement favorable aux opérateurs de recherche français.

Il est vrai qu'un budget de 500 millions d'euros pour l'ANR est notablement insuffisant, pour le Président de la République comme pour moi-même. Il conduit, sur la base des restructurations de la matrice des appels à projets, à des taux de sélection de projets retenus inférieurs à 10 %. Il n'est pas possible de continuer avec des taux de réussite aussi faibles. Le Président de la République a donc souhaité que, dès 2016, un effort budgétaire soit réalisé pour que ce taux de sélection remonte à 12 % au minimum et à 16 % pour les projets qui s'appellent « défis de tous les savoirs » et concernent la recherche fondamentale. La lettre de cadrage précise que le taux de sélection doit continuer de monter, avec un plancher à 14 % minimum, jusqu'à 20 % pour les défis de tous les savoirs, taux tout à fait correct au regard des autres agences de recherche.

Outre cette augmentation des fonds de l'ANR pour la recherche, un crédit spécifique de 10 millions d'euros a été débloqué dès 2016 pour que des dossiers soumis aux financements européens, dits ERC, pour European Research Council, qui concernent les travaux des jeunes chercheurs considérés comme de grande qualité à l'échelon européen, mais pour qui les financements européens sont insuffisants, puissent être financés sans aucune instruction administrative complémentaire par l'ANR. Ce dispositif s'appliquera dès cette année.

De plus, nous avons fait évoluer les règles d'appel à projets de l'ANR et les avons calés sur les dispositifs prévus par la Stratégie nationale de recherche, c'est-à-dire en fonction des dix grands défis de cette stratégie que l'on retrouve comme armature des appels à projets de l'ANR. Certains se demandaient si cette réforme permettait de prendre suffisamment en compte les besoins de la recherche fondamentale. La démission de l'ensemble des membres du comité d'évaluation scientifique en mathématique et en informatique de l'ANR voilà quelques semaines oblige à se reposer la question. Nous avons demandé à l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, l'IGEANR, d'engager une mission très précise sur l'impact des nouvelles règles d'appel à projets, deux ans après leur mise en place, sur le financement de la recherche, notamment la recherche fondamentale. Cette mission rendra ses conclusions avant les appels à projets de 2017 : si elle le préconise dans ses conclusions, nous ferons les modifications nécessaires concernant la recherche fondamentale, d'autant que nous aurons plus d'argent.

J'en viens à la préparation de la rentrée universitaire.

Je me réjouis que la commission souhaite que nous évoquions ce sujet hors contexte de crise. L'année dernière, nous l'avions fait parce que la presse s'était fait l'écho de difficultés réelles que nous avons réussi à résoudre tant bien que mal. Cette année, la commission anticipe pour voir comment cela se passera ; c'est judicieux.

La rentrée prochaine sera marquée par plusieurs éléments, au premier rang desquels est confirmée la poursuite de la croissance des effectifs demandant à avoir accès à l'enseignement supérieur. J'ignore si elle s'établira à 30 000 ou 35 000 étudiants, soit le même niveau que l'année dernière.

Il s'agit là d'une rupture tout à fait significative par rapport à ce qui se passait voilà trois ou quatre ans, quand les progressions étaient de l'ordre de 10 000 étudiants. Aujourd'hui, la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur n'est pas un vain mot, c'est une réalité. Les Français sont bien conscients que l'accès à l'enseignement supérieur et la réussite dans une filière universitaire sont vitaux pour eux. La croissance est au coeur de la StraNES.

Nous souhaitons optimiser la réussite des étudiants dans ce contexte de pression démographique forte. C'est tout ce qui concerne la procédure Admission post bac (APB) et tout ce qui se fait en matière d'orientation. Mme la ministre et moi avons ouvert le chantier.

Par ailleurs, comment veiller à ce que cette démocratisation se conjugue avec exigence de qualité des diplômes et réussite ?

Il n'est pas possible d'imaginer qu'un accès facilité entraîne de fait une dévalorisation des diplômes. Cette double mise sous tension de notre système d'enseignement supérieur est essentielle : il faut à la fois réussir l'orientation pour que l'accès à l'enseignement supérieur soit synonyme de réussite et qualifier les formations.

Nous avons annoncé un certain nombre de réformes de la procédure APB, qui sont en place dès cette rentrée. Il s'agit principalement de la technique des voeux groupés par filière pour une académie. Un élève qui veut entreprendre des études de droit dans la région Rhône-Alpes et demande l'université de Lyon comme premier voeu peut également candidater auprès des autres établissements du voisinage de la même académie pour être sûr d'obtenir la filière de son choix. Il obtiendra donc l'orientation souhaitée.

Par ailleurs, il a été demandé aux candidats bacheliers généraux d'émettre au moins un voeu pour une filière qui n'est pas en tension, afin d'éviter une orientation par défaut. Jusqu'à présent, lorsqu'un bachelier ne demandait que des filières en tension, s'il ne formulait pas d'autres voeux, il risquait d'être affecté dans une formation qu'il n'avait absolument pas choisie. Tel ne peut plus être le cas.

Des mesures d'accompagnement en matière d'orientation ont été prises. Sur APB figurent désormais un certain nombre d'indications de taux de réussite selon les profils d'entrée, le type de bac, la poursuite d'études : insertion et salaires sont donnés avant même l'inscription selon un système « pop-up » - les informations viennent d'elles-mêmes. Il faudra sophistiquer ce système dans les années à venir.

En outre, les professeurs principaux ont connaissance des voeux de leurs élèves et peuvent donc les guider avant leurs choix définitifs. Dans cinq académies que nous avons particulièrement mobilisées dans le cadre de cette expérimentation, une implication forte des professeurs principaux dans l'orientation des futurs étudiants donne des résultats assez significatifs.

Nous avons publié la présentation de l'algorithme d'APB. Ceux qui s'interrogeaient à ce sujet ont désormais des réponses.

Voici donc les résultats concrets du nouvel APB.

Premièrement, on note une baisse très significative du nombre de candidats sans affectation : plus de 80 % des candidats ont reçu une proposition dès le premier tour ; on ne connaît pas encore le taux d'acceptation. Près de 50 % des candidats ont obtenu leur premier voeu. Ce sont des chiffres en progression assez sensible, qui nous permettent de garantir dès à présent qu'il n'y aura pas de difficulté d'affectation d'étudiants à la prochaine rentrée universitaire.

Deuxièmement, on constate une forte baisse du nombre de filières sous tension, c'est-à-dire des filières pour lesquelles la capacité d'accueil est inférieure au nombre de premiers voeux des candidats de l'académie. L'année dernière, on comptait 189 filières sous tension contre 78 cette année. Cela correspond à une baisse de près de 60 % directement liée aux évolutions dont je viens de parler.

Qui plus est, tout un travail a été accompli pour mieux accompagner les étudiants dans l'enseignement supérieur : un accès prioritaire des bacheliers professionnels dans les sections de techniciens supérieurs (STS) et des bacheliers technologiques aux Instituts universitaires de technologie (IUT) a été renforcé avec la décision de créer 2 000 places de brevets de technicien supérieur (BTS) supplémentaires chaque année au cours des cinq prochaines années.

En outre, un élargissement des horizons des élèves des milieux les plus modestes a été mis en place avec les parcours d'excellence pour les collégiens des réseaux d'éducation prioritaire (REP) : pour eux, un accompagnement est réalisé de la troisième à la terminale avec des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur, le monde de l'entreprise. On connaît les expériences très réussies en région, notamment à Lille. À la rentrée 2016, cela concernera près de 20 % des élèves de troisième de REP+. Là encore, c'est très significatif.

Troisièmement, les intitulés des diplômes nationaux ont désormais été complètement simplifiés ; le processus est quasi achevé à quelques unités près. Nous sommes passés de 322 mentions de licences à 45, de 1 800 intitulés de licences professionnelles à 173, de 5 000 spécialités de master à 255 intitulés. C'est une simplification assez drastique, mais ce n'est pas pour autant la pyramide de Kheops ! Le système n'est pas figé. Si une nouvelle mention de master était indispensable, ce serait possible. La volonté de simplifier et d'améliorer la visibilité du système reste très forte.

Nous investissons massivement - nous allons continuer à le faire - dans la transformation numérique de l'enseignement supérieur. L'une des caractéristiques du PIA 3 qui a été annoncé la semaine dernière est un financement très important - 150 millions d'euros - consacré à l'innovation pédagogique et à l'innovation numérique.

Nous avons publié par décret la liste des masters dits sélectifs. Tout le monde a bien compris la logique imparfaite de remise en sécurité juridique de ce dispositif.

Nous sommes en train de mener une concertation approfondie sur les modalités de l'accès en cycle master dès la première année avec les organisations étudiantes et les organisations de présidents d'université.

Nous avons opéré une réforme doctorale profonde, qui a fait l'objet d'une concertation très longue et a été très largement acceptée par le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER. Je m'en réjouis, car il fallait assurer la qualité du doctorat, sa compatibilité avec l'internationalisation des études. Il est absolument nécessaire que le doctorat prépare à des carrières de recherche publique, mais aussi à des carrières en dehors, par exemple dans la recherche privée.

Reste à parfaire la réforme du master, ce que nous espérons pouvoir faire d'ici à la fin de l'année.

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