Monsieur Grosperrin, il est très important que le continuum entre le bac-3 et le bac+3 soit au coeur des réflexions d'évolution du système. De ce point de vue, le travail que j'accomplis avec Najat Vallaud-Belkacem est remarquable. L'orientation qui est au coeur des problématiques que nous évoquons est également pour nous une priorité.
La recherche a été sanctuarisée. Vous avez rappelé un certain nombre d'épisodes. Ce qui compte, c'est que les économies envisagées n'aient pas été réalisées. Je me suis demandé pourquoi, malgré l'engagement du Président de la République, on constatait de temps en temps des tentations de prélever tel ou tel élément du sanctuaire. La réponse est assez simple : la culture de la recherche, la spécificité de la recherche ne sont pas assez connues dans l'administration française. Ceux qui préparent les budgets ne comprennent pas qu'un chercheur ait besoin à la fois de projection dans le temps, de durée, de continuité, toutes choses qui sont d'une autre nature que les procédures budgétaires annuelles.
J'en tire une autre conclusion : plus il y aura de docteurs dans les postes de responsabilité de l'administration publique, mieux cela se passera. Nous réfléchissons à des moyens d'augmenter la part de ceux qui connaissent la recherche dans les lieux de décision.
Vous dites que l'on a tardé à répondre aux problématiques du master 2. Cela fait quatorze ans que le problème existe : nous avons tardé collectivement ! Aujourd'hui, nous l'avons réglé. À mon sens, le dispositif est sécurisé au plan juridique.
Il reste du travail à faire pour éradiquer le tirage au sort. On est en train de faire baisser ce système de manière systématique. Les résultats sont déjà tout à fait considérables. Si l'on veut que l'enseignement supérieur accueille les étudiants qui sont de plus en plus nombreux à frapper à sa porte, il faut se rendre cette évidence : à moyens constants, on n'y arrivera pas ! Je le dis, la StraNES, France Stratégie le disent. L'une des façons de supprimer le tirage au sort, c'est l'orientation ; c'est aussi donner plus de moyens à un système qui accueille de plus en plus d'étudiants.
Madame Gillot, vous m'avez interrogé sur les PIA, la reconnaissance de l'excellence, l'insuffisance des dispositifs actuels. Nous avons mis sous tension notre système de recherche et d'universités de recherche en proposant à ces derniers d'avoir des financements substantiels, s'ils modifient leurs règles de gouvernance. Cela prend du temps. Nous avons raison de nous fixer ce niveau d'exigence, mais il faut une barre intermédiaire. J'ai à peu près fait le tour de toutes les universités, j'ai vu des gens absolument remarquables, qui ont une spécialité en matière de recherche, mais ne pourront jamais être ni IDEX ni I-SITE, même s'ils mériteraient d'être soutenus par la puissance publique au regard de cet effort d'excellence. C'est l'un des objectifs du PIA 3 de créer ces outils qui permettront d'allier diversité des potentiels du territoire national et reconnaissance de l'excellence. Une ligne de crédit assez significative a été créée dans le PIA 3 - de l'ordre de 300 millions d'euros - à cette fin.
Sur la question des taux d'intérêt, il n'y a pas de crainte à avoir.
Nous venons de prendre trois types de mesures très importantes, qui vont radicalement changer les systèmes de valorisation tels qu'ils ont été développés depuis dix ans.
Premièrement, nous avons simplifié drastiquement les règles de la propriété intellectuelle entre acteurs publics. Le décret est en signature : désormais, le mandataire unique est obligatoire dans toutes les équipes mixtes. Il y aura donc un seul référent pour la propriété intellectuelle.
En outre, dans tous les secteurs de la recherche publique, les équipes mixtes auront quatre mois maximum pour se mettre d'accord sur la répartition des bénéfices liés à la propriété intellectuelle. Si elles n'y parviennent pas, la règle forfaitaire s'appliquera.
L'autre réforme, c'est l'évolution des outils du PIA 1 : sociétés d'accélération du transfert de technologies, ou SATT, instituts de recherche technologique, ou IRT. Le pouvoir est redonné aux actionnaires des SATT ; l'État se retire de la gouvernance pour que ces dernières soient gérées par leurs actionnaires, c'est-à-dire les universités et les organismes de recherche dans les territoires. Au regard des rôles nouveaux que les régions jouent en matière de développement économique, il faut aussi que celles-ci puissent, si elles le souhaitent, devenir actionnaires.
Troisièmement, on lève la contrainte de rentabilité des SATT à dix ans. Grâce au rapport de Suzanne Berger, professeur de sciences politiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT), on sait que, partout dans le monde, aucune structure de ce type ne gagne de l'argent ! Il n'est pas possible d'être rentable quand on est intermédiaire entre la recherche publique et les entreprises ; c'est forcément une activité d'investissement.
Ces trois réformes ont été décidées. D'autres réformes, telles que le regroupement dans la SATT d'autres fonctions, mesure expérimentée actuellement à Bordeaux et à Montpellier, sont prévues.
Pour la puissance publique, il faut aussi un plus juste retour de la valeur créée par les entreprises grâce aux innovations issues des laboratoires de la recherche publique, c'est-à-dire des IRT. La recherche publique met des chercheurs à disposition dont elle paye 30 % des salaires, qui travaillent en collaboration avec des chercheurs des entreprises. Le produit de l'éventuelle recherche partenariale appartient à l'IRT ; il est exploité ensuite via des licences par les entreprises, ce qui est bien normal. Il se trouve qu'il n'y a jamais de retour financier pour les universités, lesquelles se retrouvent un peu comme les dindons de la farce. C'est pourquoi elles hésitent à mettre leurs meilleurs chercheurs dans un dispositif qui ne leur est pas favorable. Désormais, une convention sera signée. Cette contrainte a été levée par le Commissariat général à l'investissement. Je me félicite de ces évolutions très importantes.
Introduire un chapitre sur le Conseil national stratégique dans le Livre blanc est une très bonne idée que je retiens.
Une première version autorisant de fouiller les données a été votée par amendement à l'Assemblée nationale : elle était très performante pour la recherche, mais très inquiétante pour de nombreux secteurs, notamment le monde de la culture, avec toutes les problématiques liées au droit d'auteur. Le Sénat a proposé une version beaucoup plus lourde en matière de possibilité de fouille de données.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous souhaitez travailler à une solution permettant de conserver les avantages de la version issue des débats de l'Assemblée nationale sans les inconvénients que le Sénat avait justement soulignés. Si vous y parvenez, chapeau et bravo ! Vous rendrez un immense service à la recherche française, en lui permettant de ne pas être dépassée par la recherche britannique et allemande.
Madame Bouchoux, il reste des difficultés préoccupantes concernant les ÉSPÉ. Je les ai à l'esprit, mais je n'en tire pas de règle générale. C'est très variable selon les sites.
Il faut aussi travailler à la question des enseignants-chercheurs, à leur évaluation et au fait que la fonction d'enseignement n'est pas assez valorisée dans leur carrière. On ne peut pas dire qu'il faut accueillir de plus en plus d'étudiants et qualifier de plus en plus d'enseignants-chercheurs et les évaluer sur leurs seules publications. Je ne vois pas ce que notre système perdrait à valoriser ceux qui s'investissent vraiment dans la pédagogie.
J'aimerais parler plus précisément avec vous de l'ENA. Je suis très intéressé par l'idée d'avoir un travail sur les contributions que l'enseignement supérieur pourrait apporter à une bonification des enseignements à l'École. Je crois à l'ENA : il faut des cadres supérieurs de la République ; on en a plus que jamais besoin, mais il faut qu'ils soient formés de manière beaucoup plus collaborative, beaucoup plus diversifiée qu'ils ne le sont aujourd'hui. Vous avez raison de souligner la qualité de l'université de Strasbourg. Peut-être y a-t-il des modalités intelligentes à trouver.
Madame Gonthier-Maurin, je l'ai dit, à budget constant, cela ne marche pas ! Rendez-vous dans quelques semaines probablement.
Le Gouvernement porte l'engagement du Président de la République de sanctuariser le crédit d'impôt recherche sur la durée du quinquennat. L'appel d'offres est en préparation, j'ai l'intention de saisir une équipe indépendante, probablement issue d'une université, pour vérifier l'impact micro-économique du CIR, pour expliquer l'inélasticité de la dépense des entreprises en matière de recherche aux dépenses de CIR. Il faut donc analyser ce phénomène avec attention. J'entreprends cette démarche sans a priori, car le crédit d'impôt recherche est un dispositif qui présente beaucoup d'avantages et d'intérêts, mais il est opportun d'avoir une démarche scientifique sur un outil qui coûte de l'argent à la nation.
Monsieur Carle, pour résoudre le problème du taux d'abandon, je propose deux réponses. Il faut aller beaucoup plus loin en matière d'orientation, nous n'en sommes qu'au début. La préparation de l'accès à l'enseignement supérieur doit devenir une matière à temps plein dans l'enseignement secondaire. En France, 80 % des jeunes qui entrent dans l'enseignement supérieur en sortiront diplômés en quatre années, contre 70 % dans la moyenne des pays de l'OCDE. C'est un chiffre excellent qui montre qu'il n'y a pas de gaspillage massif de ressources ou de talents dans l'enseignement supérieur français.
Monsieur Dupont, on est en train de discuter d'une modalité d'expérimentation à droit constant avec la conférence des présidents d'université sur l'évaluation.
Sur l'autonomie, il ne faut pas se satisfaire de l'état actuel. C'est un premier pas, il faut aller plus loin, notamment sur la question de l'immobilier. On peut imaginer renforcer encore cette autonomie dans d'autres domaines. Il n'y a pas de salut en dehors d'établissements qui soient vraiment adultes, insérés à une politique nationale.