Intervention de Guy-Dominique Kennel

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 juin 2016 à 9h35
Préparation de la rentrée universitaire et financement de la recherche — Audition de M. Thierry Mandon secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Photo de Guy-Dominique KennelGuy-Dominique Kennel, rapporteur :

Je remercie à mon tour notre présidente de son initiative. J'ai eu grand plaisir à travailler avec Jacques-Bernard Magner et remercie les membres de la mission pour leur présence efficace et constructive. Loin de toute approche politicienne, j'ai entendu me fonder sur des réalités concrètes, pour émettre des recommandations pratiques.

Face à l'immensité du sujet, j'ai circonscrit mon travail au champ de compétence de notre commission, c'est-à-dire l'orientation scolaire au collège et au lycée, en vue de l'enseignement supérieur.

Je n'ai pas souhaité m'appesantir sur le constat, au profit d'un rapport plus opérationnel et tourné vers les propositions. Le constat des dysfonctionnements de l'orientation a été fait avant moi, en particulier par le Haut Conseil de l'éducation ou la Cour des comptes. Ce constat est simple : l'orientation par l'échec demeure une réalité.

Loin d'être un continuum, elle agit comme un couperet : le sort des élèves se joue en quelques mois dans certaines classes « palier » - la troisième, la seconde et, dans une certaine mesure, la terminale - et sur le seul fondement des notes obtenues par les élèves. Dans un système scolaire strictement hiérarchisé, au sein duquel la voie générale, et à l'intérieur de celle-ci la filière S, matérialise la réussite scolaire, l'orientation se fait véritablement par l'échec : sont progressivement écartés ceux qui n'ont pas les résultats pour aller en seconde générale et technologique, puis ceux qui ne peuvent pas aller dans la voie générale. Dans ce processus, l'élève est encore trop souvent passif et le travail en vue de l'orientation d'un élève de troisième demeure ponctuel et sans vraie cohérence d'ensemble. Il se limite bien souvent à la distribution de la brochure de l'ONISEP, une séquence d'observation en milieu professionnel de cinq jours, un entretien avec le conseiller d'orientation-psychologue et un autre avec le professeur principal.

De surcroît, l'affectation, qui répartit les élèves entre les différentes formations selon leurs capacités d'accueil, dément parfois les décisions d'orientation et mène ainsi à des orientations subies, en particulier dans la voie professionnelle. La répartition des élèves entre les filières ne dépend pas de leurs seules notes, mais aussi de leur origine sociale, de leur lieu d'habitation ou de leur sexe. Les statistiques sont éclairantes sur la question.

La complexité du système scolaire, le foisonnement d'une information de qualité variable et l'opacité des procédures d'affectation font de l'orientation un sujet d'anxiété pour de nombreuses familles, et pénalisent particulièrement les plus éloignées de la culture scolaire.

Mettre en avant une vision de l'orientation comme un choix éclairé et positif, élaboré par l'élève lui-même et en toute connaissance de cause : tel est le cap que je me suis fixé. Vous remarquerez que je m'inscris ainsi dans la droite ligne de la loi de refondation de l'école, et n'ai pas entendu adopter une posture critique univoque.

Je considère que la nouvelle ambition pour l'orientation que j'appelle de mes voeux nécessite, d'une part, une clarification des objectifs et d'autre part, une simplification de l'organisation du système éducatif.

Il s'agit, en premier lieu, de faire de l'insertion professionnelle des diplômés un objectif majeur du système éducatif, au même titre que les objectifs de qualification académique. L'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement professionnel est très décevante ; elle est meilleure pour les diplômés de l'enseignement supérieur, où la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) a fait de l'orientation et de l'insertion professionnelle une des missions du service public de l'enseignement supérieur. Mais les chiffres optimistes masquent de fortes disparités selon les filières et l'acceptation d'emplois sous-qualifiés, au prix de l'éviction des moins qualifiés. Les objectifs de qualification, que je ne remets pas en cause, doivent être plus clairement étendus à la formation continue : il s'agit de dédramatiser l'orientation et de l'inscrire dans une continuité.

Je propose, en second lieu, de simplifier l'organisation des acteurs de l'orientation, qui forme un paysage complexe : la multiplication des interventions, outre qu'elle coûte cher, aboutit à une information pléthorique, dispersée et parfois incohérente sur les métiers et les filières de formation. L'enjeu n'est pas tant d'accéder à l'information que de discerner celle qui est fiable et pertinente. En matière de pilotage, la loi du 5 mars 2014 a organisé un partage entre l'État et la région : à l'État l'accueil, l'information et l'orientation des publics scolarisés, à la région tout le reste. Or, ce que des responsables du Centre d'étude et de recherche sur les qualifications (CÉREQ) qualifiaient de « schizophrénie publique » engendre confusion et déperdition d'énergie : le rôle de coordination dévolu aux régions reste relativement flou, puisque l'orientation au sein du système éducatif lui échappe et que nombre d'organismes à déclinaison régionale, comme l'ONISEP, Pôle Emploi, ou le réseau Information Jeunesse, restent sous gouvernance nationale.

Je propose donc de regrouper physiquement, autant que faire se peut, les différents acteurs de l'orientation sur des sites uniques et de promouvoir une culture commune de leurs agents. Je préconise également de transférer aux régions la responsabilité de l'accueil, de l'information et de l'orientation des publics scolarisés en dehors des établissements scolaires - l'orientation et l'affectation des élèves demeurant une compétence régalienne de l'État. Cela implique le transfert vers les régions de l'animation du réseau « Information Jeunesse » et des Centres d'information et d'orientation (CIO). Les conseillers d'orientation-psychologues auraient le choix entre le transfert aux régions ou le maintien dans l'éducation nationale. Ils exerceraient alors dans les établissements ; leur mission serait recentrée sur l'appui aux équipes éducatives et le traitement des cas difficiles.

Enfin, j'appelle à réaffirmer la place centrale, dans les missions des enseignants, du conseil en orientation, mentionné dans leur statut et pour lequel ils perçoivent l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE). Leur formation initiale et continue en la matière doit être renforcée. La fonction de professeur principal, notamment en classes de troisième et de seconde, devrait être mieux reconnue et valorisée.

La deuxième partie de mon rapport s'attache au déroulement concret de l'orientation et de l'affectation des élèves dans le second degré, qui fait le coeur du sujet. Mes recommandations s'articulent autour de deux objectifs principaux : que l'orientation devienne réellement un parcours progressif dont chaque élève est l'acteur et que l'affectation, au sens large, devienne plus juste et transparente.

L'idée d'un parcours progressif, cohérent et personnel trouve son incarnation dans le parcours Avenir (ex-PIIODMEP), créé par la loi du 8 juillet 2013 et qui constitue un progrès notable. Mais il convient de lui consacrer un horaire dédié, de l'ordre d'une heure hebdomadaire, qui soit entièrement fongible à l'échelle de l'année, afin de prévenir sa marginalisation dans le contexte de la réforme du collège.

Le stage de troisième, qui constitue l'instrument principal de découverte du monde économique et professionnel, doit voir sa place et ses modalités repensées : je recommande ainsi de multiplier les immersions brèves au collège (trois fois deux jours, par exemple) et d'introduire un stage plus long au lycée général et technologique.

Quant aux décisions d'orientation, je considère qu'elles doivent appartenir à l'élève et à sa famille, faute de quoi l'orientation choisie ne restera qu'un vain mot. Si elle n'a pas bouleversé l'orientation en fin de troisième, l'expérimentation du « dernier mot » aux familles a mis en évidence le besoin d'accompagner les familles et de renforcer le dialogue avec elles, en particulier celles qui sont les plus éloignés de la culture scolaire. Cela doit passer par l'instauration, dès la classe de sixième de rendez-vous réguliers entre l'élève, ses parents et l'équipe éducative portant sur le déroulement général de la scolarité, les aspirations et les parcours possibles. En retour, les parents, qui constituent une ressource, doivent être associés au travail d'orientation dans l'établissement.

Sur quels critères fonder l'orientation et l'affectation des élèves ? Si les notes obtenues dans les matières générales peuvent indiquer l'aptitude des élèves à réussir dans les voies générales, elles ne peuvent faire état de leur aptitude à réussir dans telle ou telle filière ou à exercer tel métier. Pourtant, les notes restent le principal facteur pris en compte pour l'affectation dans la voie professionnelle. Il convient donc de repenser l'évaluation pour prendre en considération les compétences et la motivation des élèves.

Se pose, enfin, le double problème, maintes fois soulevé, de la précocité des choix d'orientation, notamment pour la voie professionnelle, dans laquelle ils sont déterminants, et du cloisonnement du lycée, qui rend difficilement rattrapable une orientation subie. Pour y remédier, je recommande de développer les classes de seconde professionnelle à spécialisation progressive et de faciliter les transitions entre les filières et les voies de formation. Cela passe par le développement des « parcours montants », qui permettent de changer de voie sans perdre une année, des stages de remise à niveau et suppose de faire du lycée polyvalent la structure d'organisation du lycée. Outre les bénéfices incontestables en matière de mixité sociale et scolaire, le lycée polyvalent facilite les changements de formation qui se font de manière informelle au sein du même établissement.

J'en viens à l'affectation, soit la répartition les élèves entre les établissements et les formations, qui, souvent douloureuse, reste une problématique mal appréhendée. Succédant aux décisions d'orientation, qu'elle dément parfois, l'affectation revêt une grande importance, en particulier dans la voie professionnelle où elle est déterminante. Si un élève orienté en seconde générale et technologique peut être amené à ne pas intégrer le lycée de son choix ou à ne pas pouvoir suivre l'enseignement d'exploration souhaité, un élève souhaitant une spécialité professionnelle précise peut se voir affecté dans une spécialité qui ne l'intéresse pas ou qui ne correspond pas à ses aptitudes, voire être affecté contre son gré en seconde générale et technologique.

En 2004, le rapport Thélot avait proposé de fusionner la décision d'orientation et la décision d'affectation : c'est ambitieux mais irréaliste, compte tenu de l'écart entre les demandes des élèves, l'offre de formation et les débouchés desdites formations. Ainsi, des formations aux débouchés limités sont très demandées, souvent en vertu de stéréotypes, quand d'autres, présentant d'excellents taux d'insertion, ne font pas recette.

En conséquence, je recommande de rendre la définition de l'offre de formation plus réactive, sans verser dans l'adéquationnisme, de réduire le nombre de spécialités professionnelles et de rénover le fonctionnement des commissions professionnelles consultatives.

La transparence de la procédure d'affectation AFFELNET et du portail Admission post bac (APB) doit également être améliorée. De fait, la méconnaissance des procédures favorise les initiés, nourrit l'anxiété des élèves et des familles et les conduit parfois à adopter des stratégies contre-productives, consistant par exemple à émettre un premier voeu « raisonnable » par crainte de ne pas être affecté, alors que l'algorithme AFFELNET récompense la sincérité dans l'ordonnancement des préférences. Il s'agit notamment de mener un travail de pédagogie et d'explicitation du barème et des critères auprès des élèves et de leurs parents. La publication des algorithmes et des codes sources des différents systèmes serait de nature à lever toute ambigüité sur leur fonctionnement.

L'orientation vers l'enseignement supérieur gagnerait également à être améliorée. Le continuum bac-3/bac+3 reste encore à construire - nos collègues députés ont travaillé sur ce sujet l'année dernière. Il s'agit d'abord de mieux informer les futurs étudiants sur le contenu des formations et les débouchés de chaque diplôme : APB doit évoluer en un outil de présentation des taux de réussite et d'insertion de toutes les formations. Une année de césure post bac, consacrée à des stages en milieu professionnel ou à un service civique, permettrait de laisser le temps à ceux qui en ont besoin pour choisir leur voie.

J'en arrive à une question sensible, celle de la sélection à l'entrée de certaines filières universitaires, notamment les licences à capacité limitée. Si la sélection est un tabou, force est de constater qu'elle a pourtant déjà lieu, selon deux modalités, qui me paraissent l'une et l'autre scandaleuses : le tirage au sort et l'échec en première année de licence. Considérant qu'il n'est pas possible de multiplier à l'infini les places dans des formations très demandées mais déjà saturées et souvent sans débouchés, comme les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ou la psychologie, je préconise l'édiction de prérequis transparents et affichés dans APB pour l'accès à toutes les formations à effectifs limités. Enfin, les commissions d'orientation du supérieur, proposées par la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur (STRANES), et expérimentées dans cinq académies, ainsi que l'a évoqué Thierry Mandon ce matin, permettent d'effectuer un travail de conseil plus efficace auprès des étudiants.

Enfin, la dernière partie du rapport porte sur l'approfondissement des relations entre l'éducation nationale et le monde économique, levier important d'amélioration tant de la qualité de l'orientation que de l'enseignement.

Le souci de valoriser la voie professionnelle et de l'apprentissage est une constante du discours politique depuis des décennies. Pourtant, l'enseignement professionnel demeure le laissé-pour-compte du système éducatif. Les recommandations que je viens d'évoquer, qui visent à améliorer les processus d'orientation et d'affectation, participent de sa valorisation. C'est une voie d'excellence, comme en témoignent ses nombreuses réussites, qui mériteraient d'être mieux mises en avant. Le développement des parcours mixtes, dans lesquels les élèves peuvent allier formation en alternance et sous statut scolaire, permettrait d'accroître la complémentarité des deux modes de formation, tout comme la mixité des publics dans les enseignements. Enfin, un effort particulier doit être fait pour encourager la mobilité des lycéens professionnels et des apprentis : l'offre de formation n'est pas extensible à l'infini et suivre la formation de son choix nécessite souvent de se déplacer, alors même que les élèves appartiennent pour beaucoup aux catégories sociales les moins mobiles. D'où ma proposition d'accompagner cette mobilité, soit par l'internat soit par une augmentation de la bourse.

Enfin, le monde économique doit être davantage associé à la vie des établissements et aux actions menées dans le cadre du parcours Avenir, c'est là une des conditions de leur efficacité. Cela passe par une meilleure connaissance mutuelle de l'école et de l'entreprise ; à cette fin, je préconise l'introduction de stages obligatoires en milieu professionnel pour les jeunes enseignants, la présence d'un représentant du monde professionnel au sein des conseils des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) et l'encouragement des opérations de parrainage entre établissements et entreprises.

Faire venir les professionnels dans les établissements à la rencontre des enseignants et des élèves peut être une autre facette de cette association entre l'école et le monde professionnel et servir l'ambition d'un travail d'orientation tout à la fois enraciné dans son environnement local et élargissant, pour les élèves, le champ des possibles. Les parents d'élèves, je l'ai dit, constituent une ressource précieuse, et les établissements devraient faire plus systématiquement appel à eux.

Enfin, la place des représentants du monde économique dans la gouvernance des établissements, en particulier dans les conseils d'administration des lycées, doit être consolidée. J'appelle à engager l'expérimentation qu'avait prévue par la loi de 2005 mais qui n'a jamais été mise en oeuvre, et qui visait à confier la présidence du conseil d'administration de l'établissement à une personne extérieure. Je n'ignore pas la franche opposition des syndicats de chefs d'établissements, mais une expérimentation dans certains établissements volontaires permettrait peut-être de lever les réticences. Ajoutons que cette pratique existe de longue date dans l'enseignement agricole, où elle est appréciée et fonctionne bien.

À cet ensemble de conclusions je suis tenté, après l'audition de Thierry Mandon, d'en ajouter une dernière : pourquoi pas un ministre chargé de l'orientation et de l'insertion professionnelle dans le prochain Gouvernement ?

L'ampleur du sujet m'a conduit à brosser à larges traits les recommandations que je formule. J'aurais souhaité pouvoir vous présenter chacune d'entre elle en détail ; vos questions permettront sans nul doute de préciser certains points.

En conclusion, l'instauration du parcours Avenir va résolument dans le bon sens - il faudra néanmoins du temps et des efforts pour qu'il tienne ses promesses. En deuxième lieu, j'ai été impressionné par le dynamisme et la qualité du travail réalisé sur le terrain, lorsqu'une volonté forte et partagée existe. Sachons saluer et faciliter ces initiatives. Enfin, et cela dépasse le champ de mon rapport, je crois qu'une véritable réflexion doit être ouverte sur l'avenir du lycée et notamment de l'enseignement professionnel, qui en est le maillon souffrant de l'éducation nationale.

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