Intervention de Michel Sapin

Réunion du 4 juillet 2016 à 16h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de vous remercier des mots que vous avez prononcés en souvenir de Michel Rocard ; le Gouvernement s’y associe pleinement, ainsi que moi-même, à titre personnel.

Monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter et que je défends avec Jean-Jacques Urvoas, Stéphane Le Foll et Emmanuel Macron touche à différents domaines de la vie publique et de la vie économique : les relations entre les pouvoirs publics et les représentants d’intérêts, la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d’alerte, la régulation financière, l’activité d’artisan ou encore la vie des sociétés.

Chacun sait à quel point ces matières sont devenues sensibles pour nos concitoyens et le Gouvernement a entendu répondre à ces exigences nouvelles, car, à travers elles, c’est l’image même de notre démocratie et une part de la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions qui sont en jeu.

Ce texte doit contribuer à faire de notre pays une démocratie moderne, sûre de ses valeurs, et non pas une démocratie du soupçon ; il doit contribuer à construire pour notre pays une économie au service de tous et à combattre les excès d’une finance débridée et sans règles.

Ce texte doit hisser la France à la hauteur des meilleurs standards internationaux et renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur système politique et économique. Il est sous-tendu par deux objectifs qui, je le pense, peuvent tous nous rassembler : d’une part, l’accroissement de la transparence dans le fonctionnement de la vie politique et économique ; d’autre part, l’encouragement de la « bonne finance » et la lutte contre la « mauvaise finance ». Il vise ainsi à permettre un financement efficace et sûr de notre économie. Il a aussi pour ambition de sanctionner plus sévèrement encore les dévoiements de la finance qui menacent notre modèle économique et social.

Pour aboutir à la discussion qui s’ouvre aujourd’hui, un débat intense s’est noué à l’Assemblée nationale et ici même au sein des commissions. Un important travail s’est engagé, d’où sont déjà ressorties des avancées notables, qui non seulement traduisent la volonté de la Haute Assemblée d’œuvrer dans un esprit constructif, mais aussi témoignent de la capacité d’un tel texte à rassembler au-delà des clivages partisans.

Au fond, sur un sujet comme celui-là, qui touche de si près à l’éthique et aux règles de notre vie publique, il est rassurant de constater que le travail parlementaire se déroule dans un tel esprit. Je tiens, à cet égard, à remercier tout particulièrement les rapporteurs, MM. Pillet, Gremillet et de Montgolfier, de leur mobilisation sur ce projet de loi et à saluer le travail qu’ils ont accompli.

Je ne peux cependant vous cacher que le texte, tel qu’il est présenté en séance publique, comporte quelques sujets de désaccord réel entre les deux assemblées et entre le Sénat et le Gouvernement. Je pense tout particulièrement au statut et à la protection des lanceurs d’alerte, point sur lequel les désaccords semblent marqués. Je souhaite profondément que nos échanges éclairent le débat sur ce sujet et nous permettent de progresser pour rapprocher nos points de vue.

Plusieurs axes du texte ont retenu l’attention de vos commissions ; je souhaite y revenir en quelques mots, car il s’agit d’enjeux majeurs sur lesquels il me paraît important que nous puissions avancer.

Le premier axe du projet de loi est le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, par la définition d’un statut général de ceux-ci.

L’affaire Antoine Deltour et celle des « Panama papers », notamment, ont encore mis en lumière très récemment le rôle éminent des lanceurs d’alerte.

Bien sûr, il faut au législateur concilier, d’une part, la protection de la liberté de communication et d’expression du lanceur d’alerte contre toute atteinte ou sanction injustifiée, et, d’autre part, la sauvegarde de l’ordre public et la protection des droits des tiers, en particulier du droit au respect de la vie privée.

L’alerte éthique repose sur la responsabilité individuelle et le sens de l’intérêt général. Elle ne peut s’affranchir du respect de règles visant à encadrer sa révélation pour vérifier son authenticité et son bien-fondé et mettre à même d’agir les autorités compétentes.

La conciliation des exigences que j’ai mentionnées n’est aujourd’hui pas assez équilibrée, car la protection des lanceurs d’alerte reste nettement insuffisante. Il n’est pas juste que ceux-ci subissent, parfois dans l’indifférence générale, les conséquences de la révélation au public de faits, alors que cette révélation a profité à l’ensemble de la société. Il n’est pas juste par exemple qu’Antoine Deltour soit condamné à des peines d’emprisonnement avec sursis et d’amende par une juridiction luxembourgeoise alors que, grâce à son action, animée par un sens fort de l’intérêt général, il a été mis fin à des pratiques d’optimisation fiscale agressives hautement préjudiciables à l’intérêt général.

C’est pour ce motif que la protection des lanceurs d’alerte doit être renforcée, en prenant en considération au moins deux préoccupations.

En premier lieu, la loi doit donner une définition du lanceur d’alerte à la fois précise et étendue. Celle-ci doit, c’est certain, couvrir les graves atteintes à la légalité, mais elle doit aussi prendre en compte les situations s’apparentant à celle d’Antoine Deltour.

En second lieu, la loi doit déterminer un régime d’aide financière pouvant être accordée aux lanceurs d’alerte. Le lanceur d’alerte ne doit pas avoir à subir les conséquences financières de la révélation de faits d’intérêt général pendant des années de procédure judiciaire engagée pour faire valoir ses droits. C’est la raison pour laquelle la loi doit prévoir l’avance des frais de procédure judiciaire au bénéfice des lanceurs d’alerte dans une telle situation. Elle doit, en outre – nous avons sur ce point un débat –, garantir l’octroi d’une aide financière aux lanceurs d’alerte lorsque, en raison du signalement qu’ils ont effectué dans les conditions légales, ils connaissent de graves difficultés financières qui compromettent leurs conditions d’existence.

Le deuxième axe de ce projet de loi est l’institution d’un répertoire des représentants d’intérêts.

L’action des représentants d’intérêts doit être rendue transparente par la loi, non pas – j’insiste sur ce point – pour stigmatiser les uns et les autres, mais pour renforcer la légitimité de l’action publique. Les citoyens doivent pouvoir savoir qui intervient auprès des autorités publiques pour influencer leurs décisions. C’est une exigence démocratique impérieuse, à laquelle le Sénat s’est d’ailleurs soumis volontairement voilà quelques années et qui, je le rappelle, trouve sa source dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette transparence ne jette le discrédit sur quiconque ; au contraire, l’existence et l’utilité des représentants d’intérêts sont ainsi reconnues. Il n’y a donc pas lieu de s’en méfier dès lors qu’elle est raisonnée et au service d’un objectif d’intérêt général.

Vous le savez, l’Assemblée nationale a adopté un article 13 substantiellement modifié au regard de la version présentée par le Gouvernement. La commission des lois du Sénat a récrit une partie considérable de ces dispositions. Je salue la volonté de la commission d’avancer dans le sens d’une plus grande transparence du fonctionnement des principales institutions de la République.

Toutefois, le Gouvernement a le souci de garantir, d’une part, la conformité à la Constitution des dispositions de cet article, et, d’autre part, le caractère opérationnel du dispositif que nous souhaitons mettre en place.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé des amendements au texte adopté par la commission. Il vous sera demandé de supprimer les dispositions relatives au Président de la République et au Conseil constitutionnel, qui, de mon point de vue, ne relèvent pas de la loi ordinaire, de fixer vous-mêmes les obligations déontologiques auxquelles les représentants d’intérêts seront soumis, conformément à l’article 34 de la Constitution, de substituer à la sanction pénale, sans doute excessive, que la commission a prévue, en cas de méconnaissance par un représentant d’intérêts de ses obligations déclaratives, une sanction administrative, mieux adaptée à la nature des manquements en cause, qui pourra être prononcée par la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Je dois enfin ajouter que je ne vois que des avantages à ce qu’un registre unique, commun au Gouvernement et au Parlement, soit adopté et à ce que les représentants d’intérêts soient tous soumis aux mêmes obligations déclaratives et déontologiques. De telles mesures constitueraient des simplifications appréciées.

Dans ces conditions, le répertoire des représentants d’intérêts sera un outil au service de nos concitoyens, qui participera utilement à l’entreprise de relégitimation de l’action publique engagée par ce gouvernement et profitable à tous.

Faire plus de transparence sur les relations entre les représentants d’intérêts, dont l’activité sera bien encadrée, et les pouvoirs publics constituera, je le répète, une avancée pour l’intérêt général.

Le troisième axe du projet de loi est la lutte contre la corruption.

Vous le savez, la France est encore mal notée par des organisations internationales, comme l’OCDE, ou des organisations non gouvernementales, comme Transparency International France. Il lui est reproché de manquer encore de dispositifs suffisamment puissants pour prévenir la corruption transnationale.

Il est à noter que la justice française n’a condamné définitivement aucune société française pour corruption active d’agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction. En revanche, certaines sociétés françaises ont été sanctionnées, parfois extrêmement lourdement, par des justices étrangères. C’est, de toute évidence, une situation inacceptable, nuisible in fine à notre image et à la souveraineté de la France, ainsi qu’à nos entreprises. C’est ce retard que nous avons voulu combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.

Il s’agit d’abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit à ce titre la création de l’Agence de prévention de la corruption, qui remplacera le service central de prévention de la corruption créé par la loi du 29 janvier 1993, dont elle reprendra bien sûr les missions, tout en assurant celles, nouvelles, qui lui seront attribuées.

Il est créé aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable à certaines entreprises et établissements publics à caractère industriel et commercial.

Il s’agit ensuite de rendre plus effective la répression de la corruption au travers d’un renforcement de notre arsenal répressif. Deux mesures me semblent particulièrement significatives à cet égard. Il s’agit, d’une part, de la peine complémentaire dite de mise en conformité des procédures de prévention et de détection de la corruption applicables aux entreprises, et, d’autre part, de ce qu’il est convenu d’appeler, de manière imprécise, la transaction pénale, introduite dans le projet de loi par l’Assemblée nationale et que la commission des lois du Sénat a maintenue, après avoir amendé opportunément la rédaction de l’article concerné.

Je suis convaincu que vous pourrez améliorer le texte pour garantir sa pleine cohérence et son utilité, afin de mettre notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, en particulier la corruption transnationale. J’appelle cependant votre attention sur la nécessité de rétablir le pouvoir de sanction de l’Agence de prévention de la corruption, qui est un gage d’efficacité et de célérité de son action.

Le quatrième axe est la modernisation de la vie économique, volet du projet de loi qu’Emmanuel Macron vous présentera. Le texte traduit quatre ambitions cohérentes.

La première ambition est le renforcement de la régulation financière. Rendre la régulation financière française encore plus efficace permet de contribuer à la stabilité financière et à la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permet aussi d’accroître la protection des épargnants. C’est, j’en suis certain, une préoccupation que nous partageons tous.

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