Intervention de André Gattolin

Réunion du 4 juillet 2016 à 16h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, même l’intitulé de ce projet de loi, relatif à la « lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique », semble rendre hommage à Michel Rocard, qui se distingua à la fois par son intégrité intransigeante et par son réformisme économique.

Pour avoir eu le privilège de l’accompagner ces dernières années dans son combat pour la préservation des pôles et, au-delà de cette question éminemment écologique, d’échanger très régulièrement avec lui sur les grands enjeux de la planète, mais aussi de l’Europe et de la société française, je peux témoigner qu’il fut jusqu’au bout un homme de pensée et d’engagement, toujours en mouvement et tourné vers le futur, soucieux de l’avènement d’une société plus juste et, partant, véritablement humaine.

La célébration unanime consécutive à sa disparition voit chacun réclamer sa part d’héritage : il faut veiller à ce que le réformisme de Michel Rocard ne soit pas dévoyé, comme avait pu l’être sa fameuse sentence sur la « misère du monde », dont on avait sciemment omis la chute. À propos de la crise des réfugiés, il avait d’ailleurs récemment estimé que c’était la chancelière allemande qui avait « sauvé l’honneur » de l’Europe.

N’oublions pas que c’est à l’époque du programme commun que Michel Rocard fut qualifié de « réformiste », et que le contexte politique a depuis considérablement changé.

Dans son dernier ouvrage intitulé Suicide de l'Occident, suicide de l'humanité ?, il a eu des mots extrêmement durs contre les dérives du système bancaire, contre le capitalisme financier et contre le souverainisme, leur préférant un développement plus écologique, une réduction du temps de travail et une nouvelle coopération internationale.

Même si je ne discerne pas encore la manifestation de ce réformisme, à l’évidence audacieux, dans la politique du Gouvernement, le fait est, messieurs les ministres, que votre texte vise au moins à s’attaquer à l’hybris et à l’inacceptable que nous avons trop longtemps tolérés. Je veux parler du fait que l’économie prime aujourd’hui à ce point sur le politique, et que le profit semble s’imposer aux valeurs constitutives de la démocratie sociale.

La corruption est devenue une stratégie commerciale comme une autre. Les lobbys économiques s’immiscent partout, dans la plus grande opacité, entachant l’élaboration des normes et des lois de conflits d’intérêts persistants.

Ce ne sont pas les auteurs des scandales financiers qui sont condamnés, mais les lanceurs d’alerte qui révèlent ceux-ci. Ce ne sont pas les gouvernements élus qui imposent les règles fiscales aux multinationales, ce sont ces dernières qui mettent les États en concurrence. Devant un tel constat, l’ambition de changement dont témoigne ce projet de loi est – je dois le dire – salutaire.

Malheureusement, la puissance publique accuse toujours un très long temps de retard sur les abus et les détournements.

Cela tient d’abord à la temporalité. De la même manière que nous attendons de percevoir les symptômes de la crise écologique avant d’agir, nous attendons de voir s’épanouir les fraudeurs qui se soustraient à la fiscalité ou de s’accomplir les disruptions technologiques qui court-circuitent notre modèle économique et social avant de réformer. La régulation n’est mise en œuvre qu’à la suite de scandales ou d’accidents, jamais par anticipation, hélas !

Ensuite se pose la question de la territorialité. Lorsque nous disposons enfin des outils permettant de rendre la décision à la sphère politique, nous sommes confrontés à la question de la mondialisation. Demander à nos entreprises d’être transparentes ou de ne pas tricher, ce serait nuire à leur compétitivité, les autres n’étant pas aussi vertueuses.

Si l’on ne veut pas que notre économie se modernise ainsi, à rebours, il nous incombe d’appréhender la terrifiante évolution du monde sans faux-semblants, d’une part, et de refuser de faire abstraction de nos principes fondamentaux, d’autre part.

Ainsi, pour lutter contre le fléau que constitue l’évasion fiscale, nous devons appliquer, sans plus tergiverser, le reporting public pays par pays. Sauf cas très spécifiques, nous ne pouvons pas considérer que les montages fiscaux abscons participent d’une compétitivité qui concourrait au bien commun.

En matière de répression de la corruption, il faut prendre acte du manque d’efficacité de notre système. Pour autant, il semble difficile de se féliciter du fait qu’une transaction judiciaire permette de préserver les intérêts économiques d’une personne morale accusée de corruption.

En ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, même les ressources de notre droit positif ne sont pas toutes utilisées. Ainsi, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, créée il y a déjà trois ans par la loi Blandin, n’a toujours pas été mise en place. À propos des groupes d’intérêts et de pression, tout reste encore à faire pour nous doter d’un mécanisme de traçabilité des informations qui permette aux décideurs publics d’écrire la loi.

En matière de financiarisation, enfin, nous devons porter une attention particulière à la prédation qui touche aujourd’hui le foncier agricole.

Avec mes collègues du groupe écologiste, j’aurai l’occasion de revenir plus en détail, au cours du débat, sur ces sujets et sur d’autres. Globalement, et même s’il pouvait nous paraître un peu tiède à certains égards, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale constituait, selon nous, une avancée, tandis que le texte élaboré en commission par le Sénat semble marquer un recul. Par conséquent, l’issue des débats déterminera notre vote.

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