Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 4 juillet 2016 à 16h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - orientation et protection des lanceurs d'alerte — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mise en place d’un dispositif de lutte efficace non pas contre la seule corruption, mais contre la délinquance financière en général, est une urgence, non parce que la France occupe la vingt-troisième place de l’étrange classement de Transparency International, loin derrière Singapour, le Luxembourg et Hong-Kong, hauts lieux bien connus de la morale financière, et juste devant les Émirats arabes unis, mais pour les trois raisons essentielles suivantes.

La première raison tient à l’impression qu’a l’opinion publique que la délinquance financière serait l’objet d’un traitement de faveur dans notre pays, comme si ses effets étaient moins graves que ceux du reste de la délinquance, comme si elle était le produit d’un manque de jugement ou de vigilance, sinon le prix à payer de la liberté d’entreprendre, plutôt que de la délinquance tout court !

La faiblesse des sanctions encourues pour la plupart des délits relevant de cette catégorie, l’existence de procédures de règlement parallèles, la primauté accordée à la négociation sur la répression, l’euphémisation progressive du vocabulaire – le peu reluisant « trafic d’influence », par exemple, devenant un respectable « conflit d’intérêts » relevant d’une haute autorité spécifique – montrent qu’il ne s’agit pas d’une simple impression, mais d’une réalité !

En France, en 2013, soixante-douze personnes ont été sanctionnées pour faits de corruption, et deux seulement ont été condamnées à de la prison ferme. En outre, vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’aucune société n’avait été sanctionnée à ce titre jusqu’à présent.

S’agissant de corruption d’agents publics dans le cadre de transactions internationales, les deux tiers des 298 personnes physiques ou morales condamnées depuis la convention internationale de 1999 l’ont été dans trois pays : les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. Deux seulement l’ont été en France. Quand le montant annuel moyen des amendes pour abus de marché est de 25 millions d’euros en France, il est de l’ordre de 20 milliards de dollars aux États-Unis ! Même en tenant compte du taux de change, ce n’est pas la même chose !

Deuxième raison : contrairement à ce que l’on pense trop souvent, la délinquance financière ne pose pas qu’un problème de morale politique. Loin d’être un « lubrifiant » des affaires, c’est un danger mortel pour une économie aussi financiarisée et peu régulée que la nôtre.

Comme le plaide Jean-François Gayraud, « le problème ne doit donc pas être posé sur le terrain de la morale, mais sur le terrain de l’analyse rationnelle et systémique […].

« Le droit pénal n’est pas simplement un outil punitif, il permet aussi de réguler les marchés. Le droit pénal est une masse critique de droits que l’on place dans les mécanismes des marchés, ce qui permet aux acteurs sains d’avoir les mêmes avantages concurrentiels que ceux des acteurs malsains.

« Le droit pénal doit jouer son rôle, c’est fondamental car s’il n’y a pas d’actions au niveau national, d’autres le feront à notre place et dans un contexte de guerre économique. La lutte anti-corruption au niveau international, c’est l’arme des forts, donc des puissances impériales […].

« Par conséquent, quand la France ne sanctionne pas ses entreprises, des puissances étrangères le font. »

Troisième et dernière raison : les comportements délictueux étant toujours l’un des ingrédients des crises, une répression efficace de la délinquance financière nous donnerait plus de chances d’éviter le prochain krach financier.

Le présent projet de loi est-il à la hauteur des risques et des attentes ? Ma réponse est clairement négative, parce que, comme d’habitude, au lieu de donner les moyens d’exercer la mission de répression à l’institution et aux services qui en sont chargés, en l’occurrence la police et la justice, on bâtit à côté de ceux-ci une annexe censée régler le problème à coup de procédures, de déclarations, de conseils et de règlements à l’amiable. En quelque sorte, on harcèle le maximum de personnes pour s’éviter de sanctionner durement ceux qui le mériteraient.

Les amendements déposés par le groupe du RDSE ne visent pas seulement à apporter des corrections au présent texte. Cohérents, ils dessinent en creux ce qu’aurait pu être une politique de lutte non seulement contre la corruption, mais contre la délinquance financière en général, une politique dont les armes seraient le code pénal et des moyens d’investigation.

Si nous approuvons complètement le choix fait par notre rapporteur de placer le juge au cœur du dispositif, nous souhaitons que celui-ci soit muni d’un outil nouveau : une agence de prévention des crimes et délits financiers, dotée de réels pouvoirs d’investigation.

Nous défendons la même position s’agissant des lanceurs d’alerte. Ceux-ci ne sont pas là pour faire le travail de la justice à sa place, mais ils doivent être protégés, parce qu’ils prennent des risques pour lui permettre de mieux fonctionner. Le lanceur d’alerte n’est pas à côté du droit, encore moins au-delà : il est celui qui, dans certaines circonstances, lui permet d’advenir.

Faute de temps, j’en resterai là. Je conclurai mon propos par une question : quel est le rapport, mes chers collègues, entre la prévention de la corruption et les conditions d’exercice de la profession de courtier en vins et spiritueux ?

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