Certains schémas cumulent plusieurs types de fraude. C'est le cas des sociétés éphémères dont la durée de vie est volontairement inférieure au délai de recouvrement de la TVA et qui combinent dissimulation d'activité, fraude aux indemnités journalières, à la formation professionnelle, à l'assurance-chômage ou encore, dans le cadre de procédures collectives, fraude à l'AGS.
La fraude au détachement et à la prestation de service internationale (PSI) a connu un développement très important.
La fraude au détachement a fait l'objet de beaucoup de commentaires et de quelques avancées en matière de droit du travail. En matière de sécurité sociale, les fraudes au détachement passent par l'établissement de filiales fictives sans activité substantielle à l'étranger, d'entreprises de travail temporaire constituées uniquement en vue du détachement, parfois de salariés français résidant en France.
Certains secteurs subissent ainsi une quasi-mutation de leur modèle économique : le transport routier, le transport aérien, le bâtiment ou encore l'agriculture sont très fortement exposés à une concurrence accrue faisant appel au travail dissimulé via la PSI ou le faux détachement.
Ceci explique une implication nouvelle des secteurs concernés, à l'exemple du bâtiment et des travaux publics, qui voit toutes les questions soulevées en matière de concurrence, alors que ses emplois ont longtemps été considérés comme non-délocalisables.
Il nous a été exposé que le recours au travail détaché n'avait pas seulement des motivations financières : il offre aussi certaines facilités de recrutement et de flexibilité qui sont appréciées des employeurs démarchés par des entreprises de travail temporaires, par exemple dans l'agriculture.
Nous avons ensuite examiné les réponses à apporter en termes de politique publique.
La lutte contre le travail dissimulé est d'abord une politique interministérielle qui exige une coopération étroite entre les acteurs.
Notre pays se distingue par la multiplicité des acteurs intervenant sur ce dossier : la gendarmerie et la police, l'inspection du travail, les Urssaf, les services des finances publiques, les douanes et les parquets. Ces administrations n'ont pas les mêmes procédures, ni la même culture, ni les mêmes priorités, ce qui se traduit par un coût de coordination élevé.
Les échanges et le partenariat progressent. Nous l'avons constaté au cours des auditions, les comités départementaux de lutte anti-fraude (Codaf), créés en 2008, ont permis le développement d'une culture de collaboration et d'échanges, notamment grâce à la levée du secret professionnel entre ses membres, qui doit être soutenue et renforcée. Quand il y a fraude, elle est souvent multiple.
Le projet de système d'information partagé (Suptil : suivi partagé des procédures de travail illégal) lancé en 2008, n'a jamais vu le jour. La base nationale des déclarations de détachement Framide (France migration détachement) prévue par un arrêté du 3 mars 2009 n'a jamais été mise en oeuvre non plus. Lancée 7 ans après, la base de données SIPSI, issue de la loi croissance et activité, attend un décret en Conseil d'État.
Le chantier reste ouvert pour l'accès aux fichiers gérés par les différentes administrations, qui reste à géométrie variable. Une impulsion politique forte reste nécessaire pour faire travailler ensemble les différents acteurs, d'autant plus que la mobilisation est variable selon les territoires. Le renforcement de la collaboration entre les acteurs doit s'accompagner d'un changement de méthodes et de métier des corps de contrôle.
À quelques éléments près, sur lesquels nous reviendrons, la lutte contre le travail dissimulé dispose d'un arsenal assez complet sur le plan juridique.
En pratique, les méthodes s'inspirent de plus en plus de celles de l'administration fiscale confrontée de longue date à des fraudes de grande ampleur et particulièrement sophistiquées. Les recoupements de fichiers et leur exploration (data matching ou data mining) permettent de mieux analyser les risques et de mieux cibler les contrôles.
Ces évolutions supposent aussi une réorientation des moyens et des priorités vers la lutte contre les comportements frauduleux.
Pour les Urssaf, cela suppose de développer des méthodes plus collaboratives et de prévention avec les entreprises connues, comme le conseil et la médiation, et de desserrer la contrainte sur le contrôle comptable d'assiette au profit de la lutte contre le travail illégal. Une expérimentation est en cours depuis le début de l'année au sein de l'Urssaf Ile-de-France, dont il sera intéressant de suivre les résultats, avec une cellule spécialisée composée d'agents volontaires, qui comprend la cellule nationale d'investigation sur Internet.
Un changement d'organisation s'opère également dans les inspections du travail avec la création, en 2015, d'unités spécialisées, les unités d'appui et de contrôle de lutte contre le travail illégal (Uracti).
S'il est trop tôt pour faire des bilans, ces orientations vont dans le bon sens. La spécialisation et la professionnalisation doivent être accrues face à des fraudes complexes, même si elles supposent un changement de culture qui n'est pas forcément aisé.