Intervention de Yves Daudigny

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 juillet 2016 à 9h35
Organisation et financement de la médecine de ville en allemagne — Communication

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, historiquement, la France a toujours regardé vers l'Allemagne en matière d'assurance maladie et d'organisation des soins de ville. Ce fut le cas après la mise en place du régime obligatoire d'assurance maladie pour les ouvriers par Bismarck en 1884, puis après la Première Guerre mondiale, lorsque le Parlement a envisagé de se fonder sur le système en place dans les départements d'Alsace et de Moselle pour créer un régime collectif d'assurance maladie en France. Plus récemment, la loi dite Teulade de 1993 a cherché à transposer les mécanismes d'autorégulation des dépenses par les médecins, tels qu'ils existent outre-Rhin. À chaque fois, et pour des raisons diverses, les tentatives de transposition des solutions retenues en Allemagne ont échoué, pour laisser place à des solutions françaises progressivement mises en oeuvre.

Le système français, créé en 1945, est géré par une pluralité de régimes professionnels, avec une dichotomie bien singulière entre l'assurance de base, qui relève des caisses de sécurité sociale (elle couvre 78 % des dépenses), et l'assurance complémentaire, qui relève d'une pluralité d'organismes - mutuelles, institutions de prévoyance et assurances (qui couvre 13,5% des dépenses). Par ailleurs, depuis 1960, les tarifs pratiqués par les médecins libéraux sont négociés entre leurs syndicats et l'assurance maladie, sous la tutelle de l'Etat, et il n'existe pas d'enveloppe de dépenses pour la médecine de ville.

En Allemagne, les caisses d'assurance maladie ont une obligation d'équilibre, et négocient annuellement une enveloppe fermée avec les unions de médecins - qui sont des institutions de droit public. Ce sont ces unions qui répartissent cette enveloppe pour la rémunération des médecins, et qui sanctionnent les éventuels dépassements en volume. Les caisses gestionnaires de l'assurance maladie légale sont en concurrence les unes avec les autres, ce sont les assurés qui choisissent leur caisse. L'assurance maladie privée constitue pour sa part un système alternatif à l'assurance légale, ou sinon facultatif, contrairement à la France.

Le système d'assurance privée en Allemagne n'est ouvert qu'à certaines catégories de personnes. Les salariés à haut revenus (plus de 4 462,30 euros par mois) peuvent souscrire une assurance privée complète. Les indépendants et plusieurs autres professions (salariés des cultes par exemples) doivent souscrire à l'assurance privée complète. Les fonctionnaires enfin doivent souscrire une assurance privée pour compléter la couverture consentie par leur employeur qui couvre jusqu'à 40% de leurs frais de santé. Il convient de souligner que ce sont les mêmes médecins qui soignent les assurés des deux systèmes.

Les différences entre les deux systèmes sont donc importantes. Leurs fondements sont néanmoins communs, avec un régime d'assurance maladie obligatoire pour tous les actifs - en France depuis 1945, en Allemagne depuis 1955. Ces régimes sont devenus universels dans les deux pays : en France en 1999, par dispense de cotisation avec la création de la CMU ; en Allemagne en 2007, par obligation d'adhésion de toute la population avec un financement par la solidarité nationale. En outre, dans les deux pays, ce sont des médecins libéraux qui exercent en ville.

La persistance du modèle allemand dans notre débat public, les incontestables succès de la gestion de l'assurance maladie outre-Rhin (avec 11,8 milliards d'excédents cumulés en 14 ans, contre 104,5 milliards de déficit en France sur la même période), ainsi que l'existence de fondements communs rendent particulièrement intéressantes les comparaisons entre les deux systèmes. Cette constatation est spécialement vraie pour les soins de ville, dont l'organisation est proche, mais la gestion très différente. La Cour des comptes a mené une étude particulièrement intéressante sur cette question, qui a été publiée dans son rapport annuel de 2015 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Dans le prolongement de ces travaux, nous avons mené une série d'auditions, en entendant tout d'abord les rapporteurs de la Cour, le président de la sixième chambre, puis les personnes susceptibles de nous donner une vision d'ensemble des deux systèmes. Nous avons d'ailleurs pu constater que ces personnes sont rares. Nous nous sommes ensuite rendus deux jours à Berlin, pour y rencontrer les acteurs de la régulation de la médecine de ville.

À l'issue de ces auditions et de ce déplacement, nous pouvons affirmer que si le système allemand de régulation de la médecine de ville n'est pas transposable en tant que tel à la France, il est porteur d'éléments de responsabilisation des acteurs dont nous pourrions nous inspirer.

Notre premier constat est le suivant : le système de régulation des dépenses en Allemagne est très strict, mais comporte des éléments de souplesse non négligeables.

Le mode de gestion de l'assurance maladie, et spécialement des dépenses de la médecine de ville, fait l'objet d'un consensus fort et ancien en Allemagne. Le syndicalisme médical en Allemagne s'est créé dans le but de permettre aux médecins de négocier à armes égales avec les caisses gérant le régime obligatoire d'assurance maladie, mis en place pour les ouvriers par une loi de 1884. En France à l'inverse, le syndicalisme s'est constitué contre la mise en place d'un tel régime et, tout particulièrement après la Première Guerre mondiale, contre la mise en place d'une médecine de caisse à l'allemande.

Surtout, en Allemagne, les bases posées en 1931 -il y a donc plus de 80 ans- continuent de guider l'action des partenaires de la négociation. Après la crise de 1929, les médecins allemands ont proposé de mettre en place un système faisant dépendre le montant de leurs honoraires de la situation financière des caisses, au nom de la préservation de l'assurance maladie. Ils ont obtenu, en échange, une représentation institutionnelle qui augmente considérablement leurs pouvoirs. Depuis cette date, ce sont les médecins eux-mêmes, et non plus les caisses, qui assurent la surveillance de l'activité de leurs collègues et le reversement des honoraires. Les médecins de ville ont également obtenu à cette époque le monopole de l'activité ambulatoire, à l'exclusion des hôpitaux.

Le système de négociation entre médecins et caisses repose sur ainsi sur plusieurs équilibres fondamentaux : la fixation des honoraires par la négociation, la soumission des sommes perçues par les médecins au respect du principe d'équilibre du système d'assurance maladie, et la représentation institutionnelle des médecins au travers d'un système d'élection à deux niveaux (celui du Land et le niveau fédéral).

Les cultures française et allemande sont donc très différentes sur ce sujet. Caisses et médecins allemands négocient depuis 1913, tandis qu'il a fallu attendre les réformes de 1958 et de 1960 pour qu'un régime conventionnel efficace soit mis en place en France. Les syndicats allemands font campagne pour les élections aux unions de médecins, mais négocient d'une seule voix face aux caisses, tandis que les syndicats français sont dispersés. Les médecins allemands assument que leurs honoraires soient établis de manière à préserver l'équilibre de l'assurance maladie, mais également d'être payés et contrôlés par ceux qu'ils ont élus au sein des unions.

Ce cadre institutionnel a encore été renforcé au cours des années 2000, avec la mise en place d'un strict encadrement financier de l'assurance maladie, qui découle du principe d'équilibre budgétaire.

En effet, depuis 2009, en Allemagne, l'assurance maladie légalement obligatoire ne peut présenter de déficit, et les cotisations employeurs ne peuvent augmenter. Les cotisations supplémentaires rendues nécessaires en cas de déficit sont donc intégralement supportées par les assurés. Cette contrainte conduit les caisses à éviter de prendre des dispositions nécessitant une hausse du taux de cotisation. En conséquence, entre 2004 et 2013, l'assurance maladie légale allemande a constamment dégagé des excédents.

Cette incitation forte pour les caisses à la maîtrise des dépenses de ville est renforcée par le fait qu'elles sont désormais en concurrence les unes avec les autres. La comparaison entre les caisses se fonde sur deux éléments : le niveau des cotisations et le type de prestations. Comme on l'a vu, chaque caisse, devant être à l'équilibre, est donc contrainte d'augmenter les cotisations de ses adhérents en cas de déficit ; une péréquation a néanmoins été mise en place pour éviter que les caisses dont les adhérents nécessitent des soins coûteux ne soient conduites à augmenter leurs cotisations de manière disproportionnée. Les caisses proposent par ailleurs des services à leurs adhérents en développant, notamment avec des hôpitaux ou des cabinets médicaux, des contrats d'accès ou de suivi des patients.

Le principe même de cette mise en concurrence entre caisses reste fortement critiqué par les syndicats qui en assurent la co-gestion avec le patronat. De fait, si elle a pu contribuer à la meilleure gestion et à la maîtrise des coûts de l'assurance maladie, elle a eu des effets drastiques sur la structure du secteur. Dans le système de 1884, toute entreprise de plus de 1000 salariés pouvait créer une caisse de sécurité sociale ; il y avait également des caisses locales et, en tout, environ 1200 caisses s'étaient constituées. Suite à la mise en concurrence des caisses, celles-ci ont été contraintes de se regrouper, de sorte qu'il en reste aujourd'hui 115.

De leur côté, les médecins sont tenus par l'enveloppe de soins de ville négociée au niveau fédéral, puis déclinée au niveau de chaque Land et de chaque spécialiste. Si un médecin dépasse le volume d'actes prévu pour chaque trimestre, chaque acte supplémentaire est rémunéré de façon dégressive.

Ainsi, dans le système de régulation allemand, si les dépenses augmentent, les cotisations des salariés augmentent également et, même si les caisses et les médecins sont fortement incités à maîtriser les coûts, l'ajustement d'une année sur l'autre est assez sévère.

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