Intervention de Christophe Sirugue

Commission mixte paritaire — Réunion du 28 juin 2016 à 19h00
Projet de loi de modernisation du droit du travail

Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale :

Au fil de son parcours à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce texte a substantiellement évolué. À ce stade, 138 articles restent en discussion, ce qui est considérable. Je tiens bien sûr à saluer le travail du Sénat. Certains de ses apports devront être conservés. Vous avez parfois conforté la rédaction de l'Assemblée nationale, par exemple sur l'aide à la recherche du premier emploi ou les dispositifs d'emploi accompagné pour les personnes handicapées.

Néanmoins, malgré l'adoption conforme d'un certain nombre d'articles, nos positions semblent difficilement conciliables sur certains sujets.

Je pense d'abord à l'article 2 et à l'amendement symbolique adopté par les sénateurs pour supprimer la durée légale du travail, renvoyer à la négociation d'entreprise pour la fixation de cette durée, et prévoir l'application, à titre supplétif, d'une durée de 39 heures. À lui seul, ce symbole justifierait l'échec de notre CMP.

Sur cet article, de nombreuses autres modifications apportées par le Sénat ne pourront être retenues par l'Assemblée. C'est le cas, entre autres, de la suppression du socle légal minimal de 24 heures hebdomadaires pour le travail à temps partiel, qui avait pourtant fait l'objet en janvier 2013 d'un accord national interprofessionnel signé par les trois organisations patronales représentatives. C'est aussi le cas de l'augmentation des périodes de référence pour le calcul de la durée hebdomadaire maximale de travail, de la durée du travail de nuit, ou encore de la modulation du temps de travail par voie unilatérale dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Nous ne pouvons pas non plus souscrire aux modifications des modalités de négociation des accords adoptées par le Sénat. Je pense d'abord à la suppression pure et simple des accords majoritaires prévus à l'article 10, alors qu'il s'agit d'une avancée majeure, demandée par les syndicats de longue date, et qui confère aux accords une très grande légitimité. Je veux évoquer aussi le contournement du mandatement que vous avez entériné, en permettant la validation d'un projet d'accord de l'employeur par une consultation directe des salariés, sans passer par la négociation. Admettez que c'est une étrange conception du dialogue social : pour dialoguer, il faut au moins être deux !

Sur d'autres articles, le Sénat a fait preuve d'une certaine créativité, notamment en fusionnant les accords dits « offensifs » prévus par le projet de loi et les accords de maintien de l'emploi (AME) créés par la loi de sécurisation de l'emploi. Cependant, la créativité ne doit pas s'accompagner de régression sociale. Les accords de préservation de l'emploi prévus par le projet de loi initial comportaient un garde-fou indispensable : le maintien de la rémunération mensuelle des salariés. Faire sauter ce garde-fou, c'est revenir sur l'une des protections essentielles qui leur sont assurées.

Différents articles du texte du Sénat reviennent sur des dispositifs instaurés par la loi du 17 août 2015, tels que l'extension de la visioconférence à l'ensemble des réunions des institutions représentatives du personnel ou la suppression des commissions paritaires régionales interprofessionnelles : nos désaccords sont de même nature qu'il y a un an, et nous sommes évidemment opposés à l'idée de faire évoluer ces dispositifs qui n'ont, pour certains, même pas encore été mis en place. J'ai pourtant constaté avec étonnement que certains de vos débats ont laissé entendre que nous disposerions déjà d'une évaluation de leur efficacité.

Je regrette les différents amendements votés par le Sénat qui suppriment ou restreignent des dispositions introduites par l'Assemblée nationale. Ainsi, de la suppression de la généralisation de la garantie jeunes. Les articles 53 et 54 du texte, qui devaient mieux protéger les salariés contre les licenciements abusifs, ont été également supprimés.

Vous avez vidé le compte personnel d'activité de sa substance en supprimant le compte d'engagement citoyen, en excluant les jeunes de 16 ans n'exerçant pas d'activité et les retraités et en limitant le nombre de facteurs de risques pris en compte dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Je connais bien le sujet de la pénibilité, ayant rendu l'an dernier un rapport au Premier ministre sur cette question. Sur les critiques formulées dès l'origine à l'encontre de ce dispositif, je serais tenté de dire : qui veut tuer son chien l'accuse de la rage ! La reconnaissance de la pénibilité est un important progrès social, quels que soient les défauts que l'on relève dans sa mise en oeuvre.

S'agissant du motif économique du licenciement, vous avez proposé une réécriture globale de l'article 30, qui pose quelques difficultés. L'Assemblée nationale avait supprimé la prise en compte du périmètre du seul territoire national pour l'appréciation des difficultés économiques. Je vous le dis clairement : nous ne souhaitons pas le rétablir. Il semble difficile d'apprécier la santé financière d'un groupe sans examiner ses implantations à l'étranger. De plus, ne pas faire de distinction selon la taille des entreprises est anachronique. La fixation d'un seuil de 30 % pour toutes est surprenante ! Certes, vous avez augmenté le nombre des critères. Mais le suivi bancaire, ou la puissance de trésorerie, ne sont pas les mêmes pour un artisan ou une grande entreprise... En outre, le renvoi à un décret pour dresser la liste - semble-t-il exhaustive - des critères, tant quantitatifs que qualitatifs, permettant de justifier des difficultés économiques, n'est pas non plus souhaitable, pas plus que ne l'est l'encadrement strict de la procédure juridictionnelle consistant à fixer des délais au juge pour se prononcer sur la cause réelle et sérieuse d'un licenciement économique. Bref, quitte à réécrire cet article complexe, j'aurais préféré que vous le fassiez de manière efficace et réaliste, et non en revenant à la version antérieure.

Le Sénat a introduit une série d'articles additionnels auxquels, malheureusement, mais de manière assez attendue, l'Assemblée ne pourra pas souscrire. Nous voulons tous soutenir l'apprentissage, mais vous faites du jeune mineur un adulte en miniature qui doit participer à l'effort productif de la société. Or l'apprentissage est avant tout une voie de formation pour l'apprenti.

Nous reviendrons aussi, évidemment, sur le relèvement des seuils sociaux, qui constitue un symbole auquel vous semblez très attachés. Les positions de nos deux assemblées révèlent une approche radicalement différente du rôle des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise. Relever les seuils revient à considérer qu'un syndicat dans une entreprise est un problème avec lequel il ne faut pas ennuyer les plus petites d'entre elles. Ce n'est pas notre approche.

Vous avez supprimé les dispositifs relatifs à l'information des salariés avant la vente de leur entreprise, mis en place par la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire alors qu'ils contribuent à favoriser la reprise d'entreprises par les salariés.

L'Assemblée ne peut pas non plus souscrire au plafonnement des indemnités prud'homales octroyées aux salariés en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la médecine du travail, les modifications apportées par le Sénat ne correspondent pas à la réalité des enjeux. Il y a pénurie de médecins du travail : 300 postes ne sont pas attribués. Les médecins du travail sont les seuls à ne pas prescrire, ce qui nuit sans doute à l'attractivité de la profession. Personne ne peut donc se satisfaire de la fiction d'un examen d'aptitude effectué avant l'embauche pour chacun des salariés : il y a chaque année 20 millions d'embauches et 3 millions de visites médicales... Entre deux maux, je choisis le moindre, étant précisé que l'aptitude des salariés engagés sur postes les plus exposés continuera à être appréciée par les médecins du travail. Dans le BTP, trente centres médicaux distinguent déjà les salariés relevant des médecins du travail de ceux pris en charge par des équipes pluridisciplinaires placées sous l'autorité de ces derniers. Chez Areva, aussi, une organisation semblable donne satisfaction, alors même que certaines missions justifient un suivi très particulier. Au-delà de ces divergences, chacun s'accordera à reconnaître qu'il convient de remédier au taux d'attractivité dramatiquement faible de cette profession.

Bref, un accord entre nos deux assemblées me semble difficile à trouver sur ce texte. Cela ne nous empêchera pas de proposer à l'Assemblée nationale d'adopter certains éléments ajoutés par le Sénat, techniques ou non.

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