Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 juillet 2016 à 9h30
Projet de loi de règlement pour 2015 débat d'orientation des finances publiques pour 2017 et hypothèses de croissance potentielle du prochain projet de loi de programmation des finances publiques — Examen des rapports et communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Je partage les observations de Michel Bouvard. Nous devrons débattre du projet de loi de règlement quasiment en catimini, dans l'intervalle d'une interruption de l'examen d'un texte complexe, le projet de loi dit « Sapin 2 ». Le débat d'orientation des finances publiques, lui, va aussi se tenir dans la précipitation. Alors que la loi organique relative aux lois de finances impose une transmission du rapport préparatoire du Gouvernement avant le 30 juin, il ne nous a été remis qu'hier, le 5 juillet, en fin d'après-midi, malgré notre insistance. Un tel retard a obéré notre capacité à analyser les principaux axes de la politique fiscale et budgétaire du Gouvernement, ce que je déplore ; les conditions faites à nos collègues députés sont pires encore, puisqu'ils ont reçu le rapport pendant la réunion de la commission qui était consacrée à son examen...

À l'automne, en principe, devrait également être examiné le nouveau projet de loi de programmation des finances publiques devant arrêter les orientations budgétaires pour les années à venir. Cependant, aujourd'hui, nous n'avons aucune certitude quant à la présentation de ce projet de loi. Je présenterai, quoi qu'il en soit, des éléments d'analyses portant sur les hypothèses de croissance potentielle sous-jacentes à la prochaine trajectoire des finances publiques.

Je ne m'étendrai pas longuement sur l'exécution du budget de l'année 2015, les deux auditions de la Cour des comptes nous ayant déjà éclairés.

Revenons brièvement sur le contexte macroéconomique de l'exercice 2015. Au cours de cette année-là, le produit intérieur brut (PIB) a crû de 1,3 %, après avoir modérément progressé, de 0,6 % en 2013 et 2014. Cette évolution positive de l'activité a été favorisée par des facteurs extérieurs favorables, dont la baisse historique des prix du pétrole. De même, selon les estimations avancées par l'Insee, la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE) a apporté un surplus de croissance de l'ordre de 0,4 point en France. Enfin, l'économie française s'est inscrite dans un contexte porteur, marqué par l'accélération de l'activité en Europe.

Toutefois, la croissance du PIB en France demeure très en deçà de celle observée dans les autres pays, notamment européens. Selon les données d'Eurostat, la hausse du PIB s'est élevée à 2 % dans l'Union européenne en 2015 et à 1,7 % dans la zone euro. L'Irlande a vu son PIB progresser de 7,8 %, l'Espagne de 3,2 %. Quant au Royaume-Uni, il a affiché une croissance de 2,3 %, alors que celle-ci s'élevait à 2,5 % aux États-Unis.

Le moindre dynamisme économique de la France trouverait son explication dans des facteurs internes, qui ont joué négativement sur l'activité au cours de l'année 2015. À cet égard, le contrecoup du choc fiscal opéré ces dernières années semble avoir particulièrement pesé sur la croissance au cours de l'exercice écoulé. Les hausses passées des prélèvements auraient minoré de 0,7 point la croissance de l'an passé.

En 2015, l'indice des prix à la consommation hors tabac n'a pas progressé. Cette stagnation s'explique essentiellement par la baisse des prix de l'énergie. L'atonie des prix à la consommation a eu un effet favorable sur le pouvoir d'achat des ménages, mais des incidences ambiguës sur les finances publiques.

L'exercice 2015 a été marqué par un recul limité du déficit public, celui-ci s'étant élevé à 3,6 % du PIB, contre 4 % en 2014. À 0,4 point de PIB, la diminution du déficit public est inférieure à celle constatée en moyenne dans la zone euro, qui est de 0,5 point de PIB, alors que la France fait partie des quatre derniers pays de la zone dont le déficit excède 3 % du PIB, avec la Grèce, l'Espagne et le Portugal.

Selon les données transmises par le Gouvernement, le recul du déficit public serait imputable à un effort structurel de 0,4 point découlant d'un effort en dépenses de 0,5 point de PIB, résultant d'une évolution des dépenses publiques moins rapide que la croissance potentielle.

À l'inverse, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires ont minoré l'effort structurel à hauteur de 0,1 point de PIB, du fait notamment du déploiement du Pacte de responsabilité et de solidarité et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Au total, le déficit public a été, en 2015, inférieur de 0,6 point à la prévision retenue par la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 et la loi de finances pour 2015. Le Gouvernement affirme que les résultats sont meilleurs qu'escompté, mais il omet de rappeler que lors de l'adoption des deux lois précitées, le solde effectif pour l'exercice 2014 était substantiellement surestimé, de 0,4 point de PIB. Aussi, en l'absence d'une telle surévaluation, compte tenu du recul du déficit public constaté à 2015, ce dernier n'aurait été moins élevé que de 0,1 point de PIB à la cible.

L'objectif de déficit structurel a, lui aussi, été respecté. Il s'est élevé à 1,9 % du PIB, en recul de 0,4 point par rapport à 2014, contre une cible de 2,1 % arrêtée par la loi de finances pour 2015 et la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

L'ajustement structurel, de 0,4 point de PIB, a donc été conforme à la prévision de la loi de programmation. Toutefois, il convient d'éviter toute confusion concernant l'usage du terme « structurel ». Une amélioration du solde structurel ne signifie pas que celle-ci résulte de réformes structurelles ou encore qu'elle a été favorisée par une décélération structurelle de la dépense publique. En effet, l'effort en dépense se calcule en comparant la progression des dépenses qui ne sont pas sensibles à la conjoncture - contrairement à l'indemnisation du chômage, par exemple - à la croissance potentielle.

Ceci signifie qu'une baisse de la charge de la dette ou des investissements contribue tout autant à l'effort en dépenses que les fruits d'une rationalisation de la dépense publique ; à cet égard, il apparaît que la maîtrise de la dépense publique dont le Gouvernement se targue au titre de l'exercice 2015 est davantage imputable à des facteurs exogènes, tels que le recul ponctuel de certaines charges, qu'à des mesures susceptibles de ralentir durablement la dépense publique.

Quoi qu'il en soit, le solde structurel observé en 2015 est plus dégradé que les cibles fixées par les programmes de stabilité transmis aux mois d'avril 2015 et 2016 aux institutions européennes, traduisant les engagements européens de la France, notamment au regard des cibles arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars 2015.

L'écart de 0,3 point de PIB entre le solde structurel de l'année 2015 et l'objectif figurant dans le programme de stabilité d'avril 2016 s'explique par la révision de la croissance du PIB pour 2014 et 2015 par l'Insee.

Pour autant, le Gouvernement n'a cessé de revoir à la baisse les objectifs d'effort structurel pour 2015 et l'ajustement structurel opéré en 2015 a été inférieur à l'objectif fixé par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation de mars 2015. Le respect de la trajectoire de solde structurel par le Gouvernement doit donc être relativisé.

En 2015, à l'exception des organismes divers d'administration centrale (ODAC), l'ensemble des administrations ont vu le montant de leur solde s'améliorer. En particulier, la réduction du déficit public, de 7,3 milliards d'euros, tient surtout à l'amélioration du solde des collectivités territoriales, pour 5,3 milliards d'euros, qui tient elle-même, malheureusement, à ce que l'investissement local a baissé de 4,6 milliards d'euros ; le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, a reconnu que cette évolution n'était pas seulement liée au cycle électoral, mais aussi à la diminution de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Lors de son audition par la commission des finances le 15 juin, il a insisté sur le fait que, pour la première fois depuis 2000, le solde public s'était amélioré, alors que le taux de prélèvements obligatoires avait diminué. En effet, au cours de l'exercice écoulé, ce dernier s'est établi à 44,7 % du PIB, en très léger recul de 0,1 point par rapport à 2014.

Selon l'Insee, cette diminution résulterait des mesures nouvelles entrées en application en 2015, soit, notamment, de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité, compensée par celle de la fiscalité écologique et par l'augmentation des cotisations d'assurance vieillesse, ainsi que par le rendement des mesures contre la fraude fiscale.

Quels sont les bénéficiaires du recul des taux de prélèvements obligatoires ? Pas les ménages pris dans leur ensemble, puisque leur charge fiscale a continué de progresser, passant de 16 % à 16,1 % du PIB ; entre 2011 et 2015, ils ont supporté l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics ; la décélération de la pression fiscale intervenue l'an passé ne leur a pas profité - la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, dont l'incidence est estimée à - 2,8 milliards d'euros, n'ayant pas compensé les hausses de prélèvements intervenues depuis 2011, d'autant que les ménages ont également eu à supporter, par ailleurs, des augmentations de fiscalité indirecte, comme celles de la CSPE ou encore de la TICPE.

Qu'on ne se méprenne pas. Je ne regrette nullement que les prélèvements sur les entreprises soient stabilisés. Seulement, à défaut d'avoir engagé une véritable baisse de la dépense publique, fondée sur des mesures structurelles et des économies pérennes, le Gouvernement n'a pas été en mesure d'alléger la charge fiscale des ménages au cours de l'année 2015.

Selon le programme de stabilité d'avril 2016, dans le cadre du plan de 50 milliards d'euros d'économies pour les années 2015 à 2017 - auquel, selon un article paru ce matin dans un grand quotidien, le Gouvernement a renoncé -, un effort de 18 milliards d'euros aurait été réalisé par rapport à l'évolution spontanée de la dépense au cours de l'exercice passé. Ce montant intègre les économies supplémentaires annoncées par le Gouvernement dans le cadre du programme de stabilité d'avril 2015, pour 4 milliards d'euros, afin de compenser les effets de la faiblesse de l'inflation. Toutefois, la Cour des comptes a estimé que le montant des économies était plus proche de 12 milliards d'euros que de 18.

Quoi qu'il en soit, entre 2014 et 2015, les dépenses des administrations ont progressé de 16,7 milliards d'euros. Cette évolution a essentiellement été portée par les prestations sociales, qui ont augmenté de 10,1 milliards d'euros, soit, de 1,8 %, moins rapidement donc, je le reconnais, qu'en 2014 où elles avaient progressé de 2,2 % ; les « autres dépenses », qui ont crû de 8,3 milliards d'euros, principalement du fait la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ; la masse salariale, qui, s'est accrue de 2,9 milliards d'euros, soit de 1 %, contre 2 % en 2014. Ce moindre dynamisme est imputable, notamment, au « gel » du point d'indice depuis 2010, que l'actuel gouvernement a dû prolonger pour compenser la faible maîtrise des effectifs : ainsi, les suppressions de postes au sein du ministère de la défense ont été, en 2015, contrebalancées par la hausse des emplois dans l'enseignement scolaire public. Les achats courants ont, eux, progressé de 2,1 milliards d'euros, après avoir reculé en 2014. Ceci est à mettre en perspective avec la baisse de 1 % des consommations intermédiaires des collectivités territoriales.

En revanche, les investissements ont fortement reculé, d'un montant de 4,1 milliards d'euros, soit de 5,1 %. Ceci s'explique quasi exclusivement par l'attrition de l'investissement public local, qui a diminué de 4,6 milliards d'euros en 2015.

Enfin, la charge de la dette a continué à décliner, baissant de 2,6 milliards d'euros, soit - 5,6 %, en lien avec la diminution des taux d'intérêt et de l'inflation.

Ainsi, ces deux éléments conjoncturels - recul de l'investissement et de la charge de la dette - ont largement contribué à la décélération de la dépense publique en 2015. À titre indicatif, en mettant ces derniers à part, la dépense aurait progressé de 1,9 % en valeur et en volume, soit 0,5 point de plus que ce qui a été observé.

Au total, la Cour des comptes juge discutable la maîtrise de la dépense publique avancée par le Gouvernement. En effet, en 2015, la décélération de la dépense a, pour l'essentiel, découlé, d'une part, de la baisse de l'investissement des collectivités territoriales et de la charge de la dette et, d'autre part, du recours au coup de rabot, qui comprend les « gels » du point d'indice ou des prestations sociales. Comme je l'ai déjà montré à plusieurs reprises, l'essentiel des efforts d'économies a concerné les dépenses les plus aisées à réduire, sans réforme de structure.

Par conséquent, en 2015, la dette publique a atteint 2 096,9 milliards d'euros, ce qui correspond à 96,1 % du PIB. On s'approche malheureusement des 100 %.

La dette de l'État a été le principal facteur de progression de l'endettement des administrations, celle-ci ayant augmenté de 49,9 milliards d'euros en 2015.

La dette des ODAC a marqué un recul important par rapport à 2014, de 3,8 milliards d'euros. Cette évolution a principalement résulté, pour 2,1 milliards d'euros, de la sortie du Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) du périmètre des administrations publiques en 2015 et, pour 1,7 milliard d'euros, du désendettement de la Caisse nationale des autoroutes (CNA).

La dette des collectivités territoriales a, elle, augmenté de 7 milliards d'euros, en dépit d'un excédent de 0,7 milliard d'euros en 2015. Selon l'Insee, la différence provient en grande partie d'une progression de 5,1 milliards d'euros des dépôts au Trésor des collectivités locales.

Enfin, la contribution des administrations de sécurité sociale (ASSO) à la dette publique s'est élevée à 3,6 milliards d'euros, en ligne avec leur besoin de financement.

Si le poids de la dette dans la richesse nationale a continué à croître l'an passé, force est de constater que l'augmentation du montant de la dette, de 2,8 % en 2015, a marqué une décélération relativement aux années précédentes.

Cette évolution est en lien avec l'apparition d'une disjonction, au cours de l'exercice écoulé, entre la hausse de la dette des administrations (56,6 milliards d'euros) et leur besoin de financement (77,5 milliards d'euros). Cette disjonction, essentiellement constatée pour la dette de l'État, provient de la forte baisse des taux d'intérêt en 2015, alors que les émissions obligataires ont continué de porter sur des souches anciennes présentant des taux faciaux plus élevés et donnant donc lieu au paiement des primes par les acquéreurs des obligations.

J'en viens aux évolutions du budget de l'État au cours de l'année 2015. Les dépenses de l'État sont encadrées par une double norme de dépenses : d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant, c'est la norme « zéro valeur » ; d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pension, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'inflation, c'est la norme « zéro volume ».

La norme « zéro valeur », d'abord fixée à 282,5 milliards d'euros par la loi de finances initiale pour 2015, a été revue à la baisse de 0,7 milliard d'euros à la suite du décret d'annulation du 9 juin, puis à la hausse de 2,1 milliards d'euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, en lien avec la rebudgétisation des recettes exceptionnelles prévues sur le compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'État ». Le montant de la norme « zéro volume » a connu les mêmes évolutions.

Le Gouvernement présente cette opération comme une simple mesure de périmètre et la passe sous silence pour évoquer l'évolution des dépenses sous norme en cours d'année : l'exposé général des motifs du projet de loi de règlement du budget indique ainsi que les économies réalisées ont permis d'abaisser de 0,7 milliard d'euros la dépense sous norme par rapport à l'objectif de la loi de finances initiale.

Pourtant, la réintégration au budget général des dépenses qui devaient être financées par le CAS « Hertzien » n'a rien d'une simple mesure de périmètre : il s'agit, bien au contraire, d'une augmentation nette des dépenses sous norme de l'État dans la mesure où cette hausse n'est pas compensée par des recettes équivalentes. En pratique, aucune recette n'a pu être encaissée sur l'exercice 2015 au titre de la cession de ces fréquences.

Les dépenses sous norme des ministères et des opérateurs, hors prélèvements sur recettes, dette et pensions, ont donc augmenté de 2,6 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale, et non diminué de 700 millions d'euros.

Cette hausse est partiellement compensée par la réduction des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, respectivement inférieurs de 1 milliard d'euros et 200 millions d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale.

Au total, la norme de dépenses « en valeur » prévue en loi de finances initiale est dépassée de 1,4 milliard d'euros en exécution.

La norme « zéro volume » est respectée en 2015 : les dépenses exécutées sur ce périmètre atteignent 371,5 milliards d'euros, contre un plafond fixé à 372,5 milliards d'euros en loi de finances initiale.

Le dépassement constaté sur le périmètre de la norme en valeur est compensé par des économies de constatation sur la charge de la dette : celle-ci aura été inférieure de 2,2 milliards d'euros aux estimations initiales et de 1,1 milliard d'euros à l'exécution 2014. La faiblesse des taux d'intérêt sur la dette souveraine en 2015, avec des taux négatifs sur certaines obligations de court terme, conduit à ce que la charge budgétaire de la dette de l'État diminue alors même que son encours augmente. Ces économies ne dépendent évidemment pas des politiques mises en oeuvre par le Gouvernement et elles sont dénuées de tout caractère pérenne. Le respect de la norme de dépenses en volume a donc reposé, comme en 2014, sur des économies de constatation.

Le projet de loi de règlement est l'occasion de comparer l'exécution à la prévision, mais aussi d'analyser les tendances qui se dégagent d'exécution à exécution.

Le Gouvernement met en avant une baisse des dépenses de 1,4 milliard d'euros hors charge de la dette et pensions entre 2014 et 2015. Cette baisse serait le témoin d'une gestion budgétaire sérieuse, voire rigoureuse. Le secrétaire d'État chargé du budget Christian Eckert a ainsi déclaré devant nous, quand nous l'avions entendu en audition au sujet du projet de loi de règlement : « On nous parle toujours de reports de charge, d'augmentation de la dette de l'État envers la sécurité sociale, d'économies de constatation en pointant la charge de la dette... Or, indépendamment de ces trois facteurs, les dépenses de l'État ont été réduites, d'exécution à exécution, de 1,4 milliard d'euros ». Une analyse plus détaillée des dépenses de l'État fait apparaître que les dépenses des ministères et des opérateurs ont augmenté de 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2015. À périmètre constant et en neutralisant les crédits consommés en lien avec la rebudgétisation des ressources attendues sur le CAS « Hertzien », à hauteur de 1,5 milliard d'euros, l'augmentation atteint 1,7 milliard d'euros.

Le Gouvernement parvient à afficher une baisse des dépenses en présentant de façon agrégée les dépenses des ministères et les prélèvements sur recettes, alors que ceux-ci n'ont évidemment pas le même objet que celles-là. La diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales, ne pèse pas sur l'État mais bien sur les finances locales - ce que le Gouvernement reconnaît d'ailleurs implicitement puisqu'il assimile aussi, dans le cadre du plan d'économies de 50 milliards d'euros, la baisse du prélèvement sur recettes à une diminution des dépenses des collectivités territoriales.

Entre 2014 et 2015, c'est bien la diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales qui explique l'apparente maîtrise des dépenses de l'État.

À la suite des attentats du 11 janvier 2015, 247,3 millions d'euros de crédits d'investissement, d'équipement et de fonctionnement ont été ouverts par décret d'avance afin de renforcer la lutte anti-terroriste sur la période 2015-2017 et la création de 2 680 emplois supplémentaires a été annoncée. Au total, au titre de l'année 2015, 176 millions d'euros ont été alloués au ministère de l'intérieur et 81,6 millions d'euros à celui de la justice dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, soit un total de 257,6 millions d'euros.

La plus grande partie des dépenses sur le périmètre du ministère de l'intérieur vise à renforcer les moyens de fonctionnement et l'équipement des forces. Au surplus, 20 millions d'euros ont également été attribués au fonds interministériel de prévention de la délinquance, 16,2 millions d'euros à la modernisation de systèmes d'information et de communication et 0,4 million d'euros à la prévention.

Quant aux recrutements, au ministère de l'intérieur, 534 personnes ont été affectées sur des postes ouverts dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, soit 10 emplois non pourvus reportés sur 2016. Au ministère de la justice, la majorité des postes a également été pourvue : sur les 683 emplois supplémentaires autorisés en 2015 au titre de la lutte contre le terrorisme, seuls 15 emplois n'ont pas été pourvus au 31 décembre 2015 ; ces recrutements sont également reportés sur 2016. Les années 2016 et 2017 devraient voir des recrutements plus nombreux.

Le redéploiement de moyens budgétaires pour assurer la sécurité du pays se comprend aisément au regard des problématiques de sécurité intérieure rencontrées au cours de l'année 2015. Cependant, cette réorientation n'a pas été compensée par des efforts conséquents sur d'autres ministères, contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre en affirmant que les économies réalisées ont permis de financer les dépenses nouvelles en faveur de la sécurité des Français. En réalité, les seules économies significatives en 2015 portent sur les dotations aux collectivités territoriales et la charge de la dette, deux ensembles dont la réduction est totalement indolore pour l'État.

Les recettes nettes de l'État, hors fonds de concours et prélèvements sur recettes, se sont élevées à 294,5 milliards d'euros en 2015 contre 288,3 milliards d'euros en 2014, soit une hausse de 2,2 %.

Les prévisions de recettes pour 2015 se sont avérées réalistes : un contexte favorable, marqué notamment par la reprise en base des plus-values constatées sur l'exercice 2014, a conduit à ce que les recouvrements soient conformes aux estimations initiales.

Les recettes de l'État se composent de recettes fiscales et non fiscales. Les premières sont globalement en ligne avec les prévisions. Au total, elles sont supérieures de 1,1 milliard d'euros (0,39 %) aux estimations de la loi de finances initiale pour 2015. Leur évolution spontanée s'est élevée à 1,7 % en 2015 : c'est la première fois depuis 2011 qu'elle est positive. Cette augmentation significative est liée au dynamisme des recettes en provenance de contrôles fiscaux, qui se sont établies à 12,2 milliards d'euros, contre 10,4 milliards d'euros en 2014, soit une hausse de 17 % en un an.

Le suivi des recettes résultant des contrôles fiscaux est malaisé en raison de leur double nature : les paiements peuvent correspondre à un simple rattrapage de l'impôt dû et relèvent alors des recettes fiscales, tandis que les amendes sont rattachées aux recettes non fiscales. J'ai demandé des informations précises sur le montant des recettes recouvrées à la suite de contrôles fiscaux au Gouvernement, il y a plus d'un mois, mais le secrétaire d'État chargé du budget ne m'a pas adressé de réponse à ce jour.

Un autre facteur de hausse des recettes fiscales provient du fait que l'exécution des recettes 2014 a été supérieure de 1,9 milliard d'euros à la dernière prévision de la deuxième loi de finances rectificative pour 2014, qui a servi de base à la prévision de recettes de la loi de finances initiale pour 2015. Aussi, le montant des recettes recouvrées en 2015 intègre un effet base de 1,9 milliard d'euros.

Le déficit de l'État en comptabilité budgétaire s'élève finalement à 70,5 milliards d'euros en 2015, contre une prévision initiale de 74,4 milliards d'euros et un déficit budgétaire constaté de 85,6 milliards d'euros en 2014. Le Gouvernement se targue d'une amélioration du solde budgétaire de 15 milliards d'euros entre 2014 et 2015, ramenée à 3 milliards d'euros après retraitement de l'impact exceptionnel du programme d'investissements d'avenir (PIA) de 2014.

Comme le souligne la Cour des comptes, le déficit constaté en 2014 et 2015 doit être retraité des éléments exceptionnels. Il ne suffit pas de retrancher le montant du deuxième programme d'investissements d'avenir (11 milliards d'euros) du déficit 2014, comme le Gouvernement le fait : la contribution française au mécanisme européen de solidarité (MES) versée en 2014, pour 3,3 milliards d'euros, doit également être neutralisée. Le solde 2015 doit, quant à lui, inclure les décaissements des organismes dans le cadre du PIA.

Le déficit 2014 s'élève alors à 74,3 milliards d'euros et le solde budgétaire 2015 à 74 milliards d'euros : l'amélioration réelle n'est donc que de 300 millions d'euros, très loin des 15 milliards d'euros découlant de la simple comparaison du déficit de 2014 avec celui de 2015.

En outre, la plupart des facteurs d'amélioration du solde ne dépendent pas de la gestion budgétaire du Gouvernement : la diminution de la charge de la dette, l'évolution du solde des comptes spéciaux et du montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne obéissent à des facteurs largement extrinsèques aux arbitrages du Gouvernement.

La seule amélioration du solde budgétaire qui n'est pas de pure constatation provient donc de la hausse des recettes fiscales et non fiscales perçues en 2015.

Le rapport du Gouvernement préalable au débat d'orientation des finances publiques ne nous a été transmis qu'hier en fin d'après-midi, en violation de la loi organique relative aux lois de finances. Au regard des délais contraints, je n'aborderai que les points de ce rapport présentant une importance particulière.

Tout d'abord, le rapport gouvernemental confirme les hypothèses de croissance du PIB figurant dans le dernier programme de stabilité, soit une progression de l'activité de 1,5 % en 2016 et 2017, suivie d'une accélération à 1,75 % en 2018 et à 1,9 % en 2019. Il ne tient donc aucun compte des effets possibles du « Brexit », qui pourrait avoir une incidence négative sur le PIB de la zone euro comprise entre 0,3 et 0,5 % à l'horizon de trois années, selon le président de la Banque centrale européenne (BCE). De même, le « consensus » des économistes a révisé à la baisse la prévision de croissance de la France pour 2017 à hauteur de 0,3 point à la suite du référendum. Les travaux d'Euler Hermes évaluent son impact sur la croissance française entre 0,2 et 0,4 point.

Si le rapport gouvernemental ne comporte aucun élément relatif à l'évolution de la dette publique ou du solde structurel, il vient confirmer l'objectif d'un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017. À cette fin, le Gouvernement semble disposé à recourir à des artifices comptables. Les annonces du Président de la République ont modifié en profondeur le contenu du Pacte de responsabilité pour 2017. La suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et une première réduction du taux d'impôt sur les sociétés (IS) ont été très écartées au profit, notamment, d'une prolongation pour l'ensemble de l'année 2017 du dispositif de suramortissement des investissements et d'un relèvement à 7 % du taux du CICE.

Alors que nous risquons d'entrer dans une concurrence fiscale avec le Royaume-Uni, on peut regretter l'inconstance de la politique fiscale du Gouvernement et, surtout, souligner que les mesures annoncées ne pèsent que très légèrement sur le déficit public. Ainsi, concernant le CICE, le surcroît de créances ne sera constaté qu'en 2018 en application de la comptabilité nationale. Seuls le renforcement des allègements de cotisations de travailleurs indépendants et, dans une moindre mesure, la prolongation du suramortissement, pour les seules grandes entreprises à travers le cinquième acompte, auront une incidence sur le déficit public en 2017.

Au total, alors qu'une nouvelle baisse des prélèvements, de près de 4 milliards d'euros, doit intervenir en 2017, le rapport du Gouvernement précise que les mesures précitées auront un coût de l'ordre de 0,8 milliard d'euros en 2017 en comptabilité nationale. Ceci signifie également que le gain fiscal effectif pour les entreprises sera extrêmement réduit en 2017.

Par ailleurs, le Gouvernement prévoit qu'une baisse de l'impôt sur le revenu, d'un montant maximum de 2 milliards d'euros, interviendra en 2017 si la reprise économique est plus forte que prévu, sans qu'aucune précision ne soit donnée. Le Président de la République a précisé qu'une telle baisse était conditionnée à une croissance de 1,7 % en 2017, alors que le rapport gouvernemental prévoit une croissance de 1,5 %...

Grâce à des artifices comptables, le Gouvernement cherche à compenser les mesures nouvelles en dépenses des derniers mois et à conforter une trajectoire de dépense publique dont la fragilité a été soulignée par la Cour des comptes.

En particulier, je souhaiterais insister sur le dérapage marqué des dépenses de l'État en 2017. À année électorale, budget électoral. D'après les informations transmises par le Gouvernement, les crédits de l'État devraient être relevés de 5,6 milliards d'euros par rapport au niveau prévu dans le programme de stabilité pour l'année 2017 et de 3,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. Ce dérapage des dépenses est partiellement compensé par les économies réalisées sur les ministères non prioritaires, dont le détail n'est pas précisé, de même que par la révision à la baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, à hauteur de 1,1 milliard d'euros. La charge de la dette devrait également être inférieure de 500 millions d'euros aux prévisions du programme de stabilité en raison de taux de marché plus faibles que ce qui était anticipé.

Hors prélèvements sur recettes et charge de la dette, les dépenses de l'État augmentent donc en réalité de 7,1 milliards d'euros par rapport aux chiffres présentés dans le programme de stabilité.

Pour conclure, alors que le Gouvernement se prévaut d'une réduction des dépenses de l'État hors charge de la dette et pensions de 5 milliards d'euros au cours du quinquennat, celle-ci est intégralement imputable à la baisse des prélèvements sur recettes - et notamment de ceux destinés aux collectivités territoriales. La baisse des dépenses affichées par le Gouvernement sur l'ensemble du quinquennat est inférieure à celle des prélèvements sur recettes, ce qui signifie que les dépenses du budget général hors prélèvements sur recettes, charge de la dette et pensions - en d'autres termes, les dépenses des ministères et des opérateurs - ont augmenté entre 2013 et 2016.

Quelles sont les hypothèses de croissance potentielle du prochain projet de loi de programmation des finances publiques ? Comme en 2014, nous avons interrogé divers spécialistes pour tenter de parvenir à un « consensus » de la croissance potentielle.

Le « consensus » retient une estimation moyenne de la croissance potentielle de 1,2 % pour la période 2015-2021. Ainsi, l'estimation de la croissance potentielle actuellement retenue par le Gouvernement est significativement supérieure au « consensus » pour les années 2016-2017 (+ 0,3 point) et, dans une moindre mesure, en 2018 (+ 0,1 point). L'ampleur de cet écart est en grande partie imputable à la révision à la hausse des hypothèses gouvernementales de croissance potentielle intervenue en avril 2015. Il apparaît que retenir la trajectoire de croissance potentielle du « consensus » impliquerait la mise en oeuvre d'une politique budgétaire plus exigeante que celle menée par le Gouvernement. En effet, pour atteindre les cibles budgétaires arrêtées par ce dernier, il serait nécessaire de réaliser 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires environ entre 2016 et 2019, dont près de 7,5 milliards d'euros pour les seules années 2016 et 2017.

Ce surcroît d'économies accélérerait la réduction du déficit public effectif, ainsi que le poids de la dette dans la richesse nationale. Ainsi, le déficit public effectif reviendrait à 2,2 % du PIB en 2017, contre une prévision de 2,7 % du PIB dans le dernier programme de stabilité, à 0,2 % du PIB en 2019, contre 1,2 %. De même, la dette publique représenterait 90,7 % du PIB en 2019, alors que le Gouvernement anticipait jusqu'à présent un montant équivalent à 93,3 % du PIB.

Ces éléments mettent en évidence le fait que, dans le cadre des prochaines programmations des finances publiques, les hypothèses de croissance potentielle devront être définies avec le plus grand soin, de manière à établir une trajectoire de solde structurel certes compatible avec le rebond de l'activité économique, mais également garante d'un retour rapide à l'équilibre budgétaire.

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