Cette question récurrente et persistante de la dette publique imprègne le traité budgétaire européen, la loi de programmation des finances publiques et, à les entendre, le discours du Gouvernement comme celui de la majorité sénatoriale. Elle doit être considérée pour ce qu’elle est : une arme de terreur paralysante pour toute politique qui voudrait, pour l’État, la sécurité sociale ou les collectivités locales, s’écarter des dogmes libéraux aujourd’hui à l’œuvre et dont les limites sont pourtant chaque jour plus évidentes.
Le projet de loi de règlement dont nous débattons peut être résumé en quelques éléments.
Nourrie de l’austérité budgétaire – on se félicite ainsi d’avoir contenu les dépenses en 2015 et d’avoir réduit les dépenses, sur l’ensemble de la législature, de 9 milliards d’euros –, fondée sur des choix fiscaux profondément inégalitaires, la loi de finances pour 2015 a permis, dans les grandes lignes, d’atteindre l’objectif fixé : contribuer à la réduction de déficits demeurant élevés – environ 71 milliards d’euros – et d’un solde primaire négatif, déduction faite du service de la dette et des dépenses d’équipement de l’État.
Pourtant, le Gouvernement pouvait tirer parti de certains aspects macroéconomiques assez favorables. Le taux nominal de nos emprunts n’a ainsi jamais été aussi faible puisque, selon l’Agence France Trésor, les taux sont négatifs à six ans et n’atteignent pas 0, 5 % à dix ans. Nous émettons des bons du Trésor à taux négatif depuis le 25 août 2014, les dernières adjudications s’étant réalisées avec des taux pondérés de - 0, 5 % !
Ajoutons à cela une inflation presque nulle. L’ensemble des prix sont tirés vers la déflation et le prix des matières premières est orienté à la baisse, la pression des États-Unis s’étant particulièrement fait sentir pour assécher les gisements de devises de quelques pays émergents dont le rôle international allait grandissant… Je pense, bien sûr, à des nations dont l’expression internationale fait par trop d’ombre à la domination impériale de l’Amérique du Nord.
Malgré ces facteurs plutôt favorables, que constate-t-on cette année ?
La ligne budgétaire reste la même. Elle est fondée sur une contraction des dépenses, de nouveaux arbitrages douloureux entre ministères dits « sanctuarisés » et des lettres de cadrage assorties de suppressions d’emplois budgétaires pour les autres, le tout relevé par l’habituelle ponction sur les dotations aux collectivités locales destinée à solder les comptes… Et il suffit de 3 milliards d’euros de dépenses nouvelles, soit 1 % du budget, pour que hurlent les loups !
Ajoutons à cela la mal nommée « loi Travail », qui réduit les garanties sociales des salariés de ce pays et incite au moins-disant social par la baisse des rémunérations directes, et l’on se trouve face à une trajectoire budgétaire de dépression économique. La loi El Khomri, mes chers collègues, est en effet un plus sûr moyen que le Brexit pour affaiblir encore le peu de relance économique que notre pays est censé connaître en 2017.
Cela étant posé, le débat d’orientation budgétaire de cette année est assez virtuel, les échéances électorales du printemps 2017 risquant de modifier la donne.
Les Français sont confrontés au triste spectacle d’un gouvernement ne recourant plus qu’à l’autoritarisme le plus aveugle pour faire passer ses projets de fond, agitant l’épouvantail de l’extrême droite et du retour de libéraux décomplexés aux affaires, d’un côté, et, de l’autre, à celui d’une droite se livrant à un véritable concours Lépine des propositions les plus saugrenues et les plus irréalistes. Pour se plonger dans l’accumulation de projets plus inconséquents les uns que les autres commis par les candidats aux primaires des Républicains, il faut avoir le cœur bien accroché : baisse des dépenses publiques jusqu’à concurrence de 100 milliards d’euros, suppressions massives d’emplois publics – ce qui constitue une attaque directe contre le droit des femmes, majoritaires dans le secteur public, à exercer une activité professionnelle correctement rémunérée –, création de 10 000 places de prison ou d’établissements ultra-surveillés destinés à l’internement définitif de dangereux terroristes, sans oublier la fin du statut des fonctionnaires, que l’on pourra ainsi licencier, le retour aux 40 heures, la retraite à soixante-cinq ans pour tous, et j’en passe…
C’est qu’il faut réduire la dette et les déficits, n’est-ce pas ?
On promet donc aux Françaises et aux Français, déjà accablés d’efforts et de sacrifices depuis 1974, c’est-à-dire depuis que l’État se refinance sur les marchés financiers, de la sueur et des larmes. Eh bien, mes chers collègues, cela suffit ! Passons à autre chose ! Vouloir ramener la dette publique à zéro n’a pas beaucoup de sens et, au train où vont les choses, il faudrait quarante ou cinquante années d’austérité et de budgets excédentaires pour y parvenir ! Il est temps, grand temps, de changer de politique en France et de proposer autre chose aux Françaises et aux Français. Il est temps d’unir les forces du travail et de la jeunesse, les ressources de la création, de l’imagination, de l’innovation, des savoir-faire et des compétences pour apporter des réponses publiques efficaces et novatrices aux besoins collectifs.
Ainsi, la situation du logement demeure préoccupante dans notre pays. Facilitons l’innovation dans les programmes de construction sociale et axons-les d’abord et avant tout sur la situation des demandeurs telle qu’elle est, et non telle qu’on l’imagine ! Accroissons les capacités de financement de ces opérations à moindre coût, en mobilisant les ressources de l’épargne populaire de manière plus significative.
Pouvons-nous nous satisfaire que l’état sanitaire de la population se détériore au fil des ans sous l’effet d’une réduction continue de sa couverture par le régime général de sécurité sociale ?
Mes chers collègues, ne comptez pas sur nous pour supprimer l’aide médicale d’État, qui demeure le plus sûr moyen de nous prémunir contre tout risque sanitaire provenant de l’extérieur. Nous entendons poser clairement la question du financement de la sécurité sociale par l’accroissement des cotisations et la lutte déterminée contre la fraude sociale organisée à grande échelle, notamment dans les secteurs où l’on est habitué, si l’on peut dire, à ne pas payer les cotisations normalement dues.
Sortons de cette étatisation de la sécurité sociale que constituent les lois de financement, dont pas la moindre n’a réellement permis, depuis vingt ans, de résoudre le problème des déficits cumulés.
S’appuyer sur les forces du travail permettra de rendre aux salariés et aux travailleurs les droits et pouvoirs dont ils ont été privés dernièrement. Oui à la semaine de travail de 32 heures et au retour à la retraite à soixante ans, en donnant une priorité aux personnes ayant effectué des carrières longues ou exercé les métiers les plus usants.
Les choix budgétaires et les décisions prises en matière de finances publiques ne peuvent être durablement acceptés aujourd'hui que s’ils s’appuient sur un renforcement des droits sociaux et collectifs. Place donc à l’audace et au progrès !