Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, « ça va mieux ! », nous répète le Président de la République depuis la fin de l’année dernière. « Ça va mieux ! », nous dites-vous, monsieur le ministre, à l’appui des chiffres de l’exécution du budget de 2015 que nous examinons aujourd'hui. Et « ça ira encore mieux demain », si l’on en croit le rapport d’orientation des finances publiques, qui nous a été remis bien tardivement cette année, les hypothèses retenues en matière de dépense évoluant tous les jours.
Mes chers collègues, je dois vous dire que nous ne partageons pas l’optimisme dans lequel baigne le Gouvernement depuis quelque temps, tout d’abord parce qu’il faudrait que tous les indicateurs, économiques et budgétaires, soient passés au vert, ce qui n’est pas le cas, ensuite parce qu’il faudrait que le ciel soit bleu, sans aucun nuage à l’horizon, ce qui n’est pas le cas non plus…
Certes, cela va un peu mieux sur certains points, mais pas sur tous les fronts, tant s’en faut, malgré des éléments de conjoncture particulièrement favorables, dont on ne sait d’ailleurs pas jusqu’à quand ils persisteront. Politique de quantitative easing de la BCE, taux d’intérêt historiquement bas, faiblesse de l’euro, bas coût des matières premières : il aurait fallu profiter de cet alignement des planètes pour mener les réformes structurelles nécessaires afin de pouvoir en tirer le meilleur parti.
Malheureusement, en 2012, le Président de la République pensait que la croissance reviendrait toute seule. Grave erreur ! Confronté à la dure réalité, il s’est ensuite résolu à changer de politique, annonçant une baisse des charges des entreprises et des économies pour les financer et réduire le déficit. Le voilà maintenant qui change encore de pied sur le terrain des dépenses…
Ce quinquennat qui s’achève aura donc comporté trois périodes.
La première fut celle de l’assommoir fiscal : 30 milliards d’impôts et de charges qui ont tué la croissance, l’investissement des entreprises et la consommation des ménages, avec, en prime, un taux de chômage qui a explosé.
La deuxième période, celle du virage « social-libéral », débute le 31 décembre 2013, avec l’annonce par le Président de la République, lors de la présentation de ses vœux aux Français, du pacte de responsabilité et de solidarité, suivie, en avril 2014, de celle du fameux plan de 50 milliards d’euros d’économies.
Mais alors que le CICE commençait à donner quelques résultats – 1, 3 % de croissance l’an dernier et une légère reprise de l’investissement des entreprises –, le Président de la République est emporté par un optimisme débridé. S’ouvre alors, sur une série d’annonces nouvelles, la troisième et dernière période du quinquennat, celle du « ça va mieux et après nous le déluge ».
Dans un premier temps, monsieur le ministre, vous nous avez garanti que les nouvelles dépenses seraient gagées par des économies. Hier, nous avons appris qu’il n’en serait finalement rien. Exit donc le plan de 50 milliards d’euros d’économies, que vous n’auriez de toute façon pas respecté, même sans ces annonces nouvelles, parce que vous n’avez fait que repousser devant vous la mise en œuvre des réductions de dépenses.
Mes chers collègues, je crois que jamais quinquennat n’aura été marqué, hors période exceptionnelle, par autant de revirements politiques en si peu de temps. Le slogan de campagne de François Hollande était, en 2012 : « le changement, c’est maintenant » ; il aurait mieux valu qu’il annonce : « le changement, c’est tout le temps » !
C’est là à mon sens le point plus regrettable dans cette affaire. Entre 2007 et 2012, nous avons dû affronter la crise des subprimes importée des États-Unis, puis la crise des dettes souveraines. Le monde n’avait rien connu de tel depuis la crise de 1929. Les recettes de l’État ont chuté de 25 % ; il a fallu sauver le système bancaire et certaines grandes entreprises du secteur automobile ; les taux d’intérêt étaient plus élevés, l’euro plus fort, le pétrole plus cher. Quant à la BCE, elle était aux abonnés absents !
Par comparaison, vous aurez connu une période bien calme, le sauvetage de la Grèce, s’il nous a demandé quelques efforts budgétaires, n’ayant rien de comparable. Vous auriez donc pu, vous auriez dû profiter de cette période d’accalmie après la tempête pour alléger, dès 2012, les charges des entreprises, tout en réduisant sérieusement la dépense publique.
Vous avez fait exactement l’inverse : vous avez supprimé la TVA sociale et alourdi sévèrement les charges pesant sur les entreprises et les particuliers. Les charges sur les entreprises n’ont commencé à diminuer véritablement qu’en 2015, comme en témoigne d’ailleurs le fait que le coût du CICE soit supérieur à la prévision, ce qui est une bonne chose.
Quant à la dépense publique, vous n’aurez fait que limiter sa hausse, les résultats que vous obtenez étant dus en grande partie à la baisse des dotations des collectivités locales et à des éléments conjoncturels.
La dette, enfin, continue d’enfler malgré les promesses de stabilisation. Comment, à ce sujet, ne pas pointer l’artifice que vous avez utilisé – je parle des 22 milliards d’euros de primes d’émission que vous avez empochés, reportant cette charge sur les années à venir ? Comment d’ailleurs la dette pourrait-elle se stabiliser en euros, tant qu’il y aura 70 milliards d’euros de déficit budgétaire ? Une stabilisation de la dette en pourcentage du PIB est peut-être possible, mais pas en euros.
Mes chers collègues, voilà le tableau bien moins flatteur que nous dressons de la situation actuelle et que nous retrouvons dans les chiffres de ce projet de loi de règlement. Si le refrain du « ça va mieux » vise, de toute évidence, à rassurer le citoyen à l’approche de l’élection présidentielle, il ne résiste pas longtemps à la réalité des chiffres.
Je crois d’ailleurs pouvoir dire sans risque d’être démenti que l’examen de ce projet de loi de règlement est marqué par l’incroyable divergence d’appréciation entre la Cour des comptes et le Gouvernement. Jamais peut-être, depuis que nous nous livrons à cet exercice, les points de vue n’ont été aussi éloignés. Et pourtant, ce sont les mêmes chiffres que les uns et les autres commentent, et ces chiffres, la Cour des comptes les a certifiés. Alors, qui croire ?
Monsieur le ministre, je vais vous faire de la peine, mais le groupe des Républicains partage le sentiment de la Cour des comptes. Les comptes que vous nous présentez pour 2015 sont bien moins satisfaisants que vous ne le dites.
Pourquoi cette différence d’appréciation ? Tout simplement parce que le Gouvernement commente le déficit de l’État mesuré en comptabilité nationale, alors que la Cour des comptes le mesure en comptabilité budgétaire, retraitée du programme d’investissements d’avenir et des autres dépenses exceptionnelles. Je salue les efforts de notre collègue députée Valérie Rabault, rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, qui s’est évertuée à entrer dans le détail des chiffres pour essayer, vainement, de démontrer que la Cour des comptes avait tort.
Si nous voulons nous faire une idée des efforts effectivement consentis en 2015 par rapport à 2014, c’est bien la méthode de la Cour des comptes qu’il faut retenir, en excluant les éléments exceptionnels.
Vous mettez en avant la réduction du déficit budgétaire de 85, 6 milliards à 70, 5 milliards d’euros, mais, après retraitement des éléments exceptionnels, la Cour des comptes la ramène à seulement 300 petits millions d’euros… Monsieur le ministre, permettez au rapporteur spécial des crédits du logement que je suis de vous faire observer que, en fin d’année, vous avez décidé de supprimer 300 millions d’euros de crédits destinés au Fonds national d’aide au logement, le FNAL, soit exactement le montant de la réduction du déficit budgétaire calculée par la Cour des comptes !
Quant au déficit public, s’il passe de 4 % à 3, 6 % du PIB, ce qui est une bonne chose, cela est dû en grande partie à la baisse de l’investissement des collectivités locales, dont il est à souhaiter qu’elle ne se poursuive pas, tant ses conséquences sont lourdes.
Puisqu’il faut bien se comparer à ses voisins, il n’est pas inutile de rappeler que le déficit public moyen au sein de la zone euro s’établit à 2, 1 % du PIB. Au bout du compte, et c’est là le plus inquiétant, cela va toujours nettement moins bien en France que dans les pays comparables, alors qu’ils sont soumis aux mêmes contraintes conjoncturelles. Qu’il s’agisse des taux de chômage, de croissance, de déficit, d’endettement, de prélèvements obligatoires ou de dépenses publiques, nous sommes toujours à la traîne de nos principaux partenaires européens.
Le chômage a été choisi comme thermomètre par le Président de la République, qui avait annoncé en 2012 qu’il ne se représenterait pas si la courbe du chômage ne s’était pas inversée avant à la fin de l’année 2013. Or, depuis le début du quinquennat, le nombre de demandeurs d’emploi relevant de la catégorie A a augmenté de 610 000, et la hausse est de 1, 1 million pour les trois catégories A, B et C.
La comparaison avec nos partenaires européens est encore une fois cruelle : en 2012, en termes de taux de chômage, la France se situait au quatorzième rang des vingt-huit pays de l’Union européenne ; en mai 2016, elle se classe au vingt et unième rang.
C’est ce qui singularise vraiment la France : alors que toutes les économies ont subi de plein fouet les crises de 2009 et de 2010, elle compte, avec la Grèce, l’Espagne et le Portugal, parmi les pays où la situation s’est le moins améliorée au regard de ce qu’elle était au pic de la crise. Monsieur le ministre, il faudrait que vous nous expliquiez pourquoi, de votre point de vue, il en est ainsi.
Quant à l’avenir, le Gouvernement fait manifestement le pari que l’économie européenne poursuivra son petit bonhomme de chemin, que le Brexit n’aura aucun impact sur la croissance – il n’est qu’à regarder l’évolution actuelle du secteur de l’immobilier à Londres pour comprendre que la bulle va peut-être craquer –, que les taux d’intérêt ne remonteront pas sensiblement, alors que des craintes s’expriment de nouveau à ce sujet et qu’une nouvelle crise bancaire pourrait bien se profiler, et que le prix du pétrole restera relativement bas.
Le Gouvernement en conclut, a l’approche de l’élection présidentielle, qu’il peut ouvrir les vannes de la dépense publique, repoussant même à 2018, par un tour de passe-passe assez culotté, la charge de la suppression de la C3S, prévue en 2017 et abandonnée au profit d’une hausse du CICE, dont la charge budgétaire portera sur l’exercice 2018. Décidément, tout lui est bon…
Mes chers collègues, non, décidément non, nous ne croyons pas que « ça va mieux », ni que cela puisse aller encore mieux demain.
Pour terminer, si tout cela n’était pas si grave, je pourrais citer Coluche, qui disait, dans l’un de ses sketches : « La France, comme elle est, c’est pas plus mal que si c’était pire. » Toutefois, je crains que le pire ne soit devant nous et je citerai donc Mendès France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ».
Sans remettre en cause les chiffres du projet de loi de règlement, les membres du groupe des Républicains, pour marquer leur désaccord, ne le voteront pas.