Intervention de Francis Delattre

Réunion du 7 juillet 2016 à 15h10
Orientation des finances publiques et règlement du budget 2015 — Débat puis rejet en procédure accélérée d'un projet de loi modifié

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre :

Non que le M. le secrétaire d'État Christian Eckert, bon soldat de la République, trafique les chiffres, mais il les habille, à un point tel que la Cour des comptes doit durcir le ton et rappeler que son expertise est indiscutable.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, depuis votre arrivée au pouvoir, vos choix politiques, fondés sur une idéologie et sur l’esprit du Bourget, ont engendré une surfiscalité entrepreneuriale, du moins pendant les premières années de la mandature, qui a réduit dangereusement les marges des entreprises et plombé durablement la compétitivité de notre économie.

Aujourd'hui, l’INSEE nous dit que l’économie française respire encore, mais qu’elle n’est plus dans la course. La croissance s’accélère, dites-vous, mais vous n’en êtes pas vraiment acteurs, car vous avez encore augmenté la dépense publique et les prélèvements obligatoires de plus de 1 %. Quant à la dette, elle représentera, d’ici à quelques mois, près de 100 % du PIB !

L’INSEE prévoit une accélération de croissance pour 2016 : elle devrait s’établir à 1, 6 %, contre 1, 2 % en 2015. Néanmoins, au regard des circonstances favorables, des taux bancaires proches de zéro, des liquidités versées par la Banque centrale européenne pour dynamiser l’économie – vous nous parlez peu, d'ailleurs, du quantitative easing : on ne sait même pas ce que le Gouvernement en pense – et de la baisse du prix du pétrole, il apparaît que votre performance est nettement inférieure à celle de tous les grands pays de l’Union européenne.

Le CICE étant mal ciblé et, en réalité, non conçu pour l’industrie, les importations de produits manufacturés ont creusé le déficit de la balance commerciale. Si l’amélioration des marges des entreprises a été réelle en 2015 – elle a été de l’ordre de 2 % –, le CICE n’y contribue que pour un quart. Ce sont les événements extérieurs qui ont aidé, notamment la baisse du prix de l’énergie.

Alors que la confiance est le meilleur support de la croissance, vous avez réussi l’exploit de mener une politique budgétaire et financière qui ne rassure personne, à commencer, naturellement, par la Commission européenne. Selon cette dernière, la France connaît des déséquilibres macroéconomiques excessifs. Le risque de retombées négatives sur son économie et, compte tenu de la taille de celle-ci, sur l’Union européenne et monétaire est particulièrement préoccupant.

La politique économique menée depuis 2012 réalise aussi la prouesse de déplaire aussi bien aux syndicats, qui dénoncent le reniement de ses engagements par M. Hollande, qu’aux chefs d’entreprise, exaspérés par les reculades du Gouvernement quand il s’agit de fluidifier le marché du travail ou d’assouplir les 35 heures.

Cette politique suscite également le mécontentement des retraités, dont le niveau de vie s’érode, comme celui des jeunes actifs, qui ont du mal à boucler leurs fins de mois et à se loger. Où sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, les 500 000 logements qui devaient être construits annuellement ? Même les quarante économistes qui avaient pris parti avec véhémence pour François Hollande se disent aujourd'hui déçus.

Néanmoins, vous développez actuellement une grande campagne de communication, qui s’efforce de convaincre les futurs électeurs que l’avenir sera rose. Le problème est que le redressement n’est visible que de l’Élysée et de Matignon. Aucun des grands déséquilibres ni aucune des grandes anomalies qui expliquent la faiblesse de l’économie française n’ont été corrigés depuis 2012.

Si le déficit de la balance commerciale s’est réduit, c’est pour l’essentiel grâce à la baisse de la facture énergétique.

Depuis 2012, les dépenses publiques ont poursuivi leur progression, puisqu’elles représentaient 57, 2 % du PIB en 2015, contre 55, 9 % en 2011. Je vous rappelle, au passage, que la croissance, en 2011, était de 2, 5 % !

Dans le monde, seule la Finlande nous précède en termes de niveau des dépenses publiques. Sur injonction de la Commission européenne, la France a présenté un plan pour réduire ses dépenses de 50 milliards d’euros, plan dont les caractéristiques, dès le début, étaient aussi floues que peu détaillées, et dont l’absence de résultats va probablement déboucher aujourd'hui sur son annulation.

Le montant de la diminution des dépenses du budget de l’État retenu par la Cour des comptes pour 2015 – 300 millions d’euros – est quant à lui bien mince. Les désaccords sur les chiffres entre la Cour des comptes et le Gouvernement illustrent parfaitement le recours à des jeux d’écriture souvent trompeurs, reposant notamment sur la modification des périmètres.

En outre, nous venons d’apprendre la fin programmée du pacte de responsabilité et de solidarité, ce qui signifie en clair la rupture de nos engagements internationaux et le débridage de la dépense pour récompenser les Français des efforts que, contrairement à l’État et aux ministères, ils ont consentis.

La pression fiscale atteint des sommets. Selon l’OCDE, la France, à cause notamment de cotisations sociales records, est le pays affichant le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé, seulement précédé par le Danemark. Les cotisations sociales représentent, dans notre pays, 37 % des prélèvements obligatoires, contre 26, 1 %, en moyenne, dans les autres pays.

En dépit de prélèvements fiscaux et sociaux inégalés, les comptes publics ne s’améliorent guère. Le déficit s’établit à quelque 74 milliards d’euros pour les derniers exercices budgétaires. S’il a été moins important que prévu en 2015, l’écart par rapport à la prévision est cependant marginal. Un seul chiffre suffit à relativiser cette performance : l’Allemagne a, elle, dégagé un excédent budgétaire de 12 milliards d’euros.

À Bruxelles et ailleurs, on s’inquiète des risques de dérapage du déficit en 2016, risques liés aussi aux nouvelles dépenses engagées. Celles-ci ont sans doute un intérêt, mais le problème est que nous avons pris des engagements ! Je ne suis pas sûr que le commissaire européen Valdis Dombrovskis soit très rassuré par notre situation… En effet, il vient de déclarer que « la France […] ne délivre pas les efforts structurels qui lui avaient été réclamés par le Conseil de l’Union européenne ».

Les esprits étant occupés par le Brexit, tout cela sera probablement mis sous le boisseau durant quelques mois. C’est toutefois une préoccupation : non seulement la croissance redémarre faiblement en France, mais, depuis deux ans, notre pays affiche aussi un taux de croissance inférieur au reste de la zone euro.

Non, la France ne se redresse pas, monsieur Sapin ! Tout indique, au contraire, qu’elle décroche.

Je vous ai en estime, mais j’ai trouvé pathétique et très surprenant que, dans votre communication du 25 mars dernier, après la publication des chiffres de l’INSEE sur les comptes publics de 2015, vous ayez annoncé triomphalement que « la dette française a connu, l’année dernière, sa plus faible progression depuis 2007 ».

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