Certes, le rapport, au demeurant très documenté et précis, du rapporteur général permet à chacun de pouvoir disposer de l’ensemble des informations sur le dernier budget clos de la législature que nous aurons à examiner durant celle-ci.
Certes, la commission des finances a effectué un travail approfondi d’examen de la mission « Justice », conjointement avec la commission des lois.
Certes, les rapporteurs ont examiné de nombreux documents : règlements d’administration publique, documents de politique transversale, rapport de la Cour des comptes accompagné des notes d’exécution budgétaire… Cependant, le débat en séance publique et l’écho qu’il devrait avoir sont réduits à leur plus simple expression. Cela nous rappelle que, incontestablement, des marges de progrès subsistent en matière de culture du contrôle, alors même que c’est dans les documents livrés en appui au projet de loi de règlement que l’on trouve le condensé des problèmes de gestion des finances publiques auquel le pays est confronté et, bien souvent, les solutions qu’il convient d’y apporter. Cela est d’autant plus vrai à moins d’un an de l’élection présidentielle et des élections législatives.
Nous demeurons, au risque de me répéter, dans le schéma d’une entreprise qui passerait deux mois à élaborer et à approuver son budget, et deux heures à examiner son compte de résultat !
J’en viens maintenant aux données du projet de loi de règlement.
Le constat est simple : une réduction des déficits plus importante que prévu en loi de finances initiale – 3, 6 % du PIB contre 4, 1 % –, une légère diminution des prélèvements obligatoires et des recettes en ligne avec la prévision. Ce sont incontestablement des éléments positifs, dont nous pouvons collectivement nous réjouir.
Toutefois, au-delà de ce premier constat, des sources d’inquiétude persistent. Notre déficit reste élevé : 3, 6 % du PIB, c’est 1, 5 % de plus que la moyenne de la zone euro et l’un des taux les plus importants de l’Union européenne. Notre solde structurel en 2015 est plus dégradé que les cibles retenues par les programmes de stabilité. Enfin, notre ajustement structurel est inférieur à la recommandation du Conseil de l’Union européenne.
Notre dette continue de croître, certes plus légèrement, nous exposant davantage à une remontée des taux. Nous devons être vigilants, quelle que soit la qualité de gestion des équipes de l’Agence France Trésor, sur le caractère anesthésiant de la baisse des taux.
L’année 2015 a ainsi permis, au-delà même de l’encaissement des souches déjà évoqué, qui a permis de ralentir la croissance de la dette, d’encaisser 301 millions d’euros correspondant au taux négatif sur les bons du Trésor à taux fixe, alors qu’une dépense de 427 millions d’euros avait été inscrite en loi de finances initiale.
Quant aux prélèvements obligatoires, s’ils se stabilisent et diminuent pour les entreprises, ce qui est une bonne nouvelle pour la compétitivité, ils poursuivent leur hausse pour les ménages.
En clair, si la situation s’améliore, si « la France va mieux », pour reprendre l’expression présidentielle, elle diverge malheureusement par rapport à ses voisins de l’Union européenne, partenaires, mais aussi concurrents, et reste fragilisée par une insuffisance de réformes structurelles permettant de réduire la dépense publique, singulièrement celle de l’État. Comme le rappelle à juste titre la Cour des comptes, la réduction du déficit est due pour deux tiers aux collectivités locales.
Quant à l’amélioration du solde structurel, elle est en partie due à la diminution de la charge d’intérêts de la dette, qui représente la moitié de la réduction du déficit public.
Je n’entrerai pas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, dans le débat sur la réalité des économies faites par l’État ni dans celui sur le respect de la norme de dépense, même si je partage la lecture de la Cour des comptes.
En effet, je sais que plusieurs lectures peuvent être faites selon que l’on raisonne en termes de comptabilité budgétaire ou de comptabilité nationale. Je sais aussi que le périmètre de la norme de dépense est un débat constant depuis des années.
Ces débats ésotériques pour la quasi-totalité de nos concitoyens contribuent sans doute au décalage existant entre ces derniers et leurs représentants. C'est la raison pour laquelle il conviendra de les trancher et de leur consacrer un travail de réflexion en début de mandature.
Puisque la loi de règlement doit permettre de tirer des enseignements pour l’avenir et qu’il y a un débat d’orientation des finances publiques, vous permettrez à un praticien –maintenant ancien – de la LOLF de formuler quelques recommandations et rappels utiles pour le gouvernement, quel qu’il soit, qui prendra ses fonctions en 2017 et pour la discussion du projet de loi de finances.
En premier lieu, il faut que le Gouvernement s’engage sur un référentiel de dépenses partagé entre l’exécutif, le Parlement et la Cour des comptes, ainsi que sur une norme de dépenses stable ne donnant plus lieu à contestation.
En deuxième lieu, il faut s’assurer du respect des dispositions de la LOLF en tout point, dans les inscriptions et dans l’exécution budgétaire. Certaines entorses, que le temps qui m’est imparti ne permet pas d’exposer pour chaque programme, se répètent depuis plusieurs années et peuvent entacher la sincérité de missions ou de programmes.
Je pourrais, par exemple, évoquer le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », dit « CAS immobilier », dont je suis le rapporteur et dont les crédits de paiement sont utilisés pour régler des dépenses préalablement engagées et payées en 2012 sur le programme « Soutien à la politique de défense », illustrant des recyclages d’autorisations d’engagements.
Je pourrais aussi évoquer les 120 millions d’euros non inscrits dédiés à la couverture du glissement vieillesse-technicité, le GVT, dans les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
Je pourrais encore évoquer le non-respect de l’article 8 de la LOLF concernant les inscriptions relatives aux partenariats public-privé, avec des autorisations d’engagement et des crédits de paiement divergents – 154 millions d’euros d’écart ! –, au sein du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».
En troisième lieu, il faut garantir la mise à jour et la stabilité des indicateurs indispensables à la mesure de l’efficacité de la dépense. Dans de nombreux programmes, les indicateurs sont inexploitables en raison de ruptures dans les séries de données ou de modifications trop fréquentes de périmètre.
En quatrième lieu, le retour à un taux de réserve de précaution raisonnable est nécessaire. La progression de ce taux au fil des années - 8 % des crédits en 2015 – conduit à une masse disponible, avec les reports, de 11 milliards d’euros, qui a certes permis de faciliter la régulation budgétaire, avec notamment 4 milliards d’euros d’annulations en 2015, mais qui n’a pas incité à mettre en œuvre des économies structurelles.
J’en viens, en cinquième lieu, à l’indispensable consolidation entre dépense budgétaire et dépense fiscale.
Les conférences fiscales ont bien été mises en place, je vous en donne volontiers acte, mais les résultats restent modestes. Je ne suis pas certain que le degré d’implication des directions ministérielles soit à la hauteur.
Or la dépense fiscale – établie à 84 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016, contre 81, 93 milliards d’euros dans celui pour 2015 – continue de progresser, essentiellement, certes, en raison du CICE. Hors ce dispositif, la dépense fiscale est plutôt stable.
Cependant, le CICE continuera de monter en charge l’an prochain, en raison de la restitution de la fraction non imputée de la créance acquise en 2013 pour les entreprises les plus importantes.
La définition du plafond de dépenses fiscales donne elle-même lieu à débat, puisqu’il est calculé selon des méthodes inscrites dans le projet de loi de finances pour 2013, qu’il faut maintenant corriger sur trois ans. Sa mise en œuvre donne également matière à débat, les changements de périmètre ne donnant pas lieu à correction cohérente avec le plafond des normes applicables aux crédits budgétaires.
Le Parlement ne peut donc que souhaiter la rédaction rapide d’une charte de budgétisation des dépenses fiscales et crédits d’impôts.
S’agissant toujours de la dépense fiscale, la règle de l’évaluation périodique doit être strictement appliquée.
En sixième lieu, il importe de concentrer les mesures à incidence budgétaire en loi de finances. En matière de dépense fiscale, depuis le début de cette année, dix mesures nouvelles ont été prises, représentant un montant de 379 millions d’euros selon la Cour des comptes.
Voilà quelques enseignements que je souhaitais livrer à votre réflexion, en espérant que cela puisse nous permettre, à l’avenir, de converger sur des chiffres non contestables et, surtout, d’engager les réformes structurelles dont notre pays a besoin.