Intervention de Jean-Marc Gabouty

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 juillet 2016 à 10h00
Travail modernisation du dialogue social et sécurisation des parcours professionnels — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Marc GaboutyJean-Marc Gabouty, rapporteur :

L'approche pragmatique du compte personnel d'activité que le Sénat avait retenue n'a pas eu l'heur de convenir aux députés, qui ont privilégié l'affichage politique sur les contraintes liées à l'application au 1er janvier prochain de ce dispositif. Malgré nos mises en garde fondées sur les exemples récents du compte personnel de formation (CPF) et surtout du compte pénibilité qui, plus de deux ans après sa création, reste inapplicable, le Gouvernement n'a pas daigné examiner objectivement les griefs que nous avons soulevés.

La problématique de la valorisation de l'engagement citoyen mérite une réflexion plus approfondie que la création du compte d'engagement citoyen (CEC) proposé par le Gouvernement. Doit-elle obligatoirement se traduire par un droit à la formation renforcé ? Répond-elle réellement à une attente des bénévoles ? De plus, ce CEC regroupe des formes d'engagement civique, professionnel ou citoyen qui ont bien peu en commun : la participation à la réserve militaire est-elle assimilable au tutorat d'un apprenti en entreprise ? Enfin, l'évaluation du coût de son volet associatif et du nombre de bénéficiaires potentiels se révèle lacunaire en raison de l'évolution de son périmètre en cours d'examen parlementaire.

De même, il nous semblait pertinent que ce compte personnel d'activité soit clos lorsque son titulaire cesse son activité professionnelle, c'est-à-dire lorsqu'il liquide l'ensemble de ses droits à la retraite. Nous proposions de simplifier le compte pénibilité, afin de répondre aux nombreuses inquiétudes des employeurs. Je regrette que nous n'ayons pas été entendus sur ces points, et nous sommes curieux de voir comment se déroulera, à compter du 1er janvier prochain, la mise en oeuvre du CPA.

Concernant le reste des dispositions relatives à la formation professionnelle, l'Assemblée nationale a adopté conformes plusieurs articles introduits au Sénat, notamment celui relatif au CPF des travailleurs des établissements et services d'aide par le travail (Esat), et a approuvé les indispensables modifications juridiques que nous avons apportées à l'article 21 bis B, relatif à la réforme de la collecte de la contribution à la formation professionnelle des professions libérales, des artisans et des non-salariés.

En revanche, les députés n'ont manifestement pas le même point de vue que nous sur la façon de faire de l'apprentissage une voie de réussite. Alors que le projet de loi initial était quasiment muet sur cette problématique, le Sénat avait introduit 20 articles pour surmonter les obstacles qui freinent aujourd'hui son développement et améliorer le statut des apprentis. Aucun d'entre eux n'a été retenu, pas même l'obligation pour les entreprises d'assurer la formation des maîtres d'apprentissage. Aucune proposition alternative n'a été présentée : l'Assemblée nationale comme le Gouvernement semblent se satisfaire du statu quo en la matière, alors que les insuffisances du modèle français par rapport aux exemples étrangers sont bien identifiées.

Sans nous opposer sur le fond au dispositif de la garantie jeunes, nous avions estimé que l'expérimentation devait être poursuivie et que sa généralisation était prématurée, mais l'Assemblée nationale l'a rétablie.

Approuvant globalement les dispositions relatives à la promotion de la validation des acquis de l'expérience, le Sénat avait supprimé celles qui lui semblaient dépourvues de portée normative. L'Assemblée nationale les a rétablies, tout comme elle a persévéré dans sa demande de rapport sur les emplois d'avenir.

Parmi les articles relatifs au droit du travail à l'ère du numérique, plusieurs points de divergence sont à signaler. Le premier porte sur l'article 25, qui concerne l'obligation de négociation sur le droit à la déconnexion. Si le Sénat avait considéré que la consécration de ce droit dans le code du travail constituait une avancée, la rédaction de cet article contenait beaucoup trop de dispositions dépourvues de portée normative. L'Assemblée nationale n'a pas suivi notre souci de simplification et a même alourdi le dispositif en supprimant le seuil de 50 salariés au-delà duquel l'élaboration d'une charte définissant les modalités de mise en oeuvre de ce droit était obligatoire. Cette rédaction s'impose désormais à toutes les entreprises. De même, à l'article 26, l'Assemblée a repris son texte peu normatif de première lecture sur le lancement de la concertation sur le télétravail et les modalités d'organisation du travail pour les salariés en forfait en jours.

Sans surprise, elle a rétabli l'article 27 bis sur la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique en y introduisant deux modifications substantielles.

La première permet aux plateformes de couvrir le risque d'accident du travail, qui relève de leur responsabilité sociale, par la souscription de contrats d'assurance de groupe devant apporter une protection au moins égale aux garanties offertes par l'assurance volontaire en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

La seconde a supprimé la disposition selon laquelle la reconnaissance de la responsabilité sociale de la plateforme vis-à-vis du travailleur n'entraine pas l'établissement d'un lien de subordination. Ce faisant, les députés semblent avoir tiré les conséquences des critiques que nous avions formulées sur l'ambiguïté de cet article créant dans le code du travail un statut ad hoc de travailleurs non-salariés sans être indépendants. Une telle disposition aurait en effet interféré avec les poursuites engagées actuellement par l'Urssaf d'Ile-de-France contre Uber. Notre commission devra cependant rester très attentive sur l'application de cet article car les problèmes soulevés sont loin d'être résolus. Nous avions signalé que la réflexion préalable était insuffisante, et le débat parlementaire nous a donné raison !

L'Assemblée nationale s'est également opposée à notre souhait de créer un véritable rescrit social à l'article 28, ouvert à toutes les entreprises sans condition de taille et rendu public après anonymisation sur un site internet spécifique. Elle a par ailleurs rejeté notre proposition, à l'article 29, d'obliger les partenaires sociaux à prévoir dans tous les accords de branche, même non étendus, des stipulations spécifiques pour les entreprises employant moins de 50 salariés. Seul motif de satisfaction : le Gouvernement a réintroduit la disposition sénatoriale selon laquelle l'employeur doit informer les délégués du personnel de ses choix quand il applique un accord-type.

L'Assemblée nationale a par ailleurs rétabli l'article 29 bis A, qui crée une instance de dialogue social du réseau de franchise. Si son périmètre et ses pouvoirs ont été revus à la baisse par rapport à la version adoptée en première lecture, son principe même reste toujours aussi contestable, puisqu'il entre en contradiction directe avec l'un des fondements de la franchise, qui est l'indépendance juridique des franchisés par rapport au franchiseur et l'absence de lien de subordination entre les salariés des franchisés et le franchiseur. L'application de ce dispositif risque de rester assez théorique...

Les députés n'ont pas été convaincus par le travail de réécriture de l'article 30 relatif aux licenciements économiques. L'ensemble de nos modifications, qui clarifiaient les critères du licenciement et sécurisaient la procédure en cas de contestation devant le juge, ont été supprimées, y compris la notion de faisceau d'indices que le rapporteur de l'Assemblée nationale avait pourtant maintenue en commission. Il y a fort à craindre que la version des députés soit peu opérationnelle et n'apporte pas aux entreprises et aux salariés la sécurité juridique attendue. Nous déplorons également que l'article 30 bis B n'ait pas été retenu, car il donnait enfin la possibilité au juge judiciaire de moduler dans le temps les effets de ses décisions pour mieux maitriser les conséquences des revirements jurisprudentiels.

Alors que nous avions rétabli les dispositions figurant dans l'avant-projet de loi relatives au plafonnement des indemnités prud'homales, l'Assemblée nationale les a supprimées. Nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n'assume pas cette mesure qu'il avait lui-même portée il y un an dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Tout en invitant les partenaires sociaux à négocier sur la reconduction des contrats saisonniers, le Sénat n'avait pas souhaité habiliter le Gouvernement à fixer par ordonnance les règles supplétives en la matière. L'Assemblée nationale a toutefois rétabli cette habilitation.

En revanche, les députés ont conservé les apports du Sénat précisant le cadre juridique applicable aux groupements d'employeurs et aux particuliers employeurs.

Les dispositions relatives à une meilleure insertion et au maintien dans l'emploi des personnes handicapées ont elles aussi fait l'objet d'un consensus entre nos deux assemblées : les députés ont conservé les apports votés au Sénat relatifs au dispositif permanent d'emploi accompagné prévu à l'article 23 ter, ainsi que l'attribution à Cap emploi des missions d'insertion et de suivi dans l'emploi mentionnées à l'article 43 ter.

S'agissant de la médecine du travail, l'Assemblée nationale a, sans surprise, rétabli la plupart des dispositions issues de son texte de première lecture, notamment sur le sujet le plus débattu, en remplaçant la visite d'aptitude par une visite d'information et de prévention.

En ce qui concerne la contestation des avis d'aptitude ou d'inaptitude, la création d'une procédure d'appel devant des commissions régionales de médecins du travail a été accueillie favorablement par nos collègues députés de la commission des affaires sociales. En séance, le Gouvernement n'a cependant pas souhaité retenir cette solution. Nous ne pouvons que le regretter car le recours à la juridiction prud'homale, déjà engorgée, ne nous paraît pas offrir les garanties suffisantes, ni pour les salariés, ni pour les employeurs.

Moyennant des ajustements rédactionnels, l'Assemblée nationale a conservé la précision apportée à notre initiative sur la nécessité d'éviter la réalisation de visites redondantes pour les salariés en contrat court. Le texte qui nous est transmis maintient également les apports du Sénat sur la faculté pour un travailleur de solliciter à tout moment une visite médicale, sur la possibilité pour le professionnel de santé qui réalise la visite d'information et de prévention d'orienter le travailleur vers le médecin du travail, ainsi que sur les modalités de suivi des travailleurs de nuit. Enfin, les députés nous ont finalement rejoints pour reconnaître qu'il n'était pas opportun de modifier la gouvernance actuelle des services interentreprises de santé au travail.

En revanche, ils ont supprimé la disposition que nous avions adoptée pour préciser que l'appréciation de la responsabilité pénale et civile de l'employeur implique la prise en compte des mesures mises en oeuvre au titre de son obligation de sécurité de résultat. À l'initiative du Gouvernement, ils ont également supprimé la disposition qui incluait la masse salariale plafonnée parmi les assiettes de financement des services interentreprises de santé au travail pouvant être choisies.

En matière de travail détaché, les positions de nos deux assemblées convergent. L'Assemblée nationale a conservé l'essentiel des apports du Sénat et notamment l'information des travailleurs détachés dans le secteur du BTP sur leurs droits lors de la remise de leur carte d'identification professionnelle. L'obligation d'affichage sur les gros chantiers, que nous avions jugée inapplicable, a été rétablie. L'Assemblée nationale n'a toutefois pas conservé les dispositions relatives aux marchés publics que nous avions introduites. Au-delà des mesures que nous pouvons prendre au niveau national, nous rappelons notre attachement à une révision de la directive de 1996 et plus encore du règlement de 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

L'Assemblée nationale a rétabli la possibilité d'intégrer des contrôleurs du travail dans le corps des inspecteurs du travail par le biais d'une liste d'aptitude alors que le Sénat avait estimé que cette liste, contrairement au concours interne, ne permettait pas d'assurer la montée en compétence indispensable de ces agents. Elle a également rétabli la ratification de l'ordonnance du 7 avril 2016 sur les pouvoirs de l'inspection du travail, à laquelle le Sénat s'oppose depuis deux ans.

Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli les articles alourdissant les pénalités en cas de nullité du licenciement, que nous avions supprimés.

En définitive, si 53 articles ont été adoptés conformes à l'Assemblée nationale, ceux-ci portaient essentiellement sur des mesures techniques ou consensuelles. Cela ne saurait masquer les profonds désaccords qui existent entre nos deux assemblées sur les insuffisances et les lacunes du projet de loi. L'intérêt de procéder à un nouvel examen du texte au Sénat dans la perspective de la lecture définitive nous paraît dès lors limité, après deux semaines de débat intense dans notre hémicycle et l'engagement à deux reprises de la responsabilité du Gouvernement à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous vous proposons que notre commission se prononce, par un seul vote, sur le rejet du projet de loi et qu'elle dépose, pour la séance publique, une motion tendant à opposer la question préalable en application de l'article 44, alinéa 3, de notre règlement.

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