Nous nous sommes rendus en Corse, le 8 avril dernier, avec pour sujet d'étude la prévention et la gestion des déchets dans l'île. Notre délégation était composée de Guillaume Arnell, Ronan Dantec, Didier Mandelli, Hervé Poher et moi-même.
Lors de la nouvelle lecture du projet de loi de transition énergétique, nous avions vu arriver en séance, à la dernière minute, un amendement du Gouvernement proposant de créer une nouvelle dérogation à la loi Littoral pour débloquer la situation en Corse, où la gestion des déchets risquait de déboucher sur une crise, du fait de l'absence d'exutoire pour les déchets ultimes à très proche échéance. Nous avions alors fait le choix de ne pas voter l'amendement, en l'absence d'éléments suffisamment précis et compte tenu de la prudence à observer dès lors qu'il s'agit de modifier la loi Littoral. Mais nous nous étions engagés à envoyer une mission sur place pour faire le bilan des éventuelles modifications législatives à apporter pour améliorer la gestion des déchets en Corse.
Notre déplacement s'est déroulé en plusieurs temps : le matin, nous avons suivi un point de situation à la préfecture avec les services de l'État, en présence du préfet de Corse, M. Mirmand, de la Direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL) et de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Nous avons ensuite rencontré Mme Agnès Simonpietri, présidente de l'office de l'environnement, chargée de la gestion des déchets au sein de la collectivité territoriale de Corse. L'après-midi, nous avons pu échanger avec M. Tatti, président du Syvadec et de la communauté d'agglomération de Bastia, puis avec M. Marcangeli, député-maire d'Ajaccio, et M. Ferrara, président de la communauté d'agglomération du pays ajaccien. Enfin nous avons effectué une visite de terrain à Albitreccia, dans la commune où l'on avait envisagé d'ouvrir un nouveau site de stockage des déchets.
En Corse, hors déchets du bâtiment, le tonnage de déchets non dangereux est estimé à 360 000 tonnes par an, dont 188 000 tonnes, soit environ la moitié, sont éliminées par enfouissement. Quatre installations de stockage reçoivent ces 188 000 tonnes annuelles de déchets produits dans l'île. Le site de Vico a une capacité autorisée de 30 000 tonnes par an, et la préfecture estime que le premier casier, le seul actuellement en exploitation, pourrait atteindre la saturation à l'été 2016. Sur ce site, un collectif U Pumonte s'oppose à l'exploitation d'un deuxième casier.
Le site de Viggianello a une capacité autorisée de 45 000 tonnes par an et dispose encore à ce stade de 3 à 5 ans d'exploitation. Une demande du prestataire a été déposée pour créer le site de Viggianello 2, mais le comité de suivi s'oppose à la poursuite de l'exploitation et un collectif de riverains est en création. Par ailleurs, la voirie d'accès n'est pas adaptée à une augmentation de trafic.
Le site de Prunelli a une capacité autorisée de 43 000 tonnes par an, avec des casiers en bioréacteur. Ce site pourrait encore être exploité entre 4 et 6 ans avant d'atteindre la saturation. Cependant, l'installation est relativement proche d'une zone urbanisée, et des problèmes d'odeurs constatés en 2015 ont conduit à une forte opposition locale à une éventuelle augmentation de capacité du site. La décharge présente par ailleurs des problèmes d'accès.
Enfin, le site de Tallone 1 a fermé en juin 2015, ce qui a fortement réduit la capacité de stockage de la Corse. La mise en chantier de Tallone 2 a été interrompue par le maire qui subordonnait l'ouverture de ce deuxième site de décharge à la création d'une installation de tri mécano-biologique (TMB) au même endroit. Or, le permis de construire pour ce TMB a été annulé par le juge administratif pour non-respect de la loi Littoral, d'où la suggestion de la ministre de déroger à cette loi.
Par conséquent, avec la probable fermeture du site de Vico arrivé à saturation, la Corse connaîtra un déficit de traitement de 15 000 tonnes de déchets au premier semestre 2016, et un déficit de 70 000 tonnes au deuxième semestre, et cela uniquement si l'on arrive à ouvrir Tallone 2 en septembre prochain, ce qui n'est pas acquis, compte tenu de l'opposition de la commune.
Une solution partielle au problème consisterait à augmenter les capacités de stockage des trois autres sites en mettant en oeuvre un principe de solidarité. Des discussions ont eu lieu pour rapatrier les tonnes de déchets non prises en charge sur les autres sites, mais elles ont achoppé, les maires des communes concernées refusant d'accroître leur prise en charge des déchets tant que Tallone s'oppose à l'ouverture de sa deuxième décharge.
Autre piste évoquée : l'exportation de déchets sur le continent. Pour l'heure, cette solution n'est envisagée par la préfecture que comme une solution de dernier recours, dans le cas où aucun nouveau casier de stockage ne pourrait être ouvert et si l'augmentation de capacité des installations existantes n'était pas mise en oeuvre. Selon les évaluations des services, une exportation de quelque 30 000 tonnes serait envisageable, même si les contraintes seraient nombreuses : contraintes réglementaires, avec la nécessité d'obtenir les autorisations nécessaires, contraintes administratives, car il faudrait obtenir l'accord des autorités locales (préfets, conseils départementaux, communes), et contraintes économiques, car le coût global de mise en balles, de transport et de traitement pour l'exportation est estimé à 280 euros par tonne de déchets.
Dans ce contexte très complexe, la priorité des services de l'État pour gérer la fin de l'année 2016 est d'abord d'obtenir la mise en service de Tallone 2. Ils sont pour cela en négociation avec la commune, avec un projet d'engagement pour une durée limitée de 3 ans sur le site, avec une capacité de 50 000 tonnes par an. Une fois cette mise en service obtenue, il faudra augmenter les capacités de stockage des trois autres sites, ce qui implique de convaincre les collectifs mobilisés sur place et d'ajuster les autorisations administratives de ces installations. Enfin, pour les tonnes de déchets restant à la marge sans solution de traitement, il conviendra d'organiser leur mise en balles provisoire sur le site de la communauté d'agglomération du pays ajaccien.
Il s'agit essentiellement de mesures d'urgence pour gérer la crise à très court terme. Il reste à mettre en oeuvre dans les années à venir une politique de gestion des déchets suffisamment ambitieuse pour anticiper ce type de crises.
Il est intéressant de noter la répartition institutionnelle originale de la compétence de gestion des déchets. La collectivité territoriale de Corse dispose de la compétence de planification, avec la définition d'orientations générales. Les communes disposent de la compétence collecte, les deux tiers d'entre elles ayant délégué leur compétence traitement au principal syndicat de l'île, le Syvadec.
Sur ces enjeux de répartition des compétences et d'articulation entre les acteurs se superposent des enjeux politiques, depuis l'élection en décembre 2015 des nationalistes à la tête de l'exécutif régional. La nouvelle direction de la collectivité territoriale de Corse ne souscrit pas à la planification actuelle en matière de déchets. Elle a adopté en janvier dernier une feuille de route qui doit guider l'action publique dans les années à venir. En trois ans, elle souhaite atteindre l'objectif d'éviter 50 % des déchets à la source. Nous en sommes loin, et il faudra un ambitieux programme pour rationaliser le tri et passer du tri en point d'apport volontaire à un tri en porte à porte en réduisant le nombre de flux, tout en passant à un financement par la redevance incitative. Nous suivrons attentivement ces évolutions, car la transition sera sans doute difficile.
En tout état de cause, la question de l'ouverture de nouveaux sites de stockage se posera très rapidement, compte tenu de la saturation progressive des sites existants. La préfecture estime qu'en se fondant sur l'objectif actuel de 50 % de réduction de la quantité de déchets, et sans augmentation des capacités des sites de Viggianello et Prunelli, il faudrait disposer d'ici dix ans d'au moins deux sites de traitement supplémentaires, idéalement un par département.
Le risque aviaire achève de compliquer la situation. Nous avons visité le site envisagé pour l'ouverture d'une nouvelle installation de stockage, dans la commune d'Albitreccio. Cette installation n'a finalement pas pu voir le jour car la direction générale de l'aviation civile (DGAC) y a opposé un veto. Le risque aviaire est important pour les aéronefs dans la région d'Ajaccio. Les goélands se nourrissent sur les installations de stockage, ce qui entraîne le maintien d'une population importante de ces oiseaux. En l'espèce, la localisation du projet à proximité de l'aéroport d'Ajaccio et son positionnement, perpendiculaire aux pistes, ont été jugés trop risqués par la DGAC.
En définitive, sur la question qui motivait notre déplacement, à savoir l'opportunité de modifier la loi Littoral, je conclurai de la même manière que les experts envoyés par le ministère de l'écologie pour faire le bilan de la situation en Corse. Une modification de la loi Littoral ne suffirait pas à permettre la construction du TMB de Tallonne, puisqu'elle devrait s'accompagner à la fois d'une modification du Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), adopté le 2 octobre 2015, et de l'élaboration d'un PLU à Tallone (le PLU de la commune a récemment été annulé). Ces étapes s'étalent sur plusieurs années, de sorte qu'elles sont incompatibles avec le calendrier de gestion de crise que je vous ai présenté pour 2016.
Par ailleurs, ainsi que le relève la mission du ministère, il est possible en l'état du droit de construire des installations de stockage des déchets sur les communes relevant de la loi Montagne. Celle-ci est plus souple que la loi Littoral : elle ménage des possibilités de dérogation dès lors qu'il s'agit d'implanter des ouvrages nécessaires aux services publics, « si leur localisation dans ces espaces correspond à une nécessité technique impérative ».
Il faut donner la priorité à la prévention des déchets et à la réduction de la quantité de déchets à éliminer. C'est le sens des objectifs votés dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, et c'est d'autant plus fondamental en Corse, compte tenu de sa spécificité insulaire. Tels ont été les enseignements que nous avons tirés de ce déplacement.
J'ajouterais que même si la modification de la loi Littoral n'est pas la solution en l'espèce, il faudrait néanmoins réfléchir à des évolutions. En Corse, les restrictions en matière d'urbanisme s'appliquent sur la totalité de la commune et pas seulement sur un périmètre proche du littoral, ce qui n'est pas tout à fait logique, dans la mesure où les communes sont disposées en lanières par rapport à la côte. Peut-être conviendrait-il de définir un périmètre plus resserré et de prévoir des dérogations quand il s'agit d'installer des dispositifs publics ? La question vaut aussi en Bretagne, où l'on se heurte aux interdits de la loi Littoral lorsqu'il s'agit de construire des stations d'épuration dans certaines communes. Enfin, d'après le préfet de Corse, on gagnerait à faciliter la mise en oeuvre des outils juridiques. C'est une autre piste à explorer.