Intervention de Jean-Marie Bockel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 juillet 2016 à 10h05
Nomination d'un rapporteur

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel, rapporteur :

Comme l'a souligné Gisèle Jourda, 2015 a été pour la réserve une année de rupture. Les attentats qui ont meurtri notre Nation l'année dernière ont en effet débouché sur une double prise de conscience.

D'une part, le pays a réalisé que le terrorisme djihadiste pouvait frapper mortellement sur notre sol même. Le déclenchement de l'opération « Sentinelle » à la suite des attentats de janvier 2015 a mieux fait apparaître, en contribuant à l'accentuer, l'hyper-sollicitation de nos forces.

De fait, les armées étaient déjà engagées à un niveau élevé sur différents théâtres d'opérations extérieurs, et elles le demeurent ; nous y reviendrons en examinant le deuxième rapport d'information inscrit à notre ordre du jour. Dans ce contexte, les mesures de protection requises par la menace qui s'est nouvellement déclarée en 2015 excèdent ce que prévoyaient les contrats opérationnels inscrits dans la loi de programmation militaire et rendent nécessaires de nouveaux moyens pour les armées.

La réserve, par définition, constitue l'un de ces moyens, parallèlement à la révision à la hausse du schéma d'emploi de l'active. Elle doit permettre aux forces de s'inscrire dans la durée, en donnant à l'active des marges de manoeuvre et la possibilité de se concentrer sur le haut du spectre des opérations. Les réservistes paraissent ainsi devoir prendre toute leur place dans des opérations du type « Sentinelle », de façon à décharger un peu de son fardeau, en particulier, l'armée de terre. Il s'agit de permettre aux militaires d'active de retrouver le temps requis pour la formation, l'entraînement et le repos après les périodes d'engagement.

Or, actuellement, les opérations militaires ne représentent qu'une part très modeste de l'activité des réservistes opérationnels. En 2015, en prenant en compte la gendarmerie, seulement 1,6 % de cette activité a servi aux OPEX (2,7 % si l'on ne prend en compte que les armées), et 7,2 % aux opérations intérieures, dont « Sentinelle ». Une mesure plus fine permet d'estimer que 21,3 % -soit un peu moins d'un cinquième- de l'activité de la réserve opérationnelle des armées a été consacrée, l'année dernière, à la protection du territoire national, ce qui est évidemment peu.

Certes, du fait des déploiements de « Sentinelle », l'activité des réservistes dans les opérations intérieures a été multipliée par 2,5 en 2015 par rapport à 2014 ; mais les 400 réservistes environ qui participent à « Sentinelle » ne représentent que 4 à 6 %, tout au plus, des 7 000 à 10 000 militaires déployés au quotidien dans ce cadre. L'axe d'effort est donc clairement tracé.

D'autre part, le djihadisme ayant prouvé sa capacité à mobiliser des combattants parmi les populations européennes, en particulier au sein de la nôtre, la cohésion du pays apparaît désormais, peut-être plus que jamais depuis la Seconde guerre, comme une priorité pour l'action politique. Or la réserve militaire, élément clé du lien entre la Nation et son armée, est aussi un dispositif catalyseur d'engagements civiques et un incubateur d'esprit de service. Elle se trouve donc à même de contribuer puissamment à ce renforcement interne, qui est nécessaire.

De fait, au lendemain des attentats de janvier 2015, puis à nouveau après ceux du mois de novembre dernier, une aspiration à l'engagement au service de la collectivité s'est manifestée dans la société, notamment auprès des armées. Une hausse sensible des demandes de renseignements sur les modalités d'engagement militaire a alors été enregistrée. Toutes ces marques d'intérêt ne débouchent pas sur un recrutement, mais la période difficile que traverse notre pays s'avère propice à un essor de la réserve.

Mme Gisèle Jourda a présenté les grands axes définis par le plan « Réserve 2019 ». Nous donnons acte au Gouvernement d'avoir entrepris d'agir avec une certaine résolution. Toutefois, la réforme ne pourra produire d'effets que dans un temps relativement long, dans la mesure où le recrutement et la formation de réservistes opérationnels réclament des délais. De plus, la capacité d'absorption des armées en la matière reste limitée : une réserve de masse n'est pas gérable pour nos forces, compte tenu des besoins de formation et d'équipement des réservistes, ainsi que des infrastructures militaires existantes. Sans compter que, parallèlement à la montée de la réserve, les armées doivent à présent gérer la remontée de l'active, suivant les décisions prises l'année dernière.

Pour le plus court terme, l'enjeu est de définir au mieux un modèle de réserve qui, permettant dans une proportion croissante d'appuyer les forces d'active, contribue à notre défense de façon optimale. C'est à cette tâche fondamentale de redimensionnement de l'outil « réserve » que notre groupe de travail a souhaité prendre part.

Nos propositions sont fondées sur quatre principes cardinaux.

Le premier est la « militarité » : la réserve rénovée des armées devra conserver un statut pleinement militaire.

Le deuxième, non moins essentiel, est la « territorialisation » : la future réserve devra être ancrée dans le territoire national et structurée sur une base territoriale. C'est là l'axe fort de notre rapport.

Le troisième est l'unité : l'organisation de la future réserve devra assurer la capacité de celle-ci à exercer la pluralité des missions liées aux différents besoins militaires, mais dans le cadre d'une étroite coordination interarmées. Ce principe exclut tant la création d'une « armée bis » que la constitution de réserves de seconde zone.

Le quatrième tient à la cohésion nationale : de notre point de vue, la réserve devra accueillir en priorité la jeunesse française, en étant rendue attractive à cet effet. Car les jeunes représentent à la fois le coeur des besoins militaires pour renforcer les unités d'active dans leurs missions de protection et un levier majeur de consolidation des liens intranationaux.

Dans le cadre de ces principes généraux, nous avançons une série de propositions visant à revivifier effectivement la réserve militaire.

Nos préconisations concernent d'abord l'organisation de la réserve. En effet, si le maintien et l'amplification de l'effort budgétaire récemment engagé constituent une condition sine qua non de la réussite - ce n'est là qu'une question de volonté, car les sommes en jeu ne sont pas bien considérables -, il s'agit avant tout, pour le reste, d'instaurer une territorialisation.

Le but est de répondre efficacement aux menaces de tous ordres susceptibles de frapper sur notre sol : le terrorisme et les catastrophes naturelles, technologiques ou industrielles, mais aussi des troubles graves plus probables aujourd'hui encore qu'en 2010, lorsque nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam en traitaient dans le rapport que j'ai précédemment cité. Ces troubles, évidemment plus probables en certains points du territoire qu'en d'autres, il n'est pas toujours aisé de les prévoir, mais il est nécessaire de les anticiper, comme le font, d'ailleurs, nos services de renseignement. Les médias soulignent régulièrement l'importance de cette menace qu'il faut présenter au demeurant dans des termes modérés et équilibrés, car il ne s'agit pas d'agiter les peurs - d'autant que le but de nos ennemis est précisément de diviser notre pays en suscitant de tels troubles.

La territorialisation que nous appelons de nos voeux servirait une double ambition : en premier lieu, renforcer la présence militaire sur l'ensemble du territoire, y compris dans les « déserts militaires », qui se sont accentués à mesure que le format des armées était resserré, et dans les secteurs identifiés comme présentant un risque particulier au regard des critères que je viens de détailler ; en second lieu, faire jouer les effets positifs induits par la proximité entre bassins de vie et lieux d'activité militaire pour faciliter le recrutement de volontaires et optimiser l'emploi des réservistes. Il s'agit, en somme, de s'inspirer du modèle de la réserve de la gendarmerie.

L'armée de terre, par nature la plus concernée par les enjeux de cette territorialisation, envisage d'ores et déjà une manoeuvre en ce sens, qui semble rejoindre notre proposition. Ce projet est détaillé dans notre rapport écrit. Nous en suivrons l'évolution avec le plus grand intérêt.

Par ailleurs, nous proposons de repenser la gouvernance de la réserve militaire. L'organisation actuelle distribue les compétences entre plusieurs instances et responsables - pour l'essentiel, le Conseil supérieur de la réserve militaire, le comité directeur de la réserve militaire, le délégué interarmées aux réserves et les délégués aux réserves de chaque armée et service concerné, sans oublier la direction récemment créée pour le projet « Réserve 2019 ». Cette gouvernance multipolaire manque de lisibilité et, partant, elle nuit à la visibilité, à la bonne organisation et à la montée en puissance de la réserve.

Pour remédier à cette situation, nous proposons de créer une Inspection générale de la réserve militaire - une idée que j'ai défendue dès 2008, dans d'autres fonctions, mais sans succès. Ce service serait commandé, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, par un officier général de « bon rang », qui pourrait être assisté de deux adjoints, dont un gendarme et un réserviste. Il s'agirait ainsi de recréer, mais à l'échelon interarmées, la fonction d'inspecteur général de la mobilisation et des réserves qui existait au sein de chaque armée avant la loi du 22 octobre 1999.

L'inspecteur général et ses adjoints assumeraient le pilotage de la rénovation de la réserve désormais entreprise et assureraient une coordination renforcée entre les autres instances de gouvernance, les armées et les services concernés. Les personnes que nous avons auditionnées se sont montrées plutôt ouvertes à cette proposition, à condition qu'il ne s'agisse pas seulement d'affichage, mais que l'on mette en oeuvre une démarche cohérente. Ayant vocation à incarner la réserve à la fois au sein de l'appareil militaire, dans l'organisation administrative et sur le terrain médiatique, l'inspecteur général, à l'évidence, pourrait jouer un rôle très important de facilitateur de la montée en puissance de la réserve.

Encore conviendrait-il de bâtir une véritable gestion des ressources humaines de la réserve, qui fait encore largement défaut, et de simplifier les procédures administratives afférentes.

À cet égard, il s'agit d'abord de doter les armées d'un système de pilotage et de suivi de la réserve, notamment pour la programmation de l'emploi des réservistes opérationnels. En particulier, il est urgent de mettre en place un système d'information digne de ce nom ; on gagnerait sur ce plan à s'inspirer du système dont dispose la gendarmerie. Il faudra bien sûr veiller à la bonne conception de cet outil, très structurant par nature.

D'autre part, pour toutes les dimensions de l'emploi des réservistes opérationnels, il conviendra de rationaliser les procédures, notamment en les standardisant, en promouvant un formulaire unique et en recourant à la dématérialisation chaque fois qu'elle est possible.

Un chantier particulier de simplification est apparu au cours de nos auditions : celui des visites médicales d'aptitude, qui sont un moment important - moi qui ai été réserviste opérationnel pendant près de quarante ans, je puis en témoigner ! Nous recommandons en la matière une organisation qui permette aux volontaires de franchir rapidement l'étape, sans bien sûr que celle-ci soit négligée. Des exemples qui nous ont été décrits lors des auditions montrent qu'on peut faire bien, tout en réduisant les lenteurs actuelles. Nous appelons également à réexaminer la pertinence de la grille d'évaluation en vigueur en fonction des cibles de recrutement. En effet, pour l'heure, l'aptitude physique d'un ingénieur de l'armement retraité, candidat à la réserve de la DGA, est appréciée selon la même grille que celle de jeunes gens désireux de s'engager au service de l'armée de terre...

Une autre série de nos recommandations touche à l'effort nécessaire en direction des viviers de la réserve.

D'abord, et d'une manière générale, il convient de développer l'attractivité de la réserve, cet engagement pouvant rencontrer des freins nombreux et de tous ordres, notamment professionnels. La facilitation des relations avec l'employeur civil constitue d'ailleurs, d'après les sondages, la première demande des réservistes eux-mêmes, qui sont nombreux à être des « clandestins », ne déclarant pas leurs périodes d'activité militaire.

Actuellement, un accord avec l'employeur peut toujours aménager des dispositions plus favorables pour la réserve opérationnelle que le régime de base prévu par la loi. L'employeur est même incité par la loi à maintenir la rémunération de ses employés réservistes pendant leur absence pour formation militaire, vu qu'il peut l'intégrer dans sa participation obligatoire au financement de la formation professionnelle. Reste qu'il est sans doute possible d'aller plus loin.

Ainsi, nous recommandons l'instauration d'un dispositif permettant la conversion en droits à des heures supplémentaires de formation des activités accomplies au titre de la réserve militaire - à l'image de ce que prévoit le projet de loi « travail », mais avec une évaluation préalable que nous souhaitons plus aboutie. Nous préconisons aussi le rétablissement du crédit d'impôt qui a existé entre 2006 et 2011 pour les entreprises employant des salariés réservistes opérationnels.

Nous proposons également l'organisation d'une concertation en vue d'aboutir, pour les plus grands groupes et sociétés, à un relèvement du congé légal opposable par le salarié réserviste à son employeur. Ce congé devrait être porté à huit jours au moins, sinon à dix, contre cinq actuellement - hors meilleur arrangement toujours possible, car certains chefs d'entreprise sont très allants, conscients de l'intérêt qu'il y a pour leur entreprise à disposer de réservistes en son sein. On tiendrait ainsi compte de la moindre difficulté que rencontrent les grandes entreprises par rapport aux PME. Bien sûr, cette démarche n'est pas exclusive d'une concertation avec les PME en vue d'envisager tous les progrès possibles ; la situation au sein des PME tient beaucoup à coeur à ma collègue Gisèle Jourda comme à moi-même.

Enfin, nous invitons à la poursuite du développement des conventions de partenariat entre les entreprises et le ministère de la défense, par la sensibilisation des employeurs à la valeur immatérielle que les réservistes représentent pour leur entreprise.

Cette dernière préconisation vaut aussi, mutatis mutandis, à l'égard des établissements d'enseignement supérieur. À l'heure actuelle, seuls quatre de ces établissements ont signé avec le ministère de la défense une convention visant à promouvoir la réserve. Il convient d'intensifier la conclusion de tels partenariats, en sensibilisant les chefs d'établissement à la dimension formatrice de la réserve. Il faudrait également étendre cette politique à l'enseignement secondaire, en vue de recruter dans la réserve des lycéens. N'oublions pas que, traditionnellement, la préparation militaire commençait lors des dernières années du lycée.

Par ailleurs, pour faciliter l'engagement des étudiants, nous conseillons de promouvoir des dispositifs de validation des compétences et connaissances acquises dans la réserve au sein des formations supérieures. De même, il convient d'encourager les possibilités d'aménagements de scolarité au bénéfice des étudiants réservistes.

Pour renforcer les effectifs de la réserve opérationnelle, il conviendrait aussi de diversifier les recrutements, en ciblant trois catégories : les volontaires directement issus de la société civile, en priorité les jeunes gens, garçons et filles ; les demandeurs d'emploi, par définition relativement disponibles et, hélas, nombreux, auxquels une coopération entre les armées et Pôle Emploi, idée chère à notre collègue Jacques Gautier offrirait une expérience gratifiante et utile en vue de leur retour à la vie professionnelle, sans compter qu'elle pourrait jouer, le cas échéant, un rôle de « sas » pour de jeunes chômeurs ne remplissant pas immédiatement les critères pour s'engager dans l'active ; enfin, les travailleurs intérimaires.

Nous formulons aussi plusieurs propositions relatives à l'emploi des réservistes dans les armées.

D'abord, il convient de définir une doctrine d'emploi de la réserve opérationnelle de 1er niveau, qui déclinerait dans les contrats opérationnels des armées et leurs scénarios de crise les cas et les volumes d'emploi de réservistes. En particulier, la RO1 devra être prise en compte dans la nouvelle « posture de protection terrestre » de l'armée de terre.

Ensuite, il importe de rendre possible l'emploi de la ressource stratégique qu'est la réserve opérationnelle 2e niveau. La mise en place d'outils d'information adéquats devrait permettre de remédier à la situation actuelle que Gisèle Jourda a décrite, une situation de quasi « non-gestion », le cas échéant en ciblant, dans un premier temps, les anciens militaires ayant quitté l'institution depuis moins de deux ans, plus rapidement réemployables compte tenu de leur formation récente et de la validité conservée de leur certificat médical d'aptitude. La RO2 pourrait ainsi être intégrée aux schémas opérationnels.

Il faut aussi intégrer dans cette doctrine d'emploi la coordination avec la gendarmerie. Dans cette perspective, la multiplication des exercices et opérations faisant collaborer les différentes forces et réserves militaires paraît souhaitable, sur le modèle de l'expérimentation « Minerve » menée en avril dernier dans l'Isère. Cette capacité à travailler ensemble sera essentielle pour faire face aux menaces dont je parlais il y a quelques instants.

Nous sommes également soucieux d'optimiser la réserve citoyenne. À cette fin, nous proposons de mettre en place les éléments d'une coordination des activités de la réserve citoyenne. Un plan annuel de mobilisation de celle-ci serait élaboré par l'état-major des armées, puis les armées, localement, déclineraient ce plan en feuilles de route individualisées. Sur cette base, les réservistes citoyens rendraient compte à l'autorité militaire des objectifs qu'ils auraient pu atteindre. En outre, des kits d'information sur les enjeux de défense seraient mis au point et régulièrement actualisés, sous la responsabilité de l'état-major des armées, pour aider les réservistes citoyens dans leurs interventions au sein de la société civile et des différents réseaux où ces « amis de la défense » sont actifs.

Nous recommandons aussi de recentrer la réserve citoyenne sur sa vocation militaire, en l'employant exclusivement au bénéfice du rayonnement des armées et des besoins d'enseignement de défense dans la société civile. Il convient en effet d'éviter la confusion entre rôle militaire et rôle social, même si, bien sûr, ce dernier n'est pas sans intérêt.

Dans le même esprit, il convient d'encourager toutes les passerelles et synergies possibles entre la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne. Ce processus est d'ailleurs en cours dans le domaine de la cyberdéfense, où le réseau citoyen a préexisté à l'embryon de réserve opérationnelle qui est aujourd'hui en développement.

Par ailleurs, des précisions et clarifications seraient sans doute utiles en ce qui concerne le statut des réservistes citoyens, s'agissant notamment de la tenue vestimentaire et des grades, mais il faut veiller à maintenir, en la matière, les souplesses nécessaires.

Enfin, il faudra s'attacher à clarifier la relation de la réserve militaire avec les réserves civiles, quelque peu brouillée, notamment depuis la création, en mai 2015, de la réserve citoyenne de l'éducation nationale. L'articulation opérationnelle entre réserves militaires et réserves civiles reste assez abstraite en l'absence d'activation, à ce jour, du dispositif de réserve de sécurité nationale créé en 2011.

Ces développements me conduisent à la question de la « garde nationale », dont le Président de la République a émis l'idée en novembre 2015 sans en définir précisément le contenu, même si quelques explications ont été fournies ultérieurement, en dernier lieu par le ministre de la défense au mois de mars dernier.

En fait de « garde nationale », les modèles disponibles ne paraissent pouvoir inspirer que très faiblement une organisation de ce type dans la France d'aujourd'hui.

Du côté de l'histoire, force est de constater que l'expérience de notre pays dans ce domaine entre 1789 et 1871 a laissé dans la mémoire collective un souvenir plutôt contrasté. De fait, la Garde nationale a été tantôt magnifiée, tantôt discréditée du fait d'une action désordonnée ou sans nuance ; je pense en particulier à sa participation à l'épisode sanglant de la Commune de Paris, qui a entraîné la dissolution, en août 1871, de toutes les gardes nationales présentes dans les communes françaises, avant que la loi, l'année suivante, ne mette un terme à ce jour définitif à l'expérience.

Du côté de la géographie, les exemples de « gardes nationales » que l'on peut observer à travers le monde ne sont guère transposables dans notre pays, ou du moins ne répondraient pas à nos besoins. C'est le cas du premier modèle qui vient généralement à l'esprit : la National Guard des États-Unis, qui regroupe quelque 455 000 hommes formés, entraînés et équipés. Cette force sans commune mesure avec les moyens de la France s'avère en outre très fortement marquée par l'histoire et l'organisation constitutionnelles américaines. C'est aussi le cas de la réserve militaire suisse qui, bien qu'elle n'en porte pas le nom, constitue pour partie une « garde nationale » semblable au modèle américain, notamment dans la mesure où elle est liée à un système de type fédéral.

Rien n'est à puiser non plus du côté des gendarmeries que sont, en fait, les « gardes nationales » de la Tunisie et du Venezuela, entre autres. On ne pourra sans doute pas non plus trouver un modèle dans la toute récente « garde nationale » créée en Russie pour réorganiser les forces de l'intérieur du pays. Du reste, l'une des conclusions à laquelle aboutit l'étude sur l'organisation des réserves militaires de six États étrangers, élaborée à notre demande par le ministère de la défense et qui figurera en annexe de notre rapport écrit, est que les modèles, dans ce domaine, demeurent marqués par les cultures nationales.

En somme, si la France doit se doter d'une « garde nationale », c'est un schéma propre qu'elle doit adopter. Le champ des possibles est sans doute vaste, si l'on en juge par les diverses propositions de « garde nationale » qui ont été avancées, entres autres par le groupe de réflexion « Janus » en 2012 et, tout récemment, par notre collègue député Jacques Myard et l'Union-IHEDN.

Pour notre part, nous avons choisi de privilégier une approche à la fois réaliste et pragmatique. Dans cette optique, nous recommandons d'éviter deux écueils : d'une part, la tentation de créer une nouvelle armée - une « garde nationale » ne se conçoit qu'en appui aux armées, sous la chaîne de commandement militaire existante - et, d'autre part, une organisation trop complexe, qui serait impraticable.

Gisèle Jourda et moi-même sommes ainsi parvenus à la conviction que, en l'état des menaces qui pèsent sur notre pays et de notre outil de défense, compte tenu en particulier de l'implantation inégale des forces sur le territoire, la « garde nationale » dont nous avons besoin est celle que l'on constituerait à partir d'une réserve militaire rénovée, notamment, par sa territorialisation. Tel est le sens que nous souhaitons donner à la proposition esquissée par le Président de la République et le ministre de la défense.

Le plus urgent est de disposer, avec une réserve redimensionnée, d'un surcroît de forces qui permette à l'armée active de se concentrer sur ses missions et de maintenir son activité dans les limites que déterminent ses contrats opérationnels. La réserve de demain devra contribuer à la définition d'un format d'armée qui soit au niveau des besoins de notre défense, en passant d'un statut de complément de l'armée active à celui de force opérationnelle principalement dédiée à la protection du territoire national. À moyen terme, une régénération en profondeur de la réserve fondée sur la territorialisation et les autres orientations que nous préconisons contribuera à garantir la capacité de notre outil militaire à répondre, au plus vite et partout, aux différentes crises susceptibles de survenir.

Telle est, mes chers collègues, la « garde nationale » dont nous souhaitons la mise en place, fondée sur une réserve militaire plus forte et territorialisée.

Reste la question du nom à donner au futur dispositif. J'ai rappelé les souvenirs négatifs associés à celui de « Garde nationale », qui évoque aussi, cependant, des souvenirs positifs. Faudrait-il lui préférer celui de « garde territoriale », ou celui de « défense opérationnelle du territoire », qui a déjà existé ?

Sans vouloir trancher cette question de sémantique, observons que le souvenir glorieux de La Fayette, créateur de la première Garde nationale, et l'image de la Nation armée, issue de la Révolution, ne sont pas de mauvais atouts pour susciter les engagements. À cet égard, l'intitulé de « Garde nationale » pourrait avantageusement remplacer le terme de « réserve », que Jaurès qualifiait de « nom de second plan ». Ce changement d'appellation serait justifié, dès lors que la réserve, d'un simple réservoir de forces, deviendrait un outil de défense à part entière.

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