Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 juillet 2016 à 10h05
Nomination d'un rapporteur

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, coprésident du groupe de travail « Bilan des opérations extérieures » :

Monsieur le Président, mes chers collègues, si nous sommes deux à prendre la parole ce matin, je tiens à signaler que les quatre autres membres du groupe de travail ont également beaucoup travaillé. M. Reiner vous ayant exposé notre constat, je vous présenterai nos propositions, qui, pour les unes, peuvent être mises en oeuvre par la France et, pour les autres, supposent des accords internationaux ou des pressions diplomatiques.

Nos propositions s'ordonnent en neuf catégories, dont les trois premières concernent le niveau français.

Premièrement, nous proposons une remontée en puissance des contrats opérationnels, qui ont été dépassés. Nos forces sont à bout et nos matériels s'usent. L'opération « Sentinelle » ne fait qu'aggraver la situation, nos troupes n'ayant pas le temps de se régénérer et de se préparer. La révision du format et du budget, déjà engagée par le Président de la République, doit donc être poursuivie. Le Président de la République élu l'année prochaine, quel qu'il soit, devra donner à la défense les moyens de nos ambitions. De ce point de vue, nous plaidons, une fois encore, pour que le budget des armées tende vers la norme OTAN de 2 % du PIB dans les années qui viennent.

Deuxièmement, il faut que les décisions prises ces derniers mois se traduisent dès la loi de finances initiale pour 2017. Un contrôle parlementaire très sérieux devra être mené à cet égard. Il faudra nous montrer vigilants, car Bercy a toujours tendance à vouloir revenir sur ce qui a été décidé !

Troisièmement, il faut améliorer le maintien en condition opérationnelle de nos matériels, dont l'usure est plus forte encore en OPEX. Les systèmes de gestion des parcs et de renouvellement des pièces de rechange doivent être modernisés. La France accuse en matière logistique un retard qu'il est nécessaire de combler, notamment en misant sur la numérisation et en établissant des liens plus directs avec les industriels.

Notre quatrième série de propositions se rapporte aux Nations unies. De manière fort diplomatique, M. Reiner a expliqué que nous n'étions pas particulièrement satisfaits de ce qui se passe à ce niveau.

Nous intervenons souvent en premier, seuls ou dans le cadre d'une coalition, pour sauver des vies ou restaurer la sécurité. Nous devons pouvoir, dans un second temps, passer la main à un partenaire capable de mener à bien un travail de stabilisation qui peut être long. On parle à cet égard de bridging operations : nous portons le glaive pour amorcer la stabilisation, avant de passer le relais pour un travail de longue durée.

Pour que cette transmission soit réussie, plusieurs conditions doivent être réunies qui, hélas, ne le sont généralement pas.

D'abord, la capacité opérationnelle des forces des Nations unies ne correspond pas à la réalité des menaces et de l'action qui doit être menée. En effet, on déploie des forces de maintien de la paix dans des zones où la paix n'est pas assurée ; elles sont nécessairement inadaptées aux nécessités du terrain. C'est pourquoi nous proposons d'adapter le mandat des forces des Nations unies en élargissant les possibilités qu'elles ont de mener des actions offensives contre des groupes armés irréguliers. Le mandat de la mission des Nations unies au Mali vient d'être durci, alors que c'est le contraire qui aurait dû se produire : il faut appliquer un mandat dur au départ, puis l'assouplir à mesure que la stabilisation progresse. Les Nations unies font les choses à l'envers, ce qui peut mettre en danger les Casques bleus. Un effort de conviction doit être mené à cet égard vis-à-vis des Nations unies, notamment des membres du Conseil de sécurité.

Ensuite, il faut que les forces onusiennes soient plus robustes et plus efficaces. Le secrétaire général des Nations unies a le projet d'une force permanente de quinze mille hommes. Nous préconisons, nous, au sein de cette force permanente, une force d'intervention rapide permanente de deux mille hommes susceptibles d'être déployés en quelques jours, avec leur équipement, dans une zone en crise. Aujourd'hui, il faut au moins une année aux Nations unies pour se déployer sur un terrain en effectifs pleins, alors qu'il faut agir sans délai !

Les forces des Nations unies sont également trop disparates et mal préparées. On sait bien que, pour certains pays, les missions onusiennes servent à payer les forces armées... Mais ce n'est pas comme cela que l'ONU disposera de forces efficaces et capables de faire respecter leur mandat. Il nous semble qu'il faut identifier, dès avant les conférences de génération de forces, les unités nationales susceptibles d'apporter de la puissance aux forces des Nations unies.

L'ONU doit aussi assurer à ses forces une préparation opérationnelle, en instaurant des cycles de formation. On ne peut pas envoyer sur le terrain des soldats qui n'ont aucune expérience d'un conflit dur ! Cette formation devrait être financée via un fonds spécifique des Nations unies.

Enfin, il convient d'améliorer le lien entre les forces onusiennes déployées et les forces de coercition comme les nôtres. Il est dommage de ne pas mener davantage d'opérations mixtes, alors que les troupes de l'ONU auraient beaucoup à apprendre de nos militaires, notamment sur le plan de l'approche du terrain - je pense en particulier à la capacité de nos soldats à dialoguer avec les populations. De fait, ces troupes tendent souvent à se bunkériser, au point de ressembler davantage à une armée d'occupation qu'à une force au service du développement. À ce sujet, une refonte complète de la pensée est nécessaire.

Notre cinquième proposition concerne l'Europe. Alors que, à cette échelle, nous pourrions disposer de troupes de bon niveau susceptibles d'être projetées, nous voyons bien que, chaque fois qu'on demande à l'Europe de se déployer, le processus est laborieux. Les battle groups doivent être utilisés pour mener des opérations de stabilisation, étant entendu que, si nous voulons mener une action coordonnée, les contingents nationaux ne doivent pas être inférieurs à la compagnie.

La sixième de nos propositions, qui porte aussi sur l'Europe, plaît davantage à nos partenaires qui n'ont pas forcément envie d'opérations durcies. Il s'agit d'améliorer la formation dispensée aux forces étrangères, s'agissant en particulier de la formation au combat. En ce qui concerne la mission EUTM Mali, il faut adopter une vision régionale, en s'ouvrant aux forces armées de l'ensemble du G5 Sahel. Il faut également permettre aux instructeurs européens d'accompagner sur le terrain les troupes qu'ils forment, en liaison avec Barkhane. Des missions mixtes Barkhane-forces locales doivent être menées dans le même esprit. L'Europe doit aussi financer l'équipement, au moins rudimentaire, des militaires qu'elle forme. Songez que, aujourd'hui, elle refuse de financer même les équipements nécessaires à la formation.

En République centrafricaine, il faut qu'EUTM et les Nations unies fassent lever l'embargo dont sont frappées les forces armées de Centrafrique, les FACA. On forme des soldats, mais on n'a pas le droit de les armer ! On ne peut pas continuer ainsi : soit on agit en se donnant les moyens d'être efficace, soit on n'agit pas. Des patrouilles mixtes MINUSCA-FACA doivent être mises sur pied.

Notre septième proposition est la plus importante, du point de vue non seulement français, mais aussi européen et international : il importe de concevoir une approche globale coordonnée pour la résolution des crises.

Comme le chef d'état-major des armées le rappelle volontiers, l'intervention militaire ne règle pas les problèmes, mais elle a un effet de levier. Pour qu'elle porte pleinement ses fruits, elle doit être intégrée à une approche plus large, qui permette d'agir sur les causes profondes de la violence. Le volet civil doit donc être développé, en prévention, en accompagnement et en prolongement des interventions armées. Nous regrettons que le Quai d'Orsay ne dispose pas actuellement dans ce domaine de moyens suffisants de veille, de planification et d'anticipation, même s'il travaille à s'améliorer.

Nous proposons d'élaborer une approche globale coordonnée au niveau français, avant d'essayer de la promouvoir en Europe et dans le monde. Plus précisément, un conseiller chargé des affaires stratégiques, à la présidence de la République, devrait veiller à la présentation d'un volet « approche globale » à chaque stade de décision du Conseil de défense et de sécurité nationale. Il nous semble que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale est l'acteur légitime pour conduire la politique interministérielle en matière d'approche globale. Nous proposons qu'il s'appuie sur un bras armé : un représentant spécial par théâtre d'opérations, qui serait en mesure d'imposer aux divers ministères concernés la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de l'approche globale. Par exemple, si l'on mène une action de type économique, il est évident qu'il faut la protéger. Le représentant spécial, responsable d'un théâtre d'opérations, serait le patron capable de garantir la cohérence d'ensemble de l'action entreprise.

Il nous semble également nécessaire de renforcer les moyens budgétaires alloués à l'accompagnement des opérations extérieures et de la post-crise. Une opération extérieure coûte cher : si l'on est obligé d'y revenir après dix ans, parce que la phase post-militaire a été mal gérée, le coût est beaucoup plus élevé encore !

Il faut aussi augmenter les moyens de l'action civilo-militaire dans les budgets des opérations extérieures. Vous devez savoir que le patron de Barkhane dispose de 300 000 euros pour faire du civilo-militaire, pour un territoire grand comme l'Europe ! Pour valoriser une intervention militaire, il faut pouvoir réaliser tout de suite de petits travaux bénéfiques pour une famille, une tribu ou un village.

Par ailleurs, nous conseillons de recentrer l'assistance et l'aide au développement sur les États fragiles et les États faillis. De mémoire, l'Agence française de développement, l'AFD, ne dispose que de 230 millions d'euros par à répartir entre les 16 pays pauvres prioritaires, soit une quinzaine de millions en moyenne par pays. Il faut investir bien davantage, pour éviter d'avoir à y revenir ! Nous reprenons à notre compte la proposition de nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret consistant à instaurer une facilité de prévention et de sortie de crise gérée par l'AFD. Nous estimons aussi qu'un tiers à la moitié de l'abondement annoncé de 370 millions d'euros des crédits de l'aide au développement devrait être alloué à la gestion post-crise. Il nous paraît également nécessaire d'agir au plan international pour que les bailleurs internationaux reconnaissent que les États fragiles et les États faillis doivent être prioritaires.

J'ai parlé ce matin, de façon caricaturale, d'un « plan Marshall pour la Tunisie ». Nous ne sommes pas militairement présents dans ce pays, même si nous l'accompagnons. L'Europe doit l'aider, notamment en investissant dans son économie, qui est sinistrée, car ce serait un échec s'il venait à exploser !

Enfin, il convient d'évaluer financièrement les dépenses réalisées et d'étudier la possibilité d'un financement interministériel du volet civilo-militaire des OPEX.

Voilà qui me conduit à notre huitième proposition : sécuriser le financement interministériel des OPEX. En particulier, la nomenclature des dépenses prises en charge au titre des surcoûts OPEX devrait inclure certains coûts dérivés, comme ceux liés à l'usure prématurée et à la destruction des matériels. Je pense aussi aux coûts liés aux conséquences humaines de nos opérations. Actuellement, le ministère de la défense supporte seul les coûts spécifiques engagés au titre de l'action sociale. Ces dépenses ne devraient-elles pas être comprises dans l'enveloppe OPEX ?

Notre neuvième série de propositions se rapporte au contrôle parlementaire. Si la Constitution révisée en 2008 permet un contrôle accru et que les ministres comme les chefs militaires jouent parfaitement le jeu, ce qui nous garantit une information maximale, certains progrès sont encore possibles. Ainsi, il convient d'appliquer l'article 4 de la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019, qui prévoit un débat annuel sur les OPEX. Il faut aussi que nous, parlementaires, mettions au point une méthodologie plus systématique d'évaluation et de contrôle des opérations extérieures ; nous pourrions aussi désigner un rapporteur permanent, ou plusieurs, qui mèneraient ce travail dans la durée. Peut-être aussi faudrait-il prévoir un rendez-vous parlementaire à des échéances régulières, après celle de quatre mois prévue par la Constitution. Les opérations extérieures sont une responsabilité et entraînent des coûts ; le Parlement ne peut pas en être tenu à l'écart !

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