Je partage tout à fait ce que vient de dire Daniel Reiner à propos de la Libye. J'ajoute que l'on a fait plusieurs propositions à Kadhafi pour cesser les combats. Il les a toujours refusées, d'où le soutien aérien de la coalition aux révolutionnaires. La Libye est un État souverain, le gouvernement légitime de transition nous a dit que notre travail était terminé ; nous n'avons pas à nous substituer à la décision d'un État souverain.
Le représentant spécial doit pouvoir travailler avec nos alliés, le gouvernement local, les forces armées, les Européens, les Nations unies. Il doit donc avoir un poids politique. Pierre Lellouche a été pendant un temps représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan, et il a eu un pouvoir reconnu pendant quelques mois. Il faut quelqu'un qui ait un poids politique, reconnu au niveau national et international, et qui réponde directement à l'exécutif et au Parlement.
Je reviens sur la question du statut de la marine. Son action est définie en jours de mer et, quand on a défini une zone dans le cadre de l'opération Harmattan, les bâtiments se trouvant dans cette zone ont eu droit au statut d'OPEX, mais pas les ravitailleurs. Cela a posé des problèmes à la marine, qui, par définition, même s'il y a des commandos ou des avions embarqués, n'est pas engagée au fin fond du Sahel ou de l'Irak.
Cela dit, un porte-avions est avant tout un vecteur de puissance et de reconnaissance internationale. Nous sommes les seuls en Occident, avec les États-Unis, à pouvoir déployer un porte-avions et non seulement un porte-aéronefs. En revanche, son effet opérationnel est limité dans le temps et il est complémentaire d'autres forces. Les rapports opérationnels des frappes montrent effectivement que ce sont surtout les Mirage 2000 de la base en Jordanie qui font la plupart des frappes parce qu'ils sont situés près de la frontière syrienne et qu'ils n'ont pas besoin de ravitaillement en profondeur, sauf quand ils survolent Mossoul ou le Kurdistan. Quand on part du Golfe arabo-persique ou de notre base Al Dhafra aux Émirats arabes unis, le ravitaillement est nécessaire et il entraîne une perte de temps et d'efficacité ainsi qu'un surcoût. Une base située à proximité reste donc la meilleure solution, mais cela n'enlève rien au rôle de la marine pour assurer notre statut de puissance.
Vous avez senti que nous sommes critiques à l'égard des Européens - moins toutefois qu'à l'égard des Nations unies - mais il faut préciser que les Européens nous aident lors de nos interventions. Nous ne sommes pas seuls, en matière de ravitaillement en vol ou encore de transport stratégique et tactique ; nos alliés sont là.
Je veux ajouter un mot sur les difficultés à convaincre les Européens et l'OTAN de travailler avec nous. Le flanc sud de l'Europe a bien été évoqué à Varsovie, mais dans le cadre d'une politique à 360 degrés, comprenant la frontière orientale, le sud-est, le sud et l'ouest - avec les sous-marins russes qui gesticulent en Atlantique. L'OTAN a bien réaffirmé cette vision d'ensemble, que l'Europe partage.
Néanmoins, nous, Français, ne devons pas être obnubilés par le flanc sud, nous devons être capables de montrer à tous nos alliés européens du nord et de l'est que nous comprenons leurs inquiétudes. Pour un Balte, un Polonais ou un Allemand de l'est, la crainte vient toujours de l'est, de la Russie, non de Daech, même s'il a peut-être tort à long terme. Ces pays ont vécu l'occupation et la France doit être capable de montrer à ses partenaires qu'elle intervient aussi à côté d'eux.
Par exemple, il a été décidé à Varsovie que quatre bataillons seraient déployés dans chacun des pays baltes et en Pologne, avec un système de rotation. La France n'a pas été capable d'être nation-cadre, à la différence des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de l'Italie. Je le regrette. On a proposé une compagnie, je suis persuadé que l'on aurait pu faire un effort supplémentaire pour montrer aux Européens que l'on comprend leurs inquiétudes. Nous ne devons pas seulement demander de l'aide pour agir au sud, mais aussi montrer que l'on est aux côtés de nos alliés à l'est.
Toutefois, l'Europe vient tout juste d'étudier la possibilité de fournir le matériel non létal pour la formation ; elle doit aller plus loin. Le rapport de Mme Federica Mogherini relève plus de la réflexion sur la sécurité d'une belle ONG que de la réalité. L'Europe n'a pas envie d'agir militairement, de façon éventuellement coercitive, sur des théâtres extérieurs. Nous sommes la seule puissance, avec le Royaume-Uni, à avoir cette histoire, cette tradition, cette capacité. Nous avons en outre la chance d'avoir une Constitution qui nous le permette, grâce à cette boucle courte.
Certaines de nos recommandations sont relativement faciles à mettre en oeuvre. Je crois que le budget pour 2017 permettra d'avancer, vu les échanges que nous avons avec le ministère de la défense. L'effort sera donc fait pour le début de l'année 2017.
Nous devons par ailleurs tous sensibiliser les candidats à l'élection présidentielle à la nécessité de consacrer un effort durable à la défense. L'objectif est d'atteindre 2 % du budget, qui n'est pas un but en soi, mais parce que nous avons besoin de ce niveau. Par ailleurs, les effectifs sont une chose, mais les équipements, la logistique et le reste importent également.
Sans revenir au débat précédent sur la garde nationale, ces enjeux sont essentiels pour notre pays et nous pouvons y répondre s'il y a une volonté politique. Ensuite, il faudra convaincre les Européens et les Nations unies. Notre rapport titillera, je crois, les responsables européens et onusiens car, nous le savons, même s'ils ne sont pas très lus en France, nos rapports sont abondamment lus dans les pays étrangers. Nous avons semé ; espérons que les graines écloront demain.