Intervention de Emmanuelle Cosse

Commission spéciale Egalité et citoyenneté — Réunion du 12 juillet 2016 à 14h35
Audition de Mme Emmanuelle Cosse ministre du logement et de l'habitat durable

Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable :

Je suis ravie de venir vous présenter aujourd'hui le projet de loi « Égalité et citoyenneté » tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale. Je vous remercie pour votre implication, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce texte important, qui porte sur des sujets extrêmement différents, faisant appel à des compétences variées.

Ce projet de loi n'est pas un texte sur le logement, même s'il comporte un important volet sur ce sujet. Il porte davantage sur la question de la mixité sociale dans l'habitat. C'est la première fois que le Parlement est amené à discuter de mixité sociale, du peuplement de nos quartiers, et de la ségrégation territoriale résultant des politiques de logement. Ce texte a suscité à l'Assemblée nationale des débats très longs et très intéressants, dépassant les clivages politiques caricaturaux.

Il s'inscrit dans le droit fil des textes que vous avez eus à étudier ces dernières années, la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », et la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. Il est la suite de la mise en oeuvre de la loi SRU. Il améliore les dispositifs de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite « loi MOLLE ». Il s'agit de donner aux collectivités les moyens de bien travailler sur ces questions.

Les objectifs de mixité sociale font l'objet des trois chapitres du titre II. Ils portent sur les attributions de logements sociaux, prévoient pour les bailleurs sociaux la possibilité de mettre en place une nouvelle politique de loyers et renforcent les dispositions de la loi SRU en termes de production de logements.

Il est vrai qu'on a beaucoup travaillé en matière de politique de logement sur les questions de production. Aujourd'hui, il s'agit plutôt de s'intéresser aux usages et au peuplement afin de répondre aux problèmes de mixité sociale.

La première grande mesure du texte résulte des travaux menés lors des trois comités interministériels à l'égalité et à la citoyenneté sur les attributions de logements sociaux. Lors du deuxième comité, il a beaucoup été question de la concentration de la pauvreté dans certains territoires. Dès lors, nous nous sommes demandé comment mieux lutter contre la pauvreté d'une part et faire en sorte qu'elle ne soit pas aussi concentrée d'autre part. Nous proposons donc que 25 % des logements sociaux soient attribués aux ménages du premier quartile, ceux ayant les revenus les plus faibles, hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, soit une attribution sur quatre. Il s'agit de réinstaurer un équilibre hors de ces quartiers.

À l'échelon national, 19 % des logements sont attribués aux ménages du premier quartile hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans certains territoires, ce taux est de 5 %, ce qui signifie, a contrario, que 90 % des logements attribués aux ménages du premier quartile le sont dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cela étant dit, dans certaines collectivités, ce taux est de 30 %. Les réalités territoriales sont donc très différentes.

Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, nous avons modifié le texte afin de confier à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), par le biais de la conférence intercommunale du logement, le soin de travailler sur ce pourcentage d'attribution et de discuter de la politique de peuplement.

Un principe simple a été fixé : le taux d'attribution sera de 25 %, mais une adaptation sera possible à l'échelon local en cas d'accord entre la conférence intercommunale du logement, le président de l'EPCI et le préfet. Le taux pourra être révisé tous les trois ans.

La question s'est ensuite posée de savoir s'il était possible de limiter l'entrée de certains ménages dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Sur ce sujet, j'étais en désaccord avec les députés. Je partage le constat que, par facilité, les attributions de logements sociaux, y compris aux ménages les plus en difficulté, sont parfois concentrées dans ces quartiers.

L'Assemblée nationale a proposé de plafonner les attributions aux ménages prioritaires ou aux demandeurs bénéficiant du droit au logement opposable à 50 % dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Je m'y suis opposée, car, s'il me semblait possible de défendre l'ouverture d'autres quartiers, il me paraissait compliqué d'expliquer à des ménages en difficulté que, une fois ce quota atteint, ils ne pourraient plus se voir attribuer un logement social. Je rappelle que la loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale dit des choses très fortes sur cette question. Enfin, quel signe enverrions-nous aux ménages reconnus comme étant prioritaires pour l'attribution d'un logement - c'est le cas des bénéficiaires du droit au logement opposable - si nous leur disions que leur droit à un accès prioritaire peut être limité ?

Les débats à l'Assemblée nationale ont fait apparaître que le problème est en fait l'absence de discussion locale sur cette question entre maires, membres de l'EPCI, réservataires, bailleurs sociaux et préfets. Nous sommes donc parvenus à un compromis pour éviter un plafonnement. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, une commission réunissant réservataires, bailleurs et élus sera chargée de se mettre d'accord sur les candidats à désigner.

Le travail des conférences intercommunales sera d'attribuer des logements sociaux à un certain pourcentage de jeunes actifs, d'étudiants, de familles et de salariés afin d'attirer de nouveaux publics dans les quartiers. La mixité sociale, c'est placer des familles différentes dans les logements sociaux. La conférence intercommunale fixera des objectifs de relogement des publics n'appartenant pas au premier quartile.

Nous avons ensuite eu un long débat sur la liste des publics prioritaires. J'ai très clairement fait part de ma volonté de ne pas l'allonger, les publics concernés étant déjà importants. Ces personnes sont dans des situations assez extrêmes qui justifient un relogement. Certains, souvent avec de très bonnes raisons, ont souhaité intégrer dans cette liste de nombreuses catégories de personnes. Or plus le nombre de gens à reloger augmente, moins ils sont prioritaires.

J'ai repoussé des amendements visant par exemple à intégrer les jeunes dans cette liste. Si je ne mésestime pas les difficultés que rencontrent les jeunes pour se loger, je ne pense pas que l'âge soit un critère de priorité. Sinon, on pourrait considérer que les retraités sont également un public prioritaire. Les critères de priorité sont les situations d'urgence, de grande précarité sociale.

Nous devons être prudents si nous voulons atteindre nos objectifs. Je rappelle que les obligations de relogement des publics prioritaires et des DALO sont très fortes.

J'en viens maintenant à la politique des loyers.

Les bailleurs sociaux pourront, à masse de loyers constante, modifier la territorialisation de certains logements et s'extraire des règles de financement d'origine des immeubles sociaux. En clair, ils pourront transformer un PLAI - prêt locatif aidé d'intégration - en PLUS - prêt locatif à usage social - ou en PLS - prêt locatif social - ou un PLS en PLUS ou en PLAI, et ce, j'y insiste, à masse de loyers constante. Il s'agit d'une possibilité qui est offerte aux bailleurs, mais en aucun cas il ne s'agit d'une obligation. Elle leur permettra de remettre de la mixité dans des blocs d'immeubles où il n'y en a pas.

La question des surloyers nous a beaucoup occupés. Notre volonté était de renforcer le surloyer, sachant cependant qu'une application trop stricte du surloyer est trop rapide et trop dure pour des personnes dont le salaire a évolué sans pour autant que leur situation soit très confortable.

Il a été décidé de ne pas modifier une bonne partie des conditions d'application du surloyer. La somme du loyer et du surloyer ne pourra pas dépasser 30 % des ressources du ménage. La perte du droit au maintien dans les lieux, qui était le sujet le plus important, visera les ménages dont les ressources dépassent de 150 % les plafonds PLS. Cela redonnera de la marge aux gens en PLAI. Ces locataires, dont les ressources sont très faibles, peuvent se voir un jour appliquer le surloyer à la suite d'une évolution professionnelle positive alors que leurs revenus restent assez bas. Par comparaison, à Paris, un locataire en PLS dont les ressources dépassent de 200 % le plafond gagne plus de 5 000 euros net mensuels. Le surloyer, qui concerne entre 4 000 et 5 000 locataires des logements sociaux, est donc plus durement appliqué aux locataires dont les revenus sont les plus faibles. Telle est la raison pour laquelle nous avons accepté de modifier les surloyers.

Pour finir, le projet de loi renforce les dispositions de la loi SRU. La loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social avait déjà fait évoluer les dispositions de la loi SRU.

L'étude d'impact a montré que, si toutes les communes déficitaires et carencées produisaient d'ici à 2025 les logements qu'elles sont tenues de produire, ce sont entre 700 000 et 750 000 logements qui seraient construits, ce qui n'est pas rien. Le texte prévoit donc de donner à l'État des moyens supplémentaires de faire appliquer la loi, notamment dans les communes carencées.

L'Assemblée nationale a adopté la suppression de la dotation de solidarité urbaine pour les communes carencées, bien que je l'aie alertée sur les conséquences très importantes d'une telle mesure d'un point de vue financier.

Enfin, le texte prévoit des mesures de simplification, dont certaines seront prises par voie d'ordonnances.

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