Intervention de Jean-Claude Lenoir

Commission spéciale Egalité et citoyenneté — Réunion du 27 juillet 2016 à 10h00
Audition du général gaëtan poncelin de raucourt directeur du projet réserve du ministère de la défense

Photo de Jean-Claude LenoirJean-Claude Lenoir, président :

Mes chers collègues, notre emploi du temps a été quelque peu contrarié en raison des changements intervenus la semaine dernière dans l'ordre du jour de la séance publique. Nous avons donc été conduits à organiser aujourd'hui une journée de travaux en fonction des disponibilités de M. Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. J'ai souhaité que les auditions des différents ministères aient lieu avant le départ en vacances et, surtout, avant l'examen des amendements prévu en septembre, puisque nos travaux reprendront quinze jours avant l'ouverture de la session extraordinaire.

Nous accueillons ce matin le général Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. Mon général, vous êtes au coeur des politiques publiques qui font l'objet du projet de loi « Égalité et citoyenneté », même si ce dernier ne traite pas de questions militaires au sens opérationnel du terme. C'est pourquoi certains d'entre nous ont émis l'idée de cette audition et je vous remercie d'avoir accepté de venir dans des délais aussi brefs.

Nous recevrons M. Patrick Kanner cet après-midi. Il nous redira que ce projet de loi vise à favoriser l'engagement des jeunes dans la citoyenneté et l'engagement des citoyens au service de la Nation. Ces sujets sont d'une cruelle actualité.

Depuis les attentats de janvier 2015, nous assistons à une montée des vocations en faveur des métiers de protection de la Nation, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, et, après l'attentat de Nice, le Gouvernement a appelé à l'engagement dans la réserve de la défense nationale. Comment faire en sorte que cet engouement ne soit pas uniquement passager ? Que faire de tous les jeunes contrariés dans leur souhait, faute d'être aptes à exercer ces activités exigeantes ?

Le projet de loi crée une réserve citoyenne. Une partie de cette réserve sera constituée de la réserve militaire non opérationnelle. Vous nous direz comment vous envisagez son articulation avec la réserve de la sécurité civile et avec celle de l'éducation nationale. Vous pourrez peut-être aussi nous dire un mot du développement du service civique, dans lequel on voit de plus en plus un substitut civil à l'ancien service national, pour ce qui est du rôle que ce dernier jouait dans la cohésion de la société. Notre collègue Françoise Gatel, plus particulièrement chargée du volet du projet de loi consacré à ces questions, ne peut malheureusement pas être présente ce matin, en raison d'engagements antérieurs qu'elle n'a pu modifier. Elle a toutefois préparé une série de questions que je porterai à votre connaissance tout à l'heure. Je passerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues.

Sans plus attendre, je vous donne la parole, mon général.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. - Je suis très honoré et très heureux d'avoir été convié à présenter les réserves des armées et à vous faire part de quelques réflexions au sujet du projet de loi « Égalité et citoyenneté » auquel est consacré votre commission spéciale. Je suis très heureux, parce que j'estime que les réserves sont, pour nous, militaires, un sujet stratégique d'un double point de vue sécuritaire, mais aussi sociétal.

Le sujet des réserves, qui n'était plus un sujet avant les attentats de janvier 2015, est aujourd'hui très souvent évoqué, en particulier depuis le 15 juillet dernier, mais il l'est parfois de manière un peu confuse, tant la multitude des dispositifs existants, ainsi que les initiatives prises au nom de la réserve citoyenne par l'ensemble de la société civile et reprises dans le projet de loi précité, brouillent les pistes.

Permettez-moi donc un bref rappel de ce que représentent les réserves militaires et leurs différentes déclinaisons au sein du seul ministère de la Défense - je n'évoquerai qu'à titre de comparaison les réserves de la gendarmerie.

Les réserves militaires sont globalement constituées de l'ensemble des citoyens qui consacrent une partie de leur temps à la défense de la Nation. Dans les faits, ce modèle, hérité de la professionnalisation, est régi par les lois du 22 octobre 1999, du 18 avril 2006 et du 28 juillet 2015 portant actualisation de la loi de programmation militaire. Il repose sur trois types de réserves.

Première composante, la réserve opérationnelle de premier niveau, dite RO1, comptait 28 000 volontaires à la fin de 2015 - à titre de comparaison, la réserve de la gendarmerie est forte de 24 000 volontaires -, issus à 48 % de la société civile - contre 70 % pour la gendarmerie. Depuis le 1er janvier 2016, il est à noter que 66 % des recrues de la réserve de l'armée de terre sont issues de la société civile : on constate donc un effort d'ouverture dans cette direction. La moyenne d'âge des réservistes est de 36 ans et le taux de féminisation s'établit à 18 % au 30 juin 2016. Ces réservistes reçoivent une formation et un entraînement spécifiques afin d'apporter un renfort temporaire de quelques dizaines de jours par an aux forces armées et formations rattachées : en 2014, il s'agissait de 24 jours d'activité par réserviste ; en 2015, cette durée s'élevait à 28 jours - l'augmentation est donc significative. En 2016, selon les prévisions, les réservistes du commandement des forces terrestres - c'est-à-dire les réservistes opérationnels « combattants » - pourraient voir leur durée moyenne d'activité s'établir à 36 jours. Ces chiffres suffisent à rendre compte de l'effort consenti par nos réservistes.

Quel que soit leur statut dans le secteur civil, ces réservistes opérationnels servent, selon leurs compétences et leur spécialité, dans le domaine opérationnel ou dans le domaine du soutien, en unités, dans les états-majors, les établissements ou les administrations centrales, sur le territoire national ou sur les théâtres d'opérations extérieurs, et se voient confier les mêmes missions que les militaires d'active. C'est un point important : aujourd'hui, les effectifs déployés dans le cadre du plan Sentinelle associent réservistes et militaires d'active.

La réserve opérationnelle permet ainsi de faire face à la simultanéité des opérations et d'accroître la capacité des forces à durer en renforçant les unités d'active, en particulier lors des pics d'activité. Nous en connaissons un aujourd'hui, avec le maintien à 10 000 hommes de l'opération Sentinelle pour les semaines et les mois à venir, mais aussi en raison des nécessités liées à la protection et à la défense de nos propres infrastructures. Elle constitue également un « vivier de compétences », en faisant bénéficier les armées de l'expertise et de l'expérience de réservistes dans des spécialités professionnelles rares ou particulièrement recherchées - risques environnementaux, expertise juridique, infrastructures, communications, armement, etc.

En moyenne, pour les armées hors gendarmerie, 2 200 réservistes sont quotidiennement en activité. Les réservistes opérationnels sont employés sur toute la palette des activités des armées. La part des opérations intérieures, actuellement sous les feux de la rampe, est passée de 6 % en 2014 à 13 % en 2015 ; elle devrait nettement augmenter en 2016, compte tenu de l'augmentation du volume d'engagement des réservistes opérationnels.

Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité à cette RO1 l'extension de ses missions sur le territoire national. Actuellement, au moins 700 réservistes des armées sont engagés chaque jour sur le territoire national, dans le cadre de la mission de protection, ce qui représente pour la période de juillet-août entre 5 000 et 7 000 réservistes, c'est-à-dire la quasi-totalité des réservistes présents dans les unités opérationnelles, compte tenu des contraintes liées à la nécessité d'assurer la relève, les réservistes intervenant pour des périodes variant de huit jours à quinze jours.

Deuxième composante, la réserve opérationnelle de deuxième niveau, dite RO2, ou réserve de disponibilité, regroupe, sous un régime de contrainte, tous les anciens militaires issus de l'armée active dans la limite des cinq années suivant la cessation de leur état militaire. Je serai donc assez bref sur ce point, puisqu'il ne correspond pas à l'objet de votre commission spéciale, dans la mesure où il ne s'agit plus de volontariat.

Cette réserve comprend environ 97 800 anciens militaires. Le rappel de cette catégorie de réservistes n'est actuellement envisageable que par la mobilisation ou dans des circonstances exceptionnelles prévues par la loi de 2011 sur la réserve de sécurité nationale. Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité la rénovation de cette réserve pour en assurer une mobilisation rapide.

Troisième composante, qui vous intéresse plus particulièrement, la réserve citoyenne regroupe des volontaires agréés, à titre temporaire, par l'autorité militaire en raison de leurs compétences, de leurs expériences ou de leur intérêt pour les questions relevant de la défense nationale. Constituée d'environ 2 800 collaborateurs bénévoles du service public - à titre de comparaison, ils sont 1 300 pour la gendarmerie -, cette réserve citoyenne fait partie intégrante de la réserve militaire. La moyenne d'âge de ses membres est supérieure à 50 ans. La répartition socioprofessionnelle de ces réservistes s'établit comme suit : 66 % d'actifs, 20 % de retraités, 1 % d'étudiants, 13 % indéterminés. Les armées, directions et services du ministère de la Défense l'emploient bien au-delà des missions de rayonnement, de développement de l'esprit de défense et du lien armées-Nation pour lesquelles elle avait été initialement conçue.

Le cas de la réserve de cyberdéfense, inscrite dans la loi de programmation militaire, illustre les pistes d'évolution possibles. Cette réserve, fondée sur un noyau de 400 réservistes opérationnels de niveau 1 en cible, sera principalement constituée de réservistes citoyens - 4 000 en cible -, recrutés au sein des grandes écoles d'informatique et au-delà. Sa force résidera dans la capacité de bascule très rapide du statut de réserviste citoyen à celui de réserviste opérationnel en cas de crise. Ce principe original pourrait, dans un premier temps, être appliqué à d'autres organismes, puis généralisé. Des réflexions sont lancées pour estimer dans quelle mesure la réserve citoyenne pourrait permettre de répondre aux nombreuses demandes d'engagement qui convergent vers les armées, mais auxquelles ces dernières ne peuvent donner suite quand les intéressés ne remplissent pas les conditions - âge, état de santé, etc.

Les réserves militaires recouvrent donc différents modes d'engagement. Elles rassemblent un grand nombre d'acteurs de tous milieux et de toutes catégories, tous réunis autour de mêmes valeurs et d'une même ambition : se mettre au service de nos armées et, à travers elles, de la Nation. Cette diversité est une chance pour la défense. Elle permet de soulager une armée d'active très sollicitée. Elle est aussi essentielle pour permettre à nos concitoyens de participer à leur propre sécurité, induisant le sentiment d'être un « citoyen actif et utile pour son pays ».

Au lendemain des attentats de janvier 2015, le ministère a élaboré un plan d'action visant à permettre un appel renforcé à la réserve opérationnelle de niveau 1, conformément au souhait du Président de la République.

L'actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoit ainsi : une augmentation du nombre de réservistes pour atteindre 40 000 réservistes opérationnels d'ici à la fin de 2018, contre 27 352 à la fin de 2014 ; une capacité de déploiement de 1 000 réservistes opérationnels chaque jour pour participer à des missions de protection du territoire national - pour atteindre 1 000 réservistes par jour sur le territoire national, il en faut 20 000, si l'on estime que chaque réserviste est déployé 20 jours par an, la durée de la formation et la préparation opérationnelle étant évaluée à 10 jours par an - ; enfin, un accroissement des jours d'activité de 25 jours à 30 jours par homme et par an.

Pour y parvenir, les budgets consacrés à la réserve militaire ont été augmentés de manière significative. Ils sont ainsi passés de 71,1 millions d'euros en 2014 à 96,3 millions d'euros en 2016. Ils s'établiront à 125 millions d'euros à partir de 2018.

Depuis les tragiques événements de 2015, et plus encore depuis le 14 juillet dernier, il n'a échappé à personne que la réserve a retrouvé du sens et de l'élan. La mobilisation sans précédent des

réservistes des armées ces derniers mois, leur motivation et l'intérêt que suscite ce dispositif auprès de nos concitoyens en attestent. En 2016, la cible de 30 jours d'activité par réserviste en moyenne et le seuil de 30 000 réservistes opérationnels devraient être atteint, avec un recrutement centré sur la jeunesse, les moins de 30 ans représentant désormais un tiers des effectifs.

Incontestablement, la dynamique est lancée. L'année 2015 a été l'année de l'inflexion, les suivantes seront celles de la modernisation et de l'accélération, avec une augmentation des effectifs de 3 000 en 2016, de 4 500 en 2017 et en 2018. Nous avons clairement changé de paradigme. Le ministère de la Défense a pris la mesure des enjeux et consacré les moyens nécessaires, en augmentant les crédits de 100 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales sur la durée de la loi de programmation militaire et en créant la direction du projet Réserve qui m'a été confiée en janvier 2016.

L'objectif est clair : disposer d'ici trois ans d'une réserve opérationnelle plus nombreuse, plus moderne, plus jeune et recentrée sur la protection du territoire national.

Dans ce cadre, plusieurs principes structurants ont été récemment partagés au niveau interarmées et validés par le cabinet du ministre de la Défense.

La réserve « rénovée » devra être pleinement intégrée à l'armée active, de manière à conforter son caractère militaire et à promouvoir appui mutuel et complémentarité, car l'armée active ne peut pas fonctionner sans la réserve, et réciproquement. Elle devra également être organisée en branches ou composantes, pour répondre aux missions et besoins spécifiques à chaque armée, direction et service, chacune des branches disposant de viviers clairement identifiés. Elle devra aussi être fortement ancrée aux territoires, de manière à renforcer la présence et la visibilité des armées et à bénéficier des effets positifs de la proximité géographique entre zone d'implantation, bassin de recrutement, bassins de risques et zone d'emploi des réserves. Enfin, elle devra faire une large place à la jeunesse, en particulier aux moins de 30 ans.

Cette réserve « rénovée » forte de 40 000 personnes permettra de mieux répondre aux enjeux stratégiques, aux besoins des armées et aux attentes de nos concitoyens désireux de servir. Dans ce contexte, les propositions formulées dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », en particulier les dispositions prévues dans les articles 1er et 6 sur l'appellation « réserve citoyenne de défense et de sécurité », et surtout celles de l'article 14, contenant les mesures en faveur des étudiants accomplissant une activité militaire dans la RO1, ou encore celles des articles 12 octies sur la création, à titre expérimental, d'un programme de cadets de la défense, et 12 nonies sur l'expérimentation relative au service civique universel, sont en cohérence avec l'esprit qui anime le ministère de la Défense et avec les travaux qu'il a entrepris.

Si vous me le permettez, je formulerai une petite réserve sur l'article 12 octies, en ce qui concerne la reconnaissance de l'aptitude des cadets par le service de santé des armées. Je ne sais pas si la loi doit entrer dans ce degré de détail. Quoi qu'il en soit, il faut savoir que le service de santé des armées doit aujourd'hui assurer la visite médicale d'aptitude de tous les personnels d'active et de réserve recrutés par les armées et la gendarmerie : il est donc déjà extrêmement sollicité et il ne semble pas utile d'allonger la liste de ses missions. Un certificat établi par le médecin traitant et attestant de l'absence de contre-indication devrait suffire pour les cadets.

De plus, vous comprendrez bien que, depuis le tragique événement de Nice, le ministère pourrait être amené à proposer l'insertion de dispositions complémentaires dans ce projet de loi au moment où vous l'examinerez.

À titre tout à fait personnel et pour conclure, permettez-moi de vous faire part d'un léger étonnement. En effet, le chapitre Ier du projet de loi est intitulé « Encourager l'engagement républicain de tous les citoyens et les citoyennes pour faire vivre la fraternité ». Dans ce chapitre, je ne trouve aucune mention de la réserve opérationnelle des armées qui, à mon sens, constitue un lieu où les notions d'« engagement républicain » et de « fraternité » font sens, d'autant plus que les réservistes opérationnels jouent également un rôle important en matière de citoyenneté, en assurant notamment l'encadrement des journées défense citoyenneté, des journées découvertes, des préparations militaires, des cadets - en développement depuis 2008 - et de bien d'autres actions au profit de la jeunesse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion