Intervention de François Pillet

Commission mixte paritaire — Réunion du 14 septembre 2016 à 14h30
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la transparence à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique — Commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique relative à la compétence du défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte

Photo de François PilletFrançois Pillet, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

M. Sébastien Denaja vient de tenir des propos très mesurés, qui sont même très agréables à entendre lorsqu'il évoque la qualité des travaux du Sénat... Cela ne me fait que regretter plus encore l'échec annoncé de nos travaux en commission mixte paritaire !

En effet, si le répertoire des représentants d'intérêts, c'est-à-dire l'article 13 du projet de loi, n'est certes pas l'unique point de désaccord, il est en fait le seul qui soit rédhibitoire. Les débats du Sénat, comme mes propres interventions, ont clairement montré que, sur tout le reste, nous étions ouverts à des modifications, qu'elles soient de nature rédactionnelle ou qu'elles portent sur le fond des dispositions.

Nous avions ainsi souhaité que le débat reste ouvert, car, sur le fond, c'est-à-dire en ce qui concerne les objectifs généraux recherchés, il n'y a pas de différences entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Je souligne d'ailleurs que le Sénat s'est montré particulièrement actif sur l'ensemble des dispositions relatives à la lutte contre la corruption, qui constituaient finalement le sujet essentiel du projet de loi.

Mon regret est d'autant plus vif qu'il me semble que l'article 13, dont je viens de dire qu'il est à l'origine de notre incapacité de trouver, à ce stade, un texte commun, n'est pas celui qui, à mon sens, aurait dû poser problème. En effet, en pratique, le Sénat a limité le texte à son périmètre initial, c'est-à-dire à ce que souhaitait le Gouvernement : les relations entre les représentants d'intérêts et les autorités administratives et gouvernementales.

Nous avons donc effectivement une différence essentielle sur cet article. Elle tient à l'interprétation et à l'importance que nous donnons à la séparation des pouvoirs dans nos institutions.

Le Sénat a déjà créé un répertoire des représentants d'intérêts et entend rester maître, dans le respect de la Constitution et de l'ordonnance de novembre 1958, de la définition qu'il entend donner à cette notion. Notre position est assez ferme sur cette question de principe. De manière symétrique, il nous semble que l'Assemblée nationale doit également conserver la maîtrise de ces sujets pour ce qui la concerne.

Pour autant, il ne vous a pas échappé que l'objectif d'afficher un registre unique n'a pas été écarté par le Sénat, qui a proposé que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique agrège les registres de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Gouvernement, afin d'assurer, grâce aux moyens informatiques disponibles et au profit de nos concitoyens, une transparence totale. Vous voyez donc bien que nous partagions l'objectif essentiel des amendements adoptés sur ce sujet par l'Assemblée nationale.

Force est de le constater, c'est ce point qui a entraîné un désaccord sur l'ensemble et qui n'a pas permis d'examiner plus avant les autres dispositions du texte. En effet, mon collègue rapporteur a eu l'honnêteté intellectuelle de le souligner, sur le reste, nous avions la possibilité de discuter et de nous entendre.

Je vais prendre un exemple de sujet sur lequel nous aurions pu nous entendre ; ce n'est pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit des lanceurs d'alerte. Le Sénat en a donné une définition qui n'est pas celle de l'Assemblée nationale, mais il n'était pas impossible, dans notre esprit, qu'elle soit revue et corrigée, pour tenir compte davantage de la position de nos collègues députés.

Au fond, nous souhaitions nous protéger contre ceux qui donnent, finalement, une très mauvaise image des lanceurs d'alerte, c'est-à-dire les délateurs ou ceux qui diffusent des fausses alertes... Alors que ces alertes sont de plus en plus nombreuses dans la société contemporaine, le Sénat est attaché à ce que la bonne foi des personnes soit mesurée et que, s'il est démontré en fin de compte qu'elles agissent dans un intérêt personnel, et pas uniquement dans l'intérêt général, elles répondent des dégâts et des préjudices ainsi causés.

Nos concitoyens, on le voit bien par l'ensemble des mails que nous recevons, ont en tête le cas d'Antoine Deltour, mais d'autres lanceurs d'alerte n'ont pas le même altruisme... Certains ne sont que les spadassins ou les mercenaires d'une entreprise qui veut en couler une autre !

Je voudrais prendre sur ce point un exemple particulier, celui d'une grande enseigne qui commercialisait des repas carnés - vous avez compris qu'il s'agit de Buffalo Grill... Vous vous souvenez de l'alerte déclenchée contre cette entreprise et de ses difficultés à la suite de cette affaire. Il avait même été envisagé de liquider le groupe et de licencier ses salariés. Or, plusieurs années après, on s'est aperçu qu'il n'y avait rien et un non-lieu a été prononcé ! Quid du préjudice ? Comment aurions-nous pu réparer le dommage qui aurait été causé aux salariés éventuellement licenciés ?

Cet exemple a eu un grand retentissement médiatique, mais je pourrais en prendre d'autres qui en ont eu moins.

Voilà pourquoi le Sénat a été très attentif au statut des lanceurs d'alerte. Celui qui a une éthique et qui révèle un problème dans l'intérêt général doit être protégé ; d'ailleurs, un certain nombre de mécanismes judiciaires sont tout à fait en mesure de le faire. Nous aurions peut-être pu modifier la définition des lanceurs d'alerte et un accord était possible sur l'ensemble de cette question.

Sur d'autres sujets, un accord était également possible. En ce qui concerne la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, le Sénat a beaucoup réfléchi et évolué ; j'ai moi-même corrigé les amendements que j'avais, dans un premier temps, présentés. Nous sommes ainsi parvenus à une solution qui correspond, finalement, à celle qui est envisagée par la Commission européenne dans sa proposition de directive. Nous aurions donc pu avancer.

Au sujet de la lutte contre la corruption et de l'Agence, nous avions une discussion de fond un peu plus sérieuse. Là encore, je ne désespérais pas de trouver un accord. En effet, le Sénat estimait que l'autorité à même de lutter contre la corruption et pour laquelle il n'est pas nécessaire d'adopter des dispositions particulières en termes d'indépendance, de transparence ou d'impartialité, c'est l'autorité judiciaire ! Il ne nous semblait donc pas utile de créer une commission des sanctions au sein de cette nouvelle agence. Vous le savez, le Sénat est toujours très attentif, sur l'ensemble de ses travées, à la protection de l'autorité judiciaire, et guère enclin à créer de nouveaux organismes...

J'ai cité un certain nombre de désaccords, mais vous comprenez bien, en particulier au ton que j'emploie, qu'ils n'étaient aucunement définitifs. Mon regret porte donc principalement sur le fait que nous ne soyons pas parvenus à nous entendre sur l'article 13, notre désaccord portant, qui plus est, sur un point qui n'est même pas d'origine gouvernementale !

Enfin, je dois dire que les travaux réalisés sur les sujets agricoles et financiers constituent un motif de satisfaction, puisque des accords semblent en bonne voie d'être trouvés pour l'essentiel. Je pense que les acteurs de ces secteurs économiques comme nous-mêmes pouvons les saluer à leur juste valeur.

Au total, et en dépit de nos désaccords sur l'article 13, je reste optimiste : comme vient de nous l'indiquer son rapporteur, l'Assemblée nationale ne devrait pas limiter ses travaux à une simple reprise de son texte de première lecture ; elle profitera de l'expertise du Sénat, en particulier de celle de la commission des lois.

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